Yémen : à bout de souffle dans l’enclave assiégée de Taïz

La ville de Taïz en juillet 2015
La ville de Taïz en juillet 2015 © Alex Potter

Nora Echaibi, infirmière MSF, faisait partie de la petite équipe qui, le 3 janvier dernier, a pu rentrer et rester une nuit dans l’enclave assiégée de Taïz, au Yémen. Elle raconte.

« Depuis septembre dernier, nous essayons, en vain, d'entrer pour fournir des soins médicaux dans la ville enclavée de Taïz actuellement assiégée par le groupe Ansarallah (Houthi). Le 3 janvier, nous avons fait notre première tentative de l’année 2016.

Les lignes de front ont été déplacées, ce qui signifie que nous devons maintenant emprunter une autre route, beaucoup plus longue. Nous avons été arrêtés sur la route à deux reprises, mais avons été autorisés à nous rendre jusqu’au marché de Bir Basher. De là, nous avons franchi le dernier point de contrôle à pied, seule façon autorisée de pénétrer dans l’enclave.

Enormément de personnes traversaient au même moment, c’était le chaos. Nous avons vu un camion du Programme alimentaire mondial (PAM) être attaqué alors qu’il essayait de livrer de la nourriture. Un groupe de femmes a tenté de se joindre à notre équipe, espérant que cela leur permettrait d'accélérer un processus qui prend, pour certains, plusieurs heures, voire plusieurs jours. Ce point de contrôle sépare des familles, y compris celles de certains de nos employés. Elles n’ont finalement pas pu traverser. Des coups de feu ont éclaté tout près, peut-être avaient-ils été tirés en l'air, peut-être pas ? Nous sommes montés à bord du minibus le plus proche et avons rapidement quitté la zone.

Plus loin, les routes étaient plus calmes, mais la guerre a laissé de profondes cicatrices. La plupart des bâtiments sont endommagés et beaucoup se sont effondrés, en particulier le long de la ligne de front. Pourtant, au milieu de cette destruction, nous avons vu des personnes dehors, en train de discuter, de faire leurs courses sur les marchés... Bien que les bombardements et tirs d’artillerie soient désormais quotidiens, leurs efforts pour continuer à mener une vie, une routine « normale » apaisent, en quelque sorte, l'atmosphère.

Pourtant, les répercussions de l'état de siège sont évidentes : les prix du marché ont explosé et les zones où passent les lignes de front sont clairement dépeuplées. Il n'y a pas d'électricité, sauf pour les quelques chanceux possédant un groupe électrogène et pour ceux, encore plus rares, qui disposent du carburant nécessaire pour le faire fonctionner.

Nous sommes arrivés à l’hôpital d’Al Tawrah. Ma dernière visite dans cette structure remontait à septembre 2015 et la diminution du nombre de patients m’a vraiment surprise. Les activités médicales ont considérablement baissé. Le nombre de matériels médicaux restants est limité, en particulier pour tout ce qui concerne l'anesthésie. Il y a peu de carburant disponible pour faire fonctionner le générateur. Un organisme de bienfaisance yéménite, basé à Aden, a réussi à faire parvenir 30 cylindres d’oxygène à Al Tawrah, ce qui a permis à l'hôpital de rouvrir une partie de son unité de soins intensifs, mais que pour un temps donné...

Même situation dans les hôpitaux d’Al Rawdah, d’Al Jamhouri Yemeny, d’Al Modaffar et de Ta'aown. Alors que nos entrepôts situés en dehors de l'enclave sont pleins, il est douloureux de constater que de grands hôpitaux comme Al Jamhouri, que j’ai vu par le passé en pleine effervescence, si silencieux. À la maternité, il n’y avait qu’une seule femme et trois nouveau-nés. L'un des bébés avait besoin d'oxygène, mais l’appareil auquel il était connecté n’était pas lui-même relié à une bombonne d'oxygène. Il n’y en avait plus. C’est tellement frustrant ! A deux kilomètres seulement de là, de l'autre côté de la ligne de front, MSF gère un hôpital totalement fonctionnel dédié aux femmes et aux enfants, mais cette structure reste hors de portée pour la population de Taïz…

Le soir, nous avons été accueillis chez un chirurgien de la ville. La nuit, lorsque je suis en dehors de l'enclave, j’entends les obus être tirés; ici, à Taïz, de l'autre côté, j’entendais ces obus tomber. Une nouvelle expérience ... Deux fois, alors que les bombes tombaient à proximité, le sol a tremblé violemment. Le lendemain matin, les tirs d’artillerie se sont poursuivis, mais c’est le bruit d'un avion qui m’a réveillée. À l’extérieur de Taïz, ce son alerte car on ne sait pas quelle sera la cible ; à l'intérieur, les populations enclavées savent qu’elles ne sont pas visées. Pendant deux heures ce matin-là, alors que nous poursuivions nos visites d’hôpitaux, l'avion a tourné au-dessus de nos têtes. C’était étrange.

Nous sommes retournés au poste de contrôle pour quitter l'enclave. Un certain nombre de personnes traversaient alors dans l'autre sens, portant des sacs de farine sur des brouettes. Ils nous ont dit que le passage était relativement facile ce jour-là. Il est beaucoup plus facile de sortir de l'enclave que d’y entrer ».

EN SAVOIR PLUS

► Consulter notre dossier sur la crise au Yémen

 

Nora Echaibi © MSF

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