Incendie dans le camp de Moria en Grèce : « un système qui écrase les migrants »

Dans la soirée du mardi 8 septembre, un incendie a ravagé le camp de Moria, à Lesbos, forçant 12 000 personnes à évacuer le site.
Dans la soirée du mardi 8 septembre, un incendie a ravagé le camp de Moria, à Lesbos, forçant 12 000 personnes à évacuer le site. © MSF

Aurélie Ponthieu, spécialiste des questions humanitaires chez Médecins Sans Frontières, revient sur les incendies qui ont ravagé le camp de Moria, sur l’île de Lesbos en Grèce, dans la soirée du mardi 8 septembre.

Au sujet de l’incendie qui a presque entièrement détruit le camp de Moria à Lesbos, Stelios Petsas, porte-parole du gouvernement grec, déclare : « Ils pensaient que s'ils mettaient le feu à Moria, ils pourraient quitter l'île. Quoi qu’ils avaient en tête, ceux qui ont allumé l’incendie peuvent l'oublier. » 

L’origine du feu n'est toujours pas confirmée, mais si, comme le suggère M. Petsas, il s’agit d’une manoeuvre désespérée des habitants du camp pour échapper à l’enfer de Moria, cet événement est le reflet du système inhumain toujours en place à Lesbos. 

Déjà sans abri, vivant dans des conteneurs en préfabriqué, des cabanes et des tentes dans des conditions sanitaires et de promiscuité extrêmes, les 12 000 habitants du camp sont désormais livrés à eux-mêmes, condamnés à vivre sur les cendres d'un camp qu'ils détestent pour y avoir été maltraités. 

Ce n'est pas la première fois que le camp de Moria est englouti par les flammes. En septembre 2016, un incendie l’avait déjà détruit et fait au moins 20 blessés. Une femme et un enfant, gravement brûlés, avaient été évacués vers l'hôpital d'Athènes. Des milliers de personnes étaient restées sans abri. Depuis, d'autres incendies isolés ont entraîné la mort de trois personnes.

Les tensions, cependant, ne datent pas de mardi. Elles font rage depuis des années, alimentées par la douleur infligée par la stratégie migratoire dissuasive de l'Union européenne (UE), et attisées par les restrictions de mouvement, les files d'attente déshumanisantes des distributions de nourriture, les procédures d'asile injustes et en constante évolution, une routine d'humiliation, de xénophobie et de violence.

La camp de Moria après l'incendie du 8 septembre. 
 © /MSF
La camp de Moria après l'incendie du 8 septembre.  © /MSF

L’accord entre l’Union européenne et la Turquie adopté il y a 4 ans a plongé des milliers de gens dans le désespoir. Après avoir été bloqués sur l’île des mois - parfois des années -, les options qui s’offrent à eux sont le continent grec, le retour en Turquie ou dans leur pays d'origine. Ils quittent Lesbos malades, épuisés, parfois blessés et souvent atteints de troubles mentaux sévères. Arrivent ensuite de nouveaux réfugiés pour prendre leur place et être, à leur tour, écrasés par ce système. Les incendies ne sont pas des accidents à Moria, ce sont le produit d’une obsession : refouler migrants et demandeurs d’asile à tout prix.

Depuis le mois de mars, les couvre-feux liés à l’épidémie de coronavirus et les restrictions de mouvements des demandeurs d'asile à Moria ont été prolongés sept fois pour une période totale de plus de 150 jours. Lorsque les mesures de confinement à Lesbos ont été levées et que l'ensemble de la population a retrouvé sa liberté, les habitants de Moria sont restés prisonniers. Leur confinement a été renforcé sans pour autant améliorer leurs conditions de vie ou mettre en place une riposte à la Covid-19. Pour les habitants de Moria, les mesures de prévention - distanciation sociale ou lavage des mains - sont impossibles. Le message est clair : leur santé est moins importante que le maintien de la politique de dissuasion migratoire.

Alors que les équipes MSF, en collaboration avec les autorités de santé publique, avaient mis en place, dès le mois de mai, un centre de triage et d’isolement dans le camp, ce dernier a été fermé par les autorités locales, en juillet. Le décongestionnement du camp avait permis de transférer préventivement des personnes hors de Moria, en y laissant toutefois près de 200 personnes jugées vulnérables. 

En août, le gouvernement grec a ouvertement utilisé la détection du premier cas de Covid-19 à Moria pour justifier de nouvelles restrictions sur les demandeurs d'asile dans les îles et promouvoir des projets de création de nouveaux centres de détention.

Les mesures de santé publique, lorsqu'elles restreignent les libertés individuelles, doivent être proportionnées, nécessaires et légales. Elles doivent être basées sur des considérations scientifiques. Les preuves montrent clairement que la quarantaine est inefficace et même contre-productive dans des conditions de surpeuplement et d'insalubrité.

Nous exhortons depuis des semaines les autorités grecques de la santé et de la migration à mettre en place un plan de réponse à la Covid-19 adéquat, tandis que l’Union européenne ferme les yeux. 

Les cendres de Moria témoignent du désespoir façonné par un système de dissuasion, de déshumanisation et de négligence financé par l'Union européenne. Le système de détention doit changer sinon le chaos et le désespoir demeureront aux portes de l’Europe.

Pour agir à nos côtés et exiger des gouvernements européens qu'ils prennent leurs responsabilités, signez la pétition.

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