Haïti : des milliers de déplacés à Port-au-Prince et une violence qui se généralise

Deux membres des équipes MSF lors d'une intervention auprès des personnes déplacées par la violence, sur le site de Delmas 103. Port-au-Prince. Haïti. 2021.
Deux membres des équipes MSF lors d'une intervention auprès des personnes déplacées par la violence, sur le site de Delmas 103. Port-au-Prince. Haïti. 2021. © Pierre Fromentin/MSF

La violence et l’insécurité se propagent à Port-au-Prince, dans un contexte de crise économique et politique profonde, marquée notamment par l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021. Médecins Sans Frontières, présente depuis 30 ans à Haïti, tente d’apporter une prise en charge aux populations victimes de la violence et de ses conséquences. Soucieuse de préserver la sécurité de ses équipes et de ses patients, l’association a été récemment contrainte de déménager deux de ses structures hospitalières pour les réinstaller dans des quartiers moins touchés par les combats que se livrent les groupes armés.

La violence et les affrontements à Port-au-Prince ont entraîné le déplacement d'environ 19 000 personnes ces derniers mois, dont de nombreuses familles avec des enfants et des personnes vulnérables, ou vivant avec un handicap. Elles ont été violemment expulsées de leurs foyers ou contraintes de fuir pour se mettre en sécurité, notamment à cause des coups de feu tirés en pleine rue, des incendies de maisons et des pillages.

« Je revenais du centre-ville quand j'ai entendu des coups de feu. Je ne pouvais même pas atteindre la maison. Tous mes biens sont partis en fumée. Comme tout le monde dans le quartier, j'ai fui et je suis venue ici, explique Marie-José, veuve et mère de huit enfants, qui vit désormais dans le Parc Celtique, un stade qui sert de refuge aux déplacés dans le quartier de Solino. Nous vivons dans la misère ici, nous n'avons rien. Ce dont nous avons le plus besoin, c'est de nourriture, de latrines et d'un endroit où dormir. »

Annette et ses trois enfants en consultation avec un docteur MSF dans le cadre d'une clinique mobile installée au Parc Celtique, un site informel de personnes déplacées. Port-au-Prince. Haïti. 2021.
 © Pierre Fromentin/MSF
Annette et ses trois enfants en consultation avec un docteur MSF dans le cadre d'une clinique mobile installée au Parc Celtique, un site informel de personnes déplacées. Port-au-Prince. Haïti. 2021. © Pierre Fromentin/MSF

Il existe environ huit sites informels pour les déplacés à Port-au-Prince, situés dans des écoles, des stades et des églises. Les conditions de vie insalubres et la surpopulation de ces sites présentent des risques importants pour la santé physique et mentale des personnes et augmentent les vulnérabilités existantes. Certaines femmes et filles ont signalé des violences sexuelles, du harcèlement et des violences physiques sur ces sites, où elles manquent d'intimité et d'espaces sûrs.

MSF fournit des soins de santé grâce à des cliniques mobiles ainsi qu'un accès à des services d'hygiène et d'assainissement aux personnes déplacées dans le Parc Celtique et au sein d'un autre site, la paroisse Saint Yves dans le quartier de Delmas 5. Les équipes MSF ont également fourni des services aux personnes réfugiées dans un bâtiment scolaire du quartier de Delmas 103, avant leur déménagement en octobre. Malgré ces interventions, les besoins des personnes déplacées ne sont pas tous couverts et ils manquent de nourriture, d’eau, de services d'assainissement et d’abris permanents.

Un camion-citerne entre dans un camp informel de personnes déplacées par la violence. Port-au-Prince. Haïti. 2021.
 © Pierre Fromentin/MSF
Un camion-citerne entre dans un camp informel de personnes déplacées par la violence. Port-au-Prince. Haïti. 2021. © Pierre Fromentin/MSF

Victimes ordinaires de violences aveugles 

« Beaucoup de gens dorment dehors sur du béton chaud ou humide, sans matelas, et il y a un manque d'eau potable et de nourriture, explique Mariana Cortesi, coordinatrice médicale de MSF. Sur certains sites, il n'y a pas de douche du tout, donc les gens se lavent avec des seaux, à l'air libre ou derrière des bâches. Parfois, ces personnes n'ont accès à aucunes latrines et sont donc obligées de recourir à la défécation à l'air libre. Ces conditions, associées à la surpopulation, sont propices à la propagation d’épidémies de maladies infectieuses telles que les maladies diarrhéiques et la Covid-19. » 

La violence et l’insécurité croissantes menacent la quasi-totalité des habitants de Port-au-Prince. Un membre du personnel MSF de l'hôpital de Tabarre a été tué par balle alors qu'il rentrait du travail en mai 2021. Les équipes médicales de MSF reçoivent chaque jour des patients blessés par balle, au couteau ou agressés à Port-au-Prince. « Lorsque des affrontements armés éclatent dans certains quartiers de Port-au-Prince, ils nous arrivent de recevoir des dizaines de patients blessés en une journée. Nous faisons de notre mieux pour fournir des soins médicaux de qualité à tous, même si cela est parfois très difficile pour les équipes », explique Tania Joachim, infirmière de bloc à l'hôpital MSF de Tabarre.

 

Une victime d'accident de la route arrive en ambulance à l'hôpital MSF de Tabarre à Port-au-Prince. Haïti. 2021.
 © Pierre Fromentin (MSF)/MSF
Une victime d'accident de la route arrive en ambulance à l'hôpital MSF de Tabarre à Port-au-Prince. Haïti. 2021. © Pierre Fromentin (MSF)/MSF

Les patients décrivent des événements violents qui peuvent survenir soudainement. Manuelle Lina, enceinte de jumeaux, revenait d'un marché lorsqu'elle a été heurtée par des véhicules fuyant une fusillade entre groupes armés. Grièvement blessée, elle a été admise aux urgences de l'hôpital MSF de Tabarre : « J'avais un pied et quelques côtes cassées. Le personnel médical a également effectué une échographie, et mon petit garçon et ma fille bougeaient normalement, mais le lendemain, je les avais perdus tous les deux. » 

En 2021, le centre d'urgence de MSF de Turgeau a traité en moyenne 150 patients blessés par balles chaque mois. Toutefois, MSF a décidé de le déplacer. Le quartier de Martissant, où il était installé, n'était plus suffisamment sécurisé en raison de l’intensification des combats entre groupes armés rivaux et de tirs nourris qui menaçaient autant les équipes que les patients. L'hôpital MSF de Tabarre reçoit également de nombreux patients victimes de traumatismes graves, dont près de la moitié sont une conséquence des violences qui sévissent dans la capitale (blessures par balles ou par armes contondantes). Le centre de Tabarre disposant d’équipes chirurgicales spécialisées dans la prise en charge des blessures lourdes, un système de transfert est organisé entre ces deux structures.

Un patient blessé par balle en cours de transfert vers le bloc opératoire de l'hôpital MSF de Tabarre. Port-au-Prince. Haïti. 2021.

 
 © Pierre Fromentin (MSF)/MSF
Un patient blessé par balle en cours de transfert vers le bloc opératoire de l'hôpital MSF de Tabarre. Port-au-Prince. Haïti. 2021.   © Pierre Fromentin (MSF)/MSF

Le nombre de personnes en Haïti, et en particulier de filles et de femmes, qui déclarent avoir subi des violences sexuelles continue d'être alarmant, notamment à Port-au-Prince. En Haïti, une femme sur huit âgée de 15 à 49 ans a été victime de violences sexuelles et sexistes au cours de sa vie. MSF gère un service d'assistance téléphonique gratuit ouvert 24h/24 et 7j/7 et deux cliniques spécialisées : la clinique Pran Men'm, à Port-au-Prince, ainsi qu'un nouveau projet de santé sexuelle dédié aux adolescents à Gonaïves.

Depuis 2015, MSF a soigné plus de 7 000 survivants de violences sexuelles, dont plus de la moitié étaient des mineurs. Ces dernières semaines, nos équipes ont documenté un changement dans la nature de ces violences, plusieurs survivants déclarant avoir été victimes d'enlèvements et de violences sexuelles, la plupart des incidents impliquant un ou plusieurs agresseurs armés.

Accès aux soins entravé

Les survivants de la violence sexuelle et sexiste sont confrontés à de nombreux risques lorsqu'ils demandent des soins médicaux et une protection juridique. La honte, la stigmatisation, la peur de la divulgation et des conséquences sociales, ainsi que les difficultés d'accès aux établissements de santé empêchent les patients de rechercher des soins. Dans certains quartiers où la violence est plus répandue, les gens ne peuvent pas entrer et sortir librement de la zone ou ont peur de le faire.

L'insécurité croissante a également contraint les établissements de santé à fermer ou à réduire leurs services, limitant considérablement l'accès aux soins dans certains quartiers de la capitale. En février 2021, des affrontements armés ont poussé MSF à déplacer son programme de prise en charge des grands brûlés de Cité Soleil à Tabarre.

Vue générale de la clinique mobile MSF installée au Parc Celtique, un site informel de déplacés dans le quartier de Solino. Port-au-Prince. Haïti. 2021.
 © Pierre Fromentin/MSF
Vue générale de la clinique mobile MSF installée au Parc Celtique, un site informel de déplacés dans le quartier de Solino. Port-au-Prince. Haïti. 2021. © Pierre Fromentin/MSF

La récente pénurie de carburant a aggravé les difficultés, pour les établissements médicaux, de rester ouverts et pour les patients, y compris les victimes de violences sexuelles et sexistes, de les atteindre. « Les frais de transport dans la capitale ont quintuplé, ce qui signifie que de nombreuses personnes n'ont pas pu se rendre dans les établissements de santé qui restent ouverts, à moins de marcher pendant des heures, car les transports sont soit très chers, soit tout simplement indisponibles », explique Mariana Cortesi.

Les pénuries de carburant ont touché tous les secteurs, y compris les institutions publiques, les banques, les services d’approvisionnement en eaux, les magasins et les prix des produits de première nécessité, rendant la vie quotidienne extrêmement difficile.

Face à cette insécurité continue, le maintien des services de santé en Haïti est devenu un défi : « La situation en Haïti est catastrophique, conclut Tania Joachim. Je ne sais pas ce que nos patients feraient si on ne pouvait plus leur fournir des soins de santé. »

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