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La tragédie Rohingya, chapitre 1 : Partir ou mourir

Chapitre 1 : Partir ou mourir 
© Mohammad Ghannam/MSF

Le 25 août 2017 dans l’État de Rakhine, des violences à grande échelle ont éclaté lorsque l’armée birmane, la police et des milices locales ont lancé des opérations en réaction aux attaques de l’Armée du Salut des Rohingyas d’Arakan. Depuis, plus de 647 000 Rohingyas ont fui le Myanmar pour se réfugier au Bangladesh. Des enquêtes menées par MSF dans les camps de réfugiés au Bangladesh estiment qu'au moins 6700 Rohingyas ont étés tués lors de ces attaques, dont 730 enfants.

Chapitre 1 : partir ou mourir

Pour Mohammad, membre de la communauté Rohingya au Myanmar, la vie a toujours été difficile. Mais le 25 août de cette année, elle est devenue un enfer.

« J’étais à la mosquée pour la prière du matin. Vers 5h30, c’était un vendredi matin calme, quand soudain nous avons entendu des hommes entrer dans notre village », raconte Mohammad, un instituteur désormais réfugié et qui vit avec sa femme enceinte dans des conditions déplorables au Bangladesh, comme près d’un million de membres de sa communauté.

Les hommes, dit-il, ont commencé à tirer avec des mitrailleuses et à lancer des grenades sur les fermes et les maisons.

« C’était l’armée et les gardes-frontières qui attaquaient mon village. J’ai vu leurs uniformes », poursuit-il.

La panique a éclaté dans son village. « Tout le monde courait dans toutes les directions, personne ne savait quoi faire. Est-ce que je dois fuir le village ? Est-ce que je dois rentrer à la maison vérifier si ma famille va bien ? Je n’arrivais pas à réfléchir ».

Avec son cousin Seif al-Islam, qui était également à la mosquée, il a décidé de fuir et de se cacher dans la forêt aux alentours jusqu'à ce que les rafales de mitraillette s’arrêtent. Mais pendant leur fuite, Seif a été touché par deux balles - l'une à la tête, l'autre dans le ventre.

Azida qui a reçu une balle dans le bras, et sa soeur sont les seules survivantes de leur famille.

Nour Mohammad a reçu une balle sur la route du Bangladesh. Il est prit en charge à la clinique MSF.

L'armé à tiré sur Mohammad Younes il y a un an.

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Azida qui a reçu une balle dans le bras, et sa soeur sont les seules survivantes de leur famille.

Nour Mohammad a reçu une balle sur la route du Bangladesh. Il est prit en charge à la clinique MSF.

L'armé à tiré sur Mohammad Younes il y a un an.

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Mohammad était tellement terrorisé, qu’il ne s’est pas arrêté et a continué à courir. Tout ce qu’il entendait, raconte-t-il, c’était une pluie de balles continue et le vacarme des gens qui criaient.

Dans la forêt, il a trouvé des centaines d’autres personnes qui se cachaient derrière des arbres. Elles sont restées là toute la journée, terrorisées et craignant une nouvelle attaque. La fusillade a fait rage pendant des heures – du lever au coucher du soleil. « Tout le monde avait peur, priant Dieu, pleurant et se demandant ce qui était arrivé à leurs proches », explique-t-il.

Après la tombée de la nuit, les coups de feu ont cessé. Toutefois ni lui, ni les autres n’ont osé sortir de leur cache et ont passé la nuit en silence, dans la forêt.

Tôt le lendemain matin, Mohammad et les autres ont commencé à rentrer. Alors qu’ils arrivaient dans le village, il a vu un de ses voisins s’effondrer en larmes quand il a découvert ses proches morts ou blessés.

Il imaginait le pire, à mesure qu’il se rapprochait de sa maison – trouver sa femme, sa mère et ses six sœurs tuées.

« Finalement, je suis arrivé à ma maison. En entrant, j’ai trouvé tout le monde en train de pleurer, ils croyaient que j’étais mort. Nous étions tellement sous le choc qu’il n’y a eu à cet instant aucune expression de joie. C’est à ce moment-là que j’ai décidé que nous irions au Bangladesh, où nous pourrions être en sécurité. J’ai promis à ma famille que je prendrai soin d’eux. Personne ne mourrait ici », raconte Mohammad.

La famille a rapidement emporté quelques vêtements et couvertures qu’ils possédaient et sont partis le même jour à 6 heures du matin.

Ils ont payé un pêcheur pour les emmener de l’autre côté de la rivière Naf, qui sépare le Myanmar et le Bangladesh. En l’espace d’une semaine, ils ont trouvé une place dans le camp tentaculaire à Cox’s Bazar au Bangladesh, où avec l’aide d’une ONG, ils ont construit un abri en bambou pour se protéger.

Comme près de 620 000 Rohingyas depuis la répression du mois d’août, ils ont trouvé refuge dans des camps où ils vivent dans des conditions déplorables. Heureux d’être en vie, ils craignent toutefois l’avenir.

Mohammad et sa femme se sont mariés il y a 10 mois et ils attendent aujourd’hui leur premier enfant. « Elle est enceinte de 3 mois, mais mon enfant va naître ici comme un animal », dit-il.

Son père était fermier et est décédé à l’âge de 37 ans. Mais Mohammad s’est démené tout au long de sa jeunesse pour prendre sa vie en main et avoir un impact sur sa communauté. Il a obtenu en 2011 un diplôme de physique de l’université de Sittwe dans l’État de Rakhine, devenant ainsi le premier membre de sa famille à avoir fait des études.

Il est presque impossible pour les Rohingyas d'accéder à l'enseignement supérieur. De sévères restrictions de mouvement affectent également leur accès à l'éducation primaire ainsi qu'aux soins de santé de base. Désireux d'aider néanmoins les jeunes de sa communauté, Mohammad a créé avec sept autres enseignants, sa propre école d’enseignement secondaire dans son village.

Maintenant, avec le village détruit par les flammes et ses rêves d’un avenir meilleur brisés, Mohammad a perdu espoir.

« Nous sommes en sécurité maintenant, mais nous n’avons pas encore séché nos larmes, surtout lorsque nous évoquons ou que nous nous remémorons ce que nous avons vu dans le village », explique-t-il.

« Pas ton pays »

Um Kalsoum, 23 ans, n’a pas eu autant de chance. Elle a perdu son fils de 7 ans, Abdul Hamid et sa fille de 6 ans Salima, le 25 août, lors de l’attaque de la commune de Rauthedaung.

Um Kalsoum a perdu deux enfants lors des tueries du 25 août, seul Abdul Hafiz agé de 18 mois à survécu.
 © Mohammad Ghannam/MSF
Um Kalsoum a perdu deux enfants lors des tueries du 25 août, seul Abdul Hafiz agé de 18 mois à survécu. © Mohammad Ghannam/MSF

Sa famille était à la maison quand le village a été envahi par les assaillants. Au-dessus de nos têtes, dit-elle, volait un hélicoptère.

« Nous avons entendu beaucoup de cris et de coups de feu dans la matinée. Mon fils et ma fille sont sortis en panique de la maison en courant, et immédiatement les soldats leur ont tiré dessus, juste devant notre porte », se souvient la jeune mère.

« J’ai crié leurs noms », poursuit-elle, leur ordonnant de revenir à l’intérieur. Comme ils ne répondaient pas, elle a couru dehors pour les chercher. « Mais j’ai retrouvé mon fils avec le crâne ouvert et ma fille avec une balle dans l’oreille ».

Quelques instants plus tard, Um Kalsoum, son mari et son petit garçon de 18 mois Abdul Hafiz, se sont précipités dans les bois lorsqu’un hélicoptère au-dessus de leurs têtes a lâché « quelque chose » sur leur maison en bois, qui a immédiatement provoqué un incendie.

Alors qu’ils se dirigeaient vers la rivière Naf, comme des milliers d’autres personnes ce jour-là, ils ont été arrêtés par une patrouille de l’armée. « Ils ont violemment frappé mon mari, m’ont volé mon alliance, que mon père m’avait donnée lors de mon mariage. Ils m’ont giflée et nous ont demandé de partir en disant "ce n’est pas votre pays" », raconte-t-elle, ajoutant qu’elle avait perdu l’ouïe à l’oreille droite.

Huit jours plus tard, ils ont atteint la rivière Naf, mais avec tant de familles désespérées de traverser, ils ont mis trois jours à trouver un pêcheur pour les emmener.

Maintenant qu’elle est au Bangladesh, Um Kalsoum fait de son mieux pour assurer la survie de son bébé. Mais Abdul Hafiz a été constamment malade depuis qu’ils sont arrivés dans le camp. Tous les jours, elle l’emmène dans une clinique tenue par MSF dans le camp de réfugiés, cherchant désespérément un remède à sa diarrhée quasi permanente et à sa fièvre.

Son visage émacié est pâle de peur. Elle fait beaucoup plus que son âge. Comme tous les autres bébés dans le camp, son fils n’a pas de couches. Tout ce qu’il porte est un tissu rouge et vert, serré autour de sa tête et de son corps.

« Je suis vraiment triste pour lui », dit la mère endeuillée.

Abdul Salam

Des décennies d'angoisses

Mohammad, le survivant de l’État de Rakhine, explique que sa communauté, avant d’être confrontée à cette violence, a aussi été la cible d’agressions et de discriminations pendant des années.

« Les attaques ne sont pas nouvelles », dit-il. « Elles ont commencé il y a des années. Les militaires tuent, violent, procèdent à des arrestations sommaires et oppriment les Rohingyas de la pire manière. »

Même avant le 25 août, Mohammad et sa famille étaient démunis.

« Les décideurs de la capitale veulent que nous n’ayons rien pour que nous partions », explique-t-il.

Rashida

De fait, la violence et la privation ont été terribles pendant si longtemps, que beaucoup de Rohingyas de la région ont immédiatement su quoi faire lorsqu’ils ont entendu parler de l’escalade de la violence. Mais même pour ceux qui ont fui en pensant s’éloigner des atrocités, c’était trop tard.

« Nous avons appris que l’armée allait venir nous tuer, nous nous sommes alors tous préparés à partir, le dernier jour de l’Eid al-Adha [fête musulmane] le 4 septembre », explique Mohamad Ali, un fermier de 60 ans qui a laissé derrière lui ses terres et ses 25 vaches dans la commune de Sittwe.

Mohammad Ali a perdu sa femme et deux petites filles sur la route du Bangladesh.
 © Mohammad Ghannam/MSF
Mohammad Ali a perdu sa femme et deux petites filles sur la route du Bangladesh. © Mohammad Ghannam/MSF

Avec quelque 1700 autres Rohingyas, sa famille et lui se sont dirigés vers la rivière.

« Quelques heures plus tard, l’armée a attaqué notre groupe avec des armes blanches et des fusils. Ils ont tué au hasard et il y avait du sang partout. Ceux qui étaient trop faibles pour courir ont supplié d’être épargnés, mais même eux ont été tués. Mes deux petites-filles – Del Bahar, 10 ans et Del Nawaz, 15 ans – ont été tuées. Et mon épouse bien aimée, Rohima, qui avait 58 ans, s’est fait tirer dessus à trois reprises, elle est tombée à terre, morte », dit Ali.

Lui et ses huit enfants ont survécu à l’attaque et ont finalement réussi à atteindre le camp. Mais ici les conditions sont difficiles. Il n’y a pas de latrines dans la zone où il s’est abrité avec sa famille, et pas d’accès à l’eau potable.

« Je suis un vieil homme et mes jambes me font souffrir. Je n’ai plus une longue vie devant moi, mais j’espère que mes enfants vivront en paix », avance Ali. « J’espère qu’ils ne nous forceront pas à retourner au Myanmar, nous faire massacrer de nouveau en silence. »

Découvrez la suite de notre série sur la tragédie Rohingya :

Notes

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