Mexique : asile à Matamoros, voie sans issue

The Migration Protection Protocol in the state of Tamaulipas refugee asylum seeker matamoros
MSF a vu une centaine de personnes rentrer quotidiennement au Mexique, à Matamoros, une ville sans capacité d'accueil, dans l'état de Tamaulipas. Les demandeurs d'asile sont obligés de dormir dans des tentes installées juste à côté du pont près de la frontière, sans aucun accès à l'eau potable et aux services d'assainissement ; ce qui peut entraîner différents problèmes de santé, tels que les maladies digestives et cutanées. © MSF

Depuis octobre 2018, entre 12 000 et 14 000 personnes ont migré à bord de camions routiers vers les États-Unis, selon le Haut-Commissariat des Nations-unies pour les réfugiés (HCR). Ce phénomène de traversées migratoires s’appelle « les caravanes » d'Amérique centrale. Une fois arrivés dans les villes frontalières du nord du Mexique, les migrants et demandeurs d'asile se retrouvent bloqués dans de dangereux « culs-de-sac », face au mur états-unien. 

Les politiques d'asile mises en place par l'administration Trump depuis 2017 (Migration Protection Protocol et Metering Policy) ne cessent de se durcir, affectant plus de 80 000 personnes.

Nora Valdivia, superviseure de la santé mentale au Mexique pour MSF, explique le sentiment de désespoir dans lequel vivent les migrants et les demandeurs d'asile à Matamoros, à l'extrême Nord-Est du pays. Les équipes MSF y travaillent depuis juin 2018 en offrant des soins de santé mentale à plus de 1 600 personnes. Entretien.

Comment MSF travaille-t-elle avec les demandeurs d'asile à Matamoros ?

Dans la ville, nous avons une équipe composée d'un psychologue qui organise des séances individuelles et de groupe ; d'un promoteur de santé qui approche les migrants et demandeurs d'asile en abordant les sujets liés à la santé mentale et émotionnelle ; et d'une assistante sociale qui offre du soutien et oriente les personnes qui ont besoin de conseils médicaux, sociaux ou juridiques supplémentaires. Nous avons également une équipe médicale qui vient au pont international de Reynosa [où le camp s'est improvisé] tous les lundis et mardis. Les autres jours de la semaine, nous traitons les besoins médicaux en travaillant avec les institutions locales et les refuges municipaux. 

Quels types de cas voyez-vous ?

Nous avons affaire à des personnes qui multiplient les crises de panique à cause de l'anxiété, elle-même provoquée par l'instabilité de leur environnement. Le diagnostic est sans appel : 61 % des personnes avec lesquelles nous entrons en contact sont dans un état d'anxiété. 

Les problèmes psychologiques peuvent provoquer des symptômes physiques car ils affectent toute la personne. Ces gens fuient leur pays. La plupart d'entre eux le font à cause de la violence qui y existe. Ils arrivent avec des problèmes de santé mentale qui augmentent au cours du voyage à travers le Mexique, où ils subissent là encore de la violence, allant de l'extorsion à la violence sexuelle. 

Être à la frontière américano-mexicaine est dangereux. Ils arrivent ici dans l'incertitude la plus totale et s'installent pour une durée indéterminée. Cela les expose à des risques de violence. Enfin, le premier rendez-vous de la procédure relative à la demande d'asile les démoralise complètement puisqu'on leur en fixe un deuxième pas avant un délai d'un an. Les personnes reviennent sans espoir et ne veulent pas rester ici.

Que font-ils ? Comment vivent-ils avec ce désespoir ?

Ils résistent. Ils ont de la volonté, alors ils trouvent les moyens de s'adapter à cette situation. Les expériences passées les obligent à être forts. Ils survivent.

Quelle est la population la plus vulnérable ?

Au vu des conditions de vie, les enfants sont les plus vulnérables aux maladies dangereuses. Plus de 50 % de nos patients ont moins de 15 ans. Ici, nous avons beaucoup d'enfants qui viennent avec leur famille, et les maladies les plus courantes sont les maladies respiratoires et digestives, représentant 67 % de nos cas. 

Dans le camp de Matamoros.
 © MSF
Dans le camp de Matamoros. © MSF

Quelle est l'approche des services en santé mentale de MSF ?

C’est une approche de psychothérapie. Souvent, nous avons des sessions uniques car il s'agit d'une population en constante évolution. Dans une session unique, vous devez faire tout votre possible pour sortir le patient de sa situation et lui donner les outils nécessaires pour qu'il puisse faire face à ses problèmes et gérer efficacement la persistance de ses symptômes.

Ces séances ont un impact dès l'instant où un professionnel offre un espace confidentiel pour les écouter avec empathie. Les personnes se sentent alors valorisées. Elles ne reçoivent généralement pas ce type de service, donc cela leur est très précieux. Nous leur donnons des outils de soins personnels, de relaxation et des conseils psycho-éducatifs.

Quel est le principal défi pour MSF en travaillant avec cette population ?

Il s'agit d'une population en constante évolution. Chaque jour, nous voyons de nouvelles situations et le contexte est instable en raison de la violence. La ville semble sûre, mais ce n’est pas le cas.

Le Honduras, moteur des « caravanes »

 

Selon le HCR, 63 % des déracinés centraméricains déclarent avoir migré en raison de violences dans leur pays d'origine (menaces, recrutement forcé de gangs, assassinat d'un membre de la famille, etc.) Environ 75 %  de la population qui migre en « caravanes » sont Honduriens, les 25 % restant sont Guatémaltèques ou Salvadoriens.

 

La violence structurelle et la faiblesse institutionnelle au Honduras l'ont conduit à être désigné comme pays expulsant. Depuis 2011, MSF intervient dans la capitale, Tegucigalpa, en fournissant des soins médicaux complets et des services psychosociaux aux victimes de violences et de violences sexuelles. Entre 2016 et le premier semestre de 2019, les équipes MSF ont donné 10 309 consultations de santé mentale à 4 942 patients victimes de violences et de violences sexuelles. Les principaux diagnostics étaient le syndrome de stress post-traumatique (25,6 %), la dépression (23,5 %) et l'anxiété (16,7 %).

 

Cette année, les États-Unis ont négocié des accords avec le Honduras, le Guatemala et le Salvador, prévoyant la possibilité de rapatrier les demandeurs d'asile dans leurs pays d'origine : un non-sens absurde dans la mesure où ils tentent d'y fuir les violences quotidiennes qui les menacent.

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