Out of Libya : ouvrir des voies de sortie sûres et légales pour les migrants bloqués en Libye

Transfert de réfugiés du centre de détention de Dhar al-Jebel organisé par l'OIM dans le cadre de son programme de retour volontaire, dans lequel les gens peuvent rentrer dans leur pays d'origine par avion. Les voies légales de sortie de Libye sont très limitées. Certains demandeurs d'asile ont le sentiment de ne pas avoir d'autre choix pour quitter le pays et rejoindre l'Europe que de traverser la Méditerranée, une route migratoire mortelle. Libye 2019.
Transfert de réfugiés du centre de détention de Dhar al-Jebel organisé par l'OIM dans le cadre de son programme de retour volontaire, dans lequel les gens peuvent rentrer dans leur pays d'origine par avion. Les voies légales de sortie de Libye sont très limitées. Certains demandeurs d'asile ont le sentiment de ne pas avoir d'autre choix pour quitter le pays et rejoindre l'Europe que de traverser la Méditerranée, une route migratoire mortelle. Libye 2019. © Jérôme Tubiana/MSF

MSF publie un rapport intitulé Out of Libya qui décrit la faiblesse des mécanismes de protection existants pour les personnes bloquées en Libye. Les rares voies de sortie légale vers des pays sûrs, mises en place par le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) et l’Organisation Internationale des Migrations (OIM) sont très lentes et restrictives.

Résumé exécutif du rapport Out of Libya 

Depuis le lancement en 2016 de nos projets d’assistance aux migrants en Libye, nous rencontrons sans cesse les mêmes difficultés : l’impossibilité de protéger les migrants sur le territoire libyen, d’assurer la continuité des soins pour les patients atteints de pathologies physiques ou mentales graves, et de réhabiliter les victimes de torture. Que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur des centres de détention, les équipes médicales de MSF viennent en aide à des personnes migrantes qui sont victimes ou en danger immédiat de traite, de torture, d’abus sexuels, d’extorsion, et d’autres violences. Faute de pouvoir vivre en sécurité en Libye, ces migrants et réfugiés n’ont d’autre choix que de quitter le pays. 

Ce rapport vise à fournir une vue d’ensemble des voies légales de sortie du pays et à présenter les tentatives de MSF pour faciliter la prise en compte de patients migrants par ces mécanismes. Il tente également de proposer des solutions aux difficultés rencontrées sur le terrain, qui résultent principalement de la réticence des pays tiers et de l’incapacité des agences des Nations unies à respecter pleinement leurs mandats et obligations en matière de protection. Pour remédier à cette situation, MSF propose d’ouvrir des voies de sorties alternatives pour les migrants les plus vulnérables.

Voies de sorties de Libye
 © MSF
Voies de sorties de Libye © MSF

Malheureusement, aujourd’hui, les possibilités d’apporter une protection juridique et physique digne de ce nom aux migrants en Libye sont limitées, et ce bien qu’au moins 600 000 migrants soient présents dans le pays et que depuis longtemps des travailleurs étrangers jouent un rôle crucial dans l’économie libyenne. La plupart entrent sur le territoire de manière irrégulière, risquant la détention en vertu de la loi libyenne, et s’exposant à des menaces d’exploitation, de traite et de violences de la part de leurs employeurs, de trafiquants d’êtres humains ou de milices. Bien que ce régime juridique soit directement hérité de l’ère Kadhafi, l’instabilité persistante et les conflits armés qui déstabilisent le pays depuis la chute du dictateur libyen en 2011 y contribuent également à la précarité des migrants. Diverses milices − dont certaines font office de forces de l’ordre de facto − sont directement impliquées dans le système officiel des centres de détention des migrants, en plus de diriger ou d’être liées à des réseaux de trafic ou de traite d’êtres humains. Que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur des centres de détention « officiels », les migrants sont soumis à un ensemble de violences et d’abus bien documenté, qui font partie intégrante d’un système qui vise à leur extorquer de l’argent en échange de leur libération et de la poursuite de leur périple, toujours avec le risque d’être de nouveau victimes de réseaux criminels. 

 

Réfugiés dans le centre de détention de Dhar al-Jebel, à la porte de l'entrepôt principal où 700 d'entre eux étaient détenus. Depuis 2016, MSF travaille, entre autres, dans des centres de détention où les migrants sont détenus arbitrairement et indéfiniment, fournissant aux détenus des soins de santé de base et un soutien psychosocial. Libye. 2019.
 © Jérôme Tubiana/MSF
Réfugiés dans le centre de détention de Dhar al-Jebel, à la porte de l'entrepôt principal où 700 d'entre eux étaient détenus. Depuis 2016, MSF travaille, entre autres, dans des centres de détention où les migrants sont détenus arbitrairement et indéfiniment, fournissant aux détenus des soins de santé de base et un soutien psychosocial. Libye. 2019. © Jérôme Tubiana/MSF

L’absence de protection et de stabilité favorise l’émergence de trafics de grande ampleur. Par conséquent, les personnes migrantes qui entrent en Libye par des voies terrestres irrégulières se retrouvent souvent détenus par des trafiquants et torturés contre rançon pendant des périodes de plusieurs mois, voire plus d’un an. Être migrant en Libye, c’est risquer d’être arrêté et soumis à des violences extrêmes : arrêté sans possibilité de recours légal, puis détenu dans un centre de détention « officiel » ou vendu à un réseau de traite d’êtres humains. Dans un tel contexte, il est impossible de fournir à ces personnes une protection digne de ce nom. 

Cependant, les voies sûres et légales pour quitter la Libye sont très limitées. Nombre de migrants rentrent chez eux par voie terrestre, en particulier les travailleurs saisonniers des pays voisins, qui s’exposent alors à des risques similaires à ceux auxquels ils ont dû faire face pour rejoindre la Libye. D’autres tentent de traverser la Méditerranée dès qu’ils ont accumulé la somme nécessaire, et ce malgré les risques de plus en plus importants de noyade ou d’interception par les garde-côtes libyens, soutenus par l’Union européenne. Le programme de « retour humanitaire volontaire » de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) offre la possibilité d’un rapatriement vers le pays d’origine, mais le concept de retour « volontaire » est contestable, particulièrement lorsqu’il constitue le seul moyen d’être libéré d’un emprisonnement arbitraire.

Voies de sortie de Libye.
 © MSF
Voies de sortie de Libye. © MSF

Chaque année, seul un nombre limité de personnes considérées comme « relevant de la compétence de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) » bénéficient d’une réinstallation dans un pays tiers. Bien que la limitation des réinstallations découle d’abord d’un manque de places dans les pays tiers, l’incapacité du HCR à mettre en œuvre son mandat de protection – notamment une sélection correcte des personnes nécessitant une protection internationale urgente et une réinstallation sur la base de critères clairs et largement acceptés – pose question. L’incompatibilité entre les mécanismes habituels de réinstallation et circonstances extrêmes en Libye requiert la mise en place de processus d’évacuation adaptés, à même de limiter la mortalité en mer et sur le territoire libyen. 

MSF porte régulièrement assistance à des personnes migrantes qui, pour assurer leur sécurité, n’ont d’autre choix que de quitter le pays. Bien que nous continuions de référer des cas au HCR ou à l’OIM, nous cherchons également à contribuer à d’autres voies d’évacuation humanitaire pour les migrants les plus vulnérables. Les ONG peuvent notamment participer à l’identification de victimes de torture et de traite qui requièrent une évacuation urgente de Libye, et, avec d’autres organisations de la société civile, faciliter et financer l’accueil dans divers pays considérés comme sûrs.

Recommandations

1. Aux « pays tiers » à même d’offrir une protection aux personnes migrants bloquées en Libye : 

I. Accroître les voies de sortie sûres et légales pour les personnes bloquées en Libye. Les migrants, réfugiés et demandeurs d’asile dont les vies sont menacées par des dangers immédiats, notamment dans les centres de détention et d’autres lieux de captivité en Libye, doivent avoir accès à des mécanismes sûrs et légaux pour quitter le territoire libyen. Il convient d’accroître le nombre de places de réinstallation dans des pays d’asile tiers, d’augmenter le nombre de vols d’évacuation humanitaire et de réinstallation, et d’accélérer les processus existants, notamment en accélérant et en fluidifiant les processus de transit par le Niger ou le Rwanda. Les voies dites complémentaires doivent également être développées dans le cadre d’un processus plus ouvert du HCR et en complément à celui-ci. Des modèles permettant l’évacuation humanitaire rapide des personnes nécessitant une protection d’urgence, y compris pour obtenir des soins médicaux vitaux, doivent compléter les mécanismes existants du HCR. Ces modèles pourraient se baser sur des expériences positives en matière de visas humanitaires et médicaux, de couloirs humanitaires, de parrainage et de suivi communautaires ou privés, notamment pour les victimes de torture et de traite nécessitant des soins spécialisés. 

 

2. À l’OIM, à l’Union africaine et ses États membres, et aux autorités libyennes : 

II. Assurer l’évacuation rapide de toutes les personnes qui souhaitent être rapatriées. Cela peut nécessiter que les gouvernements, et en particulier l’UA et ses États membres, mettent en place des procédures spécifiques. 

 

3. Au HCR et aux autorités libyennes : 

III. S’accorder sur une révision des critères du HCR pour la reconnaissance des personnes considérées comme « relevant de la compétence de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés », sans restriction de nationalité, et accorder la priorité en fonction des besoins de chaque personne en terme de protection ; 

IV. S’accorder sur l’extension des activités d’enregistrement et de l’accès du HCR au-delà de Tripoli. 

 

4. Aux autorités libyennes : 

V. Faciliter rapidement les vols d’évacuation organisés par l’OIM, le HCR et d’autres organisations hors de Libye ; 

VI. Signer et ratifier la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés et son protocole de 1967 ; 

VII. Reconnaître officiellement le HCR et lui permettre d’exercer pleinement sa mission ; 

VIII. Libérer immédiatement l’ensemble des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile détenus de manière arbitraire, et mettre fin à la détention arbitraire en Libye ;

IX. Mettre fin aux retours forcés depuis la Libye, en particulier vers les pays où la vie des personnes retournées peut être menacée. 

 

5. À l’Union européenne et à ses États membres ainsi qu’aux autres institutions internationales impliquées en Libye, y compris les Nations unies et leurs agences : 

X. Revoir d’urgence – et le cas échéant suspendre – les accords de coopération actuels avec les autorités libyennes, notamment les programmes et activités de soutien à la gestion de la migration et des frontières en Libye, afin de s’assurer qu’ils fassent preuve d’un devoir de vigilance et qu’elles promeuvent des politiques migratoires fondée sur les droits humains, qui fassent primer la protection de toutes les personnes migrantes, quel que soit leur statut ; 

XI. Veiller à ce que le soutien aux autorités libyennes soit conditionné au respect des obligations suivantes : facilitation rapide et sans heurts des vols d’évacuation organisés par l’OIM, le HCR et d’autres organisations depuis la Libye ; signature et ratification de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés et de son protocole de 1967 ; reconnaissance officielle du HCR et possibilité pour celui-ci d’exercer pleinement son mandat ; libération rapide de tous les migrants, réfugiés et demandeurs d’asile détenus arbitrairement et fin de la détention arbitraire en Libye ; arrêt des retours forcés depuis la Libye, en particulier vers des pays où la vie des personnes retournées peut être menacée ; autorisation d’un accès indépendant pour les organisations humanitaires afin de porter assistance et d’assurer la protection des populations vulnérables. 

XII. Mettre fin à tout soutien politique, financier et matériel au système de retours forcés depuis les eaux internationales de Méditerranée centrale vers la Libye. Comme l’ont reconnu à plusieurs reprises les organisations internationales, y compris les Nations unies et la Commission européenne, la Libye ne constitue actuellement pas un lieu sûr pour le débarquement des personnes sauvées en mer.

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