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Contexte

Dans de nombreuses régions du monde, la migration est criminalisée. En Europe, on assiste depuis quelques années à une fermeture brutale des frontières, qui affecte les migrants aussi bien sur la route que dans les pays d’accueil ou de transit, alors que des guerres ou des persécutions, notamment en Syrie, en Irak mais aussi en Afghanistan ou en Érythrée, ont poussé des millions de personnes à fuir leur pays. La politique de dissuasion et d’endiguement des flux migratoires de l’Union européenne, marquée entre autres par l’accord signé avec la Turquie en mars 2016 pour fermer la route des Balkans, se double d’une réponse policière des autorités publiques à l’encontre des migrants, harcelés et traqués dans des pays comme la France ou la Serbie par exemple, et dont la vie est mise en péril. 
 
En Libye, point de passage historique des routes migratoires vers l’Europe, les migrants et réfugiés sont exposés à des degrés de violence inouïs. Ils sont fréquemment exploités, abusés, battus, torturés, ou emprisonnés dans des conditions inhumaines, sans accès aux soins de santé. Lorsqu' ils tentent la traversée de la mer Méditerranée pour rejoindre l'Europe, c'est au péril de leur vie. Ces dernières années, l'Union européenne s'est obstinée a progressivement empêcher les activités de secours en mer Méditerranée, en criminalisant les ONG qui aident les populations migrantes. Or les opérations de recherche et de sauvetage en mer ont pour seule vocation de sauver des vies. Selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 20 000 personnes auraient perdu la vie en mer Méditerranée depuis 2014 : une estimation basse, au vu de tous les naufrages qui n'ont pu être recensés. La Méditerranée est ainsi la frontière maritime la plus meurtrière du monde

Ces situations de détresse que vivent des millions de migrants ne se limitent pas aux seuls flux vers l'Europe. En Amérique centrale par exemple, chaque année, des centaines de milliers de personnes fuient les violences et les persécutions des pays du triangle du Nord (Salvador, Guatemala et Honduras) pour rejoindre le Mexique puis les États-Unis. Sur la route ils sont à la merci des organisations criminelles, parfois avec l'accord tacite ou la complicité des autorités nationales
 

Principales routes migratoires vers la Libye et l’Europe
 © MSF
Principales routes migratoires vers la Libye et l’Europe © MSF

Malgré un accès à la mer Méditerranée, la France n’a rien fait pour venir en aide aux personnes migrantes naufragées. Pire, elle participe à la guerre d’usure contre les sauveteurs en mer, orchestrée par les États européens. En cinq ans, la plupart des bateaux de sauvetage affrétés par des associations ont progressivement été contraints d'arrêter leurs activités, sommés de « faire le jeu des passeurs ».
 

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Les migrants subsahariens pris au piège dans l'enfer libyen

Des centaines de milliers de personnes migrantes sont bloquées dans le pays, prises au piège d’un cycle de violence et d’abus. La plupart viennent d'Afrique subsaharienne, de l'Ouest (du Mali et du Nigeria par exemple) comme de l'Est (notamment d'Érythrée et de Somalie), pays dont elles fuient les violences et les guerres. Beaucoup viennent en Libye pour y trouver un travail, reconnu historiquement comme une terre d'accueil avec de nombreuses opportunités économiques. La chute du président Kadhafi en 2011, à la suite du soulèvement du pays, a plongé la Libye dans une guerre civile sans fin, où règne un total chaos, perpétré par de multiples milices armées. Déjà victimes de rapts, de vols à main armée, de violences sexuelles et de monnaie d'échange par des réseaux de passeurs – affiliés à des groupes criminelstout au long de leur route migratoire, les populations migrantes arrivent en Libye affaiblies et traumatisées par un voyage hautement dangereux. Depuis 2017, les équipes MSF ont ainsi mis en place des programmes d'aide aux migrants et réfugiés détenus en Libye, où très peu d'acteurs humanitaires sont présents. 

 

 

© Aurelie Baumel/MSF
© Aurelie Baumel/MSF

En Libye, l'immigration illégale est criminalisée et aucune loi n'apporte de protection aux personnes migrantes, exposées par conséquent à toute forme de violations. La plupart des migrants sont ainsi capturés par des organisations et des réseaux criminels, puis faits prisonniers dans des centres de détention ou des hangars exploités par des milices. Les témoignages des personnes prises en charge par MSF sont accablants. Dans ces lieux de détention, les traitements inhumains y sont quotidiens : violences physiques, passages à tabac, torture, abus sexuels, extorsions, vols, affamements… et la liste est encore longue. En Libye, les populations migrantes sont les otages d'un trafic d'êtres humains à échelle industrielle, réduites à des marchandises et victimes de rançonnage. Celles et ceux qui parviennent à s'échapper des centres de détention, croupissent dans des villes du pays, où la guerre n'est pas terminée, comme à Tripoli.

Des nouvelles de Yonas

© Aurelie Baumel/MSF

La machine à broyer

Réfugiés et migrants piégés en Libye

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Pour ces personnes, leur seule chance de survie est donc de fuir le pays et de continuer leur exil, en tentant de traverser la Méditerranée pour rejoindre l'Europe. Faisant fi des atrocités commises sur le territoire libyen, les politiques migratoires européennes organisent sciemment le retour des personnes migrantes en appuyant les garde-côtes libyens (extension des eaux territoriales du pays afin de leur permettre davantage de marge de manœuvre) pour intercepter les tentatives de traversées et renvoyer les personnes de force sur les côtes libyennes, en violation du droit international. Pour enrayer des nouvelles arrivées sur leurs sols, certains États européens ont conclu des accords avec divers acteurs connus pour leurs liens avec des réseaux criminels et de trafic en Libye et ont démantelé les capacités de recherche et de sauvetage en Méditerranée. 

 

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Opérations de sauvetage en mer Méditerranée : une criminalisation de l'aide devenue systématique

Depuis plusieurs années, les équipes MSF présentes sur les bateaux de sauvetage en Méditerranée centrale pour dispenser des soins aux personnes qui risquent leur vie en tentant de la traverser, sont témoins d'une succession de naufrages et de l'inaction de l'Union européenne pour leur venir en aide. Hommes, femmes et enfants se noient dans l'indifférence quasi-générale des États européens qui entravent les opérations de recherche et de sauvetage

Les pays européens refusent d'assumer leurs responsabilités et permettent à leurs autorités de contrecarrer les opérations menées par les ONG en Méditerranée centrale. D'abord, en ignorant les appels des capitaines de navires demandant à accoster. L'Italie et Malte par exemple (n'excluant pas la responsabilité des autres pays européens) interdisent aux navires de sauvetage de débarquer sur leurs côtes, alors que des dizaines – voire des centaines – de personnes sont à bord, souvent depuis plusieurs jours, sauvées in extremis de la noyade et nécessitant protection et soins en lieu sûr. Les États ne respectent ainsi pas leurs obligations légales de sauvetage des personnes, d'attribution d'un port sûr et d'une assistance appropriée

En 2018 et 2019, les équipes MSF présentes à bord des différents navires de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale ont dispensé près de 7 000 consultations médicales :

cas d'hypothermie, de déshydratation, de mal de mer, soins des brûlures causées par le contact entre le carburant et l'eau de mer dans les bateaux pneumatiques et dermatoses dues au manque d'hygiène dans les lieux de captivité. 

Lorsque le débarquement est finalement possible, les autorités portuaires en profitent pour immobiliser les navires à quai, durant une durée indéterminée, invoquant devoir y effectuer des inspections administratives, sans motif apparent. Elles bloquent ainsi les bateaux de sauvetage en prétextant la plupart du temps des irrégularités, pourtant mineures (surpopulation à bord, mauvaise gestion des déchets, etc.) La réalité est politique : l'approche actuelle de l'Union européenne en matière de migration consiste à piéger, repousser et abandonner systématiquement les personnes, en les laissant mourir en mer ou en les parquant dans des camps sur les îles grecques dans des conditions de vie inhumaines. 

 

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Îles grecques : l'autre pan d'une politique migratoire européenne inhumaine

En 2015, les guerres au Moyen-OrientSyrie, Irak, Afghanistan entre autres – poussent des centaines de milliers de personnes à fuir leur pays et à tenter de rejoindre le continent européen au péril de leur vie. Les équipes MSF sont ainsi intervenues en urgence pour leur porter secours, en lançant des opérations de sauvetage en mer Égée et en assurant leur prise en charge médicale une fois sur les îles grecques. Le règlement de Dublin III a contraint les exilés à déposer leur demande d’asile en Grèce (premier pays d'arrivée sur le territoire de l'Union européenne), mais beaucoup ont continué leur voyage, empruntant la route des Balkans et pensant rejoindre la Suède, l'Allemagne, le Royaume-uni ou la France. La plupart des pays européens mettent rapidement en place des mécanismes censés endiguer ces flux migratoires en fermant leurs frontières (excepté l'Allemagne qui a consenti l'accueil d'un million de réfugiés syriens). Pour faire face à cette « crise migratoire », un mur de barbelés est construit par la Hongrie à sa frontière et des « hotspot » pour trier les demandes d'asile et identifier les personnes susceptibles de recevoir le statut de réfugiés sont installés dans les îles grecques (Lesbos, Samos, Kos, Chios et Léros). 
 

En mars 2016, un accord visant à sous-traiter la question migratoire aux Turcs est signé entre l’Union européenne et la Turquie. Avec cet accord, l’Union européenne adopte officiellement une stratégie de politique migratoire dissuasive, censée décourager les populations migrantes de venir en Europe pour y trouver sécurité et protection. Depuis, des centaines de demandeurs d’asile sont bloqués sur les îles grecques dans des camps surpeuplé aux conditions de vie insoutenables (abris de fortune, manque d'hygiène, peu d'accès à l'eau, à l'électricité et aux soins), ou en Serbie, pays dans lequel ils sont régulièrement victimes de violences perpétrées par les autorités frontalières et la police des États européens. 
 

© Alessandro Penso/MAPS

Lesbos, prison à ciel ouvert

Reportage au cœur du camp de Moria

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L'ancien camp de Moria sur l'île de Lesbos est devenu le symbole des traitements inhumains imposés par l'Union européenne aux personnes migrantes. Dès 2016, des équipes MSF se mobilisent sur place pour leur apporter des soins de santé et les accompagner psychologiquement. En raison des conditions de vie déplorables, des violences subies, (enfermement, incendies, abus sexuels, vols etc.) et des tensions structurelles à l'intérieur du camp, l'état de santé mentale de ces personnes s'est progressivement détérioré (mutismes, crises de panique, anxiété, cauchemars, agressivité), allant même jusqu'à des tentatives de suicides chez les enfants. MSF a demandé à maintes reprises à l'Union européenne l'évacuation des réfugiés vers un lieu sûr, mais aucune action n'a été entreprise en ce sens. Le gouvernement grec a au contraire restreint leur accès aux soins en révoquant le droit à l’assurance sanitaire publique pour tous les ressortissants étrangers, avant d'adopter une série de mesures répressives sur le droit à l'asile et de limiter encore davantage leur liberté de mouvements avec la pandémie de Covid-19. Résultat de ces traitements inhumains : le camp de Moria est incendié dans la nuit du 8 au 9 septembre 2020 et 12 000 personnes se retrouvent à la rue sur l'île de Lesbos. 
 

Au lieu de relocaliser les personnes vers un lieu sûr, un nouveau camp a été construit – à la hâte – sur l'île de Lesbos où les conditions de vie sont similaires à celles de l'ancien camp Moria. L'Union européenne et les autorités grecques reproduisent ainsi le même schéma de refoulement aux frontières et restent sourdes face à la détresse des populations migrantes piégées sur les îles grecques. En élargissant les procédures obligatoires aux frontières, en orientant ses politiques migratoires vers la dissuasion, l'expulsion et le retour – au lieu de l'accueil et la protection – des personnes, l'Union européenne met délibérément en danger des dizaines de milliers de personnes. 
 

© Enri CANAJ/MAGNUM Photos

Au bout de l'exil, la rue

Récits de réfugiés menacés d'expulsion à Athènes en Grèce

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Fuir le Triangle du Nord : face au mur états-unien

On estime à 500 000 le nombre de personnes qui, chaque année, fuient le Guatemala, le Salvador et le Honduras, région dite du Triangle du Nord – l'une des plus violentes au monde – et qui passent par le Mexique pour tenter de rejoindre les États-Unis. Ces personnes sont forcées de quitter leur pays en raison de la pauvreté, de l'insécurité et du danger qui y règnent. Elles y sont victimes de menaces permanentes, d'agressions, d'enlèvements, d'extorsions, de vols, d'abus sexuels, de détention et de torture. Ces violences sont commises par des gangs criminels (affiliés aux réseaux mafieux du cartel de la drogue), localement appelés maras, qui contrôlent de nombreuses zones abandonnées des pouvoirs publics. Sur la route de leur exil, en particulier au Mexique, ces populations migrantes sont de nouveau victimes des mêmes violences et n'ont aucun accès aux soins de santé. Les équipes MSF sont ainsi déployées dans le pays pour leur porter secours tout au long de leur périple.

Les données MSF sont basées sur 480 entretiens et témoignages de migrants et de demandeurs d’asile d’Amérique centrale, les expériences du personnel de MSF et les données médicales de plus de 26 000 personnes aidées le long de la route migratoire à travers le Mexique au cours des neuf premiers mois de 2019. Source: No Way Out, MSF 2020.
Les données MSF sont basées sur 480 entretiens et témoignages de migrants et de demandeurs d’asile d’Amérique centrale, les expériences du personnel de MSF et les données médicales de plus de 26 000 personnes aidées le long de la route migratoire à travers le Mexique au cours des neuf premiers mois de 2019. Source: No Way Out, MSF 2020.

Comme l'Union européenne le fait à ses frontières, le gouvernement américain a également adopté des mesures dans le but de limiter l’immigration et de restreindre l’accès à l’asile, notamment avec ses Protocoles de protection de migrants – également appelés « Remain in Mexico » –, visant à renvoyer au Mexique les migrants demandant l'asile aux États-unis pendant l'examen de leur dossier par la justice américaine. L'administration américaine exerce par ailleurs des pressions sur le Mexique et d’autres pays de la région, en les incitant à mettre en application des mesures plus agressives (dont la détention arbitraire dans des conditions inhumaines), à l'encontre des personnes migrantes, afin de les empêcher d’arriver à sa frontière Sud. Des accords bilatéraux ont ainsi été conclus entre les États-Unis, le Mexique et les pays du Triangle du Nord, prévoyant la possibilité de renvoyer les demandeurs d'asile dans leurs pays d’origine, où ils risquent leur vie. Les récentes politiques migratoires imposées par les États-Unis et le Mexique prennent au piège des milliers de Centraméricains et démantèlent résolument le droit à l'asile.  

 

 

© Anna Surinyach/MSF

Dos au mur

Vers les États-Unis, récits d’exilés centraméricains

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Sur l’île de Nauru, les réfugiés victimes de la politique de détention off-shore de l’Australie

Environ 900 demandeurs d’asile et réfugiés, dont plus d’une centaine d’enfants, sont bloqués sur cette minuscule île du Pacifique de 11 000 habitants, sans procédure ni perspective claires de réinstallation permanente. MSF a commencé à leur offrir des services psychologiques et psychiatriques gratuits en novembre 2017, services suspendus le 5 octobre 2018 lorsque le gouvernement de Nauru a informé MSF que ses services n’étaient « plus nécessaires ». Il a demandé à MSF de mettre fin à ses activités dans les 24 heures.