Libye : l’enfer des centres de détention raconté de l’intérieur

Out of Libya: migrants and refugees in Zintan and Gharyan detention centres in Libya
Demandeurs d'asile à une distribution de nourriture à Dhar el-Jebel. Centre de détention de Zintan. Libye. 2019. © Jérôme Tubiana/MSF

Dans les centres de détention de Tripoli, en Libye, les réfugiés, les demandeurs d'asile et les migrants détenus arbitrairement sont agressés, abusés sexuellement et battus. Des exactions répertoriées par MSF dans un nouveau rapport intitulé Vous allez mourir ici, basé sur des témoignages recueillis de l’intérieur.

Au cours de l'année 2023, les équipes MSF à Tripoli ont été témoins des conditions inhumaines dans lesquelles des milliers de personnes, dont des femmes et des enfants, sont arbitrairement détenues dans les centres de détention d'Abu Salim et d'Ain Zara. 

« Nous continuons d'être horrifiés par ce que nous avons vu à Abu Salim et d'Ain Zara, déclare Federica Franco, cheffe de mission MSF en Libye. Les personnes sont déshumanisées, exposées chaque jour à des conditions et à des traitements cruels et dégradants. »

Selon les équipes MSF qui ont apporté une aide médicale dans ces deux centres de détention, les gardes avaient fréquemment recours à des violences massives et arbitraires contre les détenus, en punition pour avoir désobéi à des ordres, ou simplement pour avoir demandé des soins médicaux ou de la nourriture.

Dans le centre de détention d'Abou Salim, où sont emprisonnés uniquement des femmes et des enfants, des détenues ont raconté comment elles ont été soumises à des fouilles intimes, à des passages à tabac, à des agressions sexuelles et à des viols.

Tu vas mourir ici

« Cette nuit-là, elle [la gardienne] nous a emmenées dans une autre pièce de la prison, où se trouvaient des hommes sans uniforme, mais peut-être qu'il s'agissait de gardiens ou de policiers. Quand ce fut mon tour, la femme m'a dit que si je couchais avec lui, je pourrais sortir. J'ai commencé à crier. Elle m'a fait sortir et m'a frappée avec un bâton et j'ai été ramenée dans la grande salle avec les autres femmes. Là, elle m’a dit : “Tu vas mourir ici.” »

Témoignage d'une femme détenue à Abu Salim.

© Sara Creta/MSF

Dans le centre de détention d'Ain Zara, des hommes détenus ont également relaté des pratiques de travail forcé, d'extorsion et d'autres violations de leurs droits fondamentaux. Les prisonniers ont notamment constaté la mort d'au moins cinq personnes en raison de violences ou du manque d'accès à des soins médicaux vitaux. 

Les équipes MSF ont documenté 71 incidents violents survenus entre janvier et juillet 2023, à la suite desquels les médecins ont constaté et soigné des fractures osseuses, des blessures aux bras et aux jambes, des hématomes ou encore des troubles de la vue.

« Des centaines de personnes sont entassées dans des cellules tellement surpeuplées qu'elles sont obligées de dormir en position assise, au milieu de flaques d'eaux usées provenant de débordement de fosses septiques et de toilettes bouchées, explique Federica Franco. Il n’y a pas assez de nourriture et trop peu d’eau pour boire ou se laver. Combiné aux conditions de vie épouvantables, cela a contribué à la propagation de maladies infectieuses telles que la diarrhée aiguë, la gale et la varicelle. »

Des migrants sont détenus arbitrairement et pour une durée indéterminée au centre de détention de Zintan, à Dhar el-Jebel. Libye. 2019
 © Jérôme Tubiana/MSF
Des migrants sont détenus arbitrairement et pour une durée indéterminée au centre de détention de Zintan, à Dhar el-Jebel. Libye. 2019 © Jérôme Tubiana/MSF

À des dizaines de reprises entre octobre 2022 et juillet 2023, les équipes médicales de MSF se sont vu refuser l’accès à ces deux centres de détention et aux cellules individuelles. À Abu Salim, les équipes MSF ont documenté plus de 62 incidents d'interférence dans l'assistance médicale, notamment des violations du secret médical et la confiscation d'articles de première nécessité.

Début juillet 2023, MSF a complètement perdu l'accès au centre de détention d'Ain Zara puis à celui d'Abu Salim en août. Ces événements, ainsi que des entraves répétées au déploiement de l'aide humanitaire, ont orienté le choix de MSF à la de mettre fin à ses activités à Tripoli.

« Après sept années d'assistance médicale et humanitaire à Tripoli, la situation épouvantable à laquelle nous avons assisté dans les centres de détention libyens est le reflet direct des politiques migratoires néfastes de l'Europe visant à empêcher à tout prix les personnes de quitter la Libye et à les renvoyer de force dans un pays qui n'est pas sûr pour eux », conclut Federica Franco.

MSF appelle à la fin des détentions arbitraires en Libye et demande que tous les réfugiés, les demandeurs d’asile et les migrants soient libérés des centres de détention et bénéficient d’une protection significative, d’un abri sûr et de voies sûres et légales pour quitter la Libye.

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