Un nouveau rapport de MSF dénonce la violence des politiques européennes d’obstruction aux interventions de sauvetage en Méditerranée centrale

Les équipes MSF du Geo Barents portent secours à 45 personnes qui ont chaviré de leur embarcation de fortune, en Méditerranée centrale. Mars 2023
Les équipes MSF du Geo Barents portent secours à 45 personnes qui ont chaviré de leur embarcation de fortune, en Méditerranée centrale. Mars 2023 © Simone Boccaccio

Le blocage des navires de recherche et de sauvetage (SAR), comme le Geo Barents de Médecins Sans Frontières (MSF), en Méditerranée centrale, réduit considérablement les chances de survie des personnes fuyant les violences en Libye. C’est la conclusion d’un nouveau rapport de MSF, Deadly Manoeuvres : Obstruction and Violence in the Central Mediterranean, construit sur des données opérationnelles et médicales ainsi que sur des témoignages de survivants recueillis à bord du Geo Barents en 2023 et 2024. Le Geo Barents a cessé ses activités en décembre 2024. 

Le rapport revient sur deux années d’opérations menées dans un contexte de politiques italiennes très restrictives, notamment en raison du décret Piantedosi, introduit en 2023. Le texte impose, entre autres, aux ONG de se diriger immédiatement vers le port de débarquement désigné par les autorités italiennes après un sauvetage, même si celui-ci se trouve souvent très éloigné. Cet encadrement juridique et administratif limite fortement la capacité des navires à effectuer des sauvetages. 

Entre décembre 2022 et décembre 2024, le Geo Barents a parcouru 64 966 kilomètres supplémentaires et passé 163 jours de plus en mer pour atteindre des ports lointains dans le nord de l'Italie afin de débarquer les survivants après leur sauvetage.

Ports italiens dans lesquels le Geo Barent de MSF a dû débarquer les survivants des naufrages, entre 2022 et 2024.
 © MSF
Ports italiens dans lesquels le Geo Barent de MSF a dû débarquer les survivants des naufrages, entre 2022 et 2024. © MSF

« Le décret Piantedosi est un mécanisme structuré et institutionnalisé visant à entraver les activités civiles de recherche et de sauvetage », déclare Juan Matias Gil, représentant de MSF SAR. « L'impact de ces sanctions s'est aggravé au fil des années ; la capacité de sauvetage de notre navire de recherche et de secours a été considérablement sous-utilisée et activement compromise ». Au total, le Geo Barents a été sanctionné quatre fois en vertu du décret Piantedosi, ce qui représente 160 jours d’immobilisation au port imposés. 

En 2023, 4 646 personnes avaient été secourues par le Geo Barent, contre 2 278 en 2024. Le mode d’opération de MSF était devenu intenable face aux lois et politiques italiennes de plus en plus restrictives. En conséquence, Médecins Sans Frontières a mis fin à ses opérations à bord du Geo Barents en décembre 2024.

Pendant que MSF continue de dénoncer ces restrictions par tous les moyens disponibles, des personnes continuent de périr chaque jour en mer. La Méditerranée centrale reste l'une des routes migratoires les plus meurtrières au monde. Selon les données disponibles, 24 467 hommes, femmes et enfants sont morts ou ont disparu dans cette partie de la mer entre 2014 et 2024, dont 1 692 pour la seule année 2024. 

Le nombre global de références médicales a augmenté, en particulier les urgences qui ont augmenté de 14 %. Cela suggère qu'un pourcentage considérablement plus élevé de personnes secourues étaient dans un état critique et nécessitaient des soins spécialisés vitaux à terre. 

Les équipes de MSF ont recueilli de nombreux témoignages de personnes ayant réussi à fuir la Libye. Elles y racontent les interceptions violentes qu’elles ont subies en mer, avant d’être renvoyées de force en Libye. Ces pratiques s’inscrivent dans une stratégie plus large visant à empêcher l’arrivée de migrants en Europe en externalisant le contrôle des frontières. « Les témoignages, les données et les preuves recueillis au fil des années montrent clairement la collaboration entre l’Italie, l’Union européenne, les garde-côtes libyens et d’autres groupes armés. Ces acteurs interceptent les migrants en mer et les renvoient vers un cycle d’abus et d’extorsion », explique Matias Gil. 

Selon les données médicales de MSF, en 2024, tous les patients vus par le psychologue à bord du Geo Barents ont déclaré avoir été victimes de violences physiques et/ou psychologiques pendant leur parcours migratoire. Pour la moitié d’entre eux, ces violences étaient liées à leur détention en Libye, identifiée comme le principal lieu d’abus. 

Les pays d’origine des violences, d’après les témoignages des survivants secourus sur le Geo Barent de MSF, en 2023 et 2024. 
 © MSF
Les pays d’origine des violences, d’après les témoignages des survivants secourus sur le Geo Barent de MSF, en 2023 et 2024.  © MSF

25 % des patients ayant bénéficié de consultations individuelles ont déclaré avoir été maltraités ou torturés avec de l'eau, de l'électricité ou des objets. Un autre quart de ces patients ont déclaré avoir été giflés, frappés à coups de pied ou battus. En conséquence, de nombreuses personnes secourues ont été confrontées à des images intrusives, à la peur et à l'anxiété, à des troubles du sommeil, à des flashbacks et à des pensées suicidaires. 

En conclusion, le rapport appelle les autorités italiennes à cesser d’entraver les opérations de sauvetage en mer, et à cesser de sanctionner les navires humanitaires des ONG. Il demande également à l’Union européenne et à ses États membres de mettre fin immédiatement à leur soutien financier et logistique aux garde-côtes libyens, ainsi qu’à toute action visant à faciliter le renvoi forcé de personnes vers la Libye. 

Notes

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