Syrie : combattre les fantômes de la torture

Après la chute du régime d'Assad en Syrie en décembre 2024, des prisonniers et détenus ont été libérés de prisons et de services de sécurité réputés pour leurs mauvais traitements et leurs méthodes de torture. MSF a piloté un programme pour les survivants de mauvais traitements dans son projet à Idlib, où nous avons accueilli quelques patients. L'une d'entre elles nous a fait part de son histoire.
Après la chute du régime d'Assad en Syrie en décembre 2024, des prisonniers et détenus ont été libérés de prisons et de services de sécurité réputés pour leurs mauvais traitements et leurs méthodes de torture. MSF a piloté un programme pour les survivants de mauvais traitements dans son projet à Idlib, où nous avons accueilli quelques patients. L'une d'entre elles nous a fait part de son histoire. © Dora Naliesna / MSF

Pendant près de 14 ans de guerre, les arrestations arbitraires se sont multipliées en Syrie, de nombreuses personnes étant détenues sans avoir été jugées. Beaucoup de survivants souffrent de blessures physiques, de traumatismes psychologiques et de problèmes de santé chroniques dus à ces années d'abus, de torture et de négligence systématiques. 

« J'ai été placée en cellule d’isolement et je n’avais pas accès à mes filles, elles aussi emprisonnées. Je n'avais aucune information les concernant », explique Suha*, une femme de 50 ans qui a été arrêtée en 2018 et détenue pendant six ans sans avoir été inculpée. « Je ne me souciais pas des coups que je recevais, j'espérais qu'une fois ces mauvais traitements terminés, je saurais ce qu'étaient devenues mes filles. » 

Comme des centaines de prisonniers, Suha a retrouvé la liberté lorsque les portes des prisons se sont ouvertes, après la chute de l'ancien gouvernement syrien en décembre 2024. Beaucoup d'entre eux ont passé des années en détention dans des conditions très difficiles, privés de nourriture et parfois de soins médicaux, et exposés à des cycles sans fin de mauvais traitements physiques et psychologiques, comme l'ont rapporté les équipes de MSF. 

© Ahmad Amer/MSF

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En réponse à ces besoins médicaux et psychologiques considérables, MSF a lancé un programme destiné aux victimes de torture en Syrie. Ce programme a d'abord été mis en place dans la province d'Idlib, où MSF intervenait déjà. Nos équipes ont ensuite ouvert une clinique spécialisée à Damas, au sein de l'hôpital Al-Mujtahid, avant d'étendre le programme à Kafr Batna, dans la Ghouta orientale, d'où proviennent la plupart des patients. Cette région, historiquement opposée au régime, a été assiégée et lourdement bombardée. 

La clinique pour les victimes de torture propose des consultations médicales générales et une orientation vers des soins de santé secondaires et tertiaires, un soutien psychosocial et des services sociaux qui mettent les patients en relation avec des organisations et associations locales offrant une aide non médicale au-delà du champ d'action de MSF. 

« Être détenu dans des conditions inimaginables, victimes de mauvais traitements qui s'apparentent à de la torture physique et psychologique, a laissé des blessures profondes et durables chez les anciens détenus et prisonniers : des blessures qui nécessitent du temps, du soutien et des soins pour commencer à guérir » explique Laura Guardiola, référente médicale du projet MSF à Damas. 

MSF s'efforce également d'atteindre davantage de femmes, car le très faible nombre de patientes dans les cohortes de patients est préoccupant : moins de 15 % des consultations ont été effectuées avec des patientes au cours des deux premiers mois d'activité de la clinique à Damas. Plusieurs anciennes détenues ont survécu à des violences sexuelles au cours de leur détention, ce qui peut les empêcher de demander de l'aide, principalement en raison de la stigmatisation dont elles sont victimes. 

Si les personnes ont quitté les lieux où elles étaient emprisonnées, elles vivent toujours dans le même pays et leur quotidien leur rappelle leurs expériences horribles, rendant leur réintégration dans la société particulièrement difficile. Suha raconte qu'elle n'oubliera jamais le tunnel de Mezzeh à Damas, où elle a réalisé qu'elle ne rentrerait pas chez elle saine et sauve et qui lui rappellera, à chaque fois qu’elle le traversera, son histoire. 

« Il n'y avait absolument aucune lumière au bout de ce tunnel, raconte-t-elle. Je pense souvent à me venger. Les réactions anormales à des actions normales sont devenues la norme pour moi. Je ne veux pas que la haine et l'amertume prennent le dessus. Je voudrais me débarrasser de tout ce que cette histoire a laissé en moi. » 

Suha est l'une des 113 patientes du programme de prise en charge des victimes de violences mis en place par MSF dans la clinique. Les mêmes services sont proposés dans le cadre de deux autres projets MSF.  

Notes

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