Témoignage de Saada, Yémen : « Plus de 90 % de nos patients portent les stigmates des raids aériens »

Dr Mariela Carrara médecin urgentiste au Yémen.
Dr Mariela Carrara, médecin urgentiste au Yémen. © MSF

Le Dr Mariela Carrara, médecin urgentiste, travaille avec MSF à Saada, au Yémen, depuis mai 2015. Elle raconte de quelle manière les équipes MSF ont réagi suite à l’attaque survenue le 21 janvier dernier à Dhayan, au nord-ouest de Saada, au cours de laquelle six personnes ont trouvé la mort, dont l’un de nos chauffeurs d’ambulance.

« Quand je suis arrivée à Saada pour la première fois, au mois de mai, la ville subissait des raids aériens quotidiens. Nous vivions au sous-sol de l’hôpital, car les bombardements étaient très proches. À chaque explosion, nous sentions les fenêtres et les portes trembler. Deux mois plus tard, la ville avait été presque entièrement détruite et s’était vidée de toute présence humaine.

Aujourd’hui, les raids aériens ont le plus souvent lieu à une vingtaine de kilomètres d’ici, vers la frontière avec l’Arabie Saoudite. Notre équipe ne vit plus au sous-sol, mais dans une maison non loin de là. Des habitants sont revenus dans la ville. Ils vivent dans les immeubles qui tiennent encore debout. Quelques magasins sont ouverts, et l’on peut acheter des fruits et des vêtements au marché.

Mais au-delà de la ville, dans les zones où de nombreux déplacés se trouvent, les conditions de vie sont extrêmement difficiles. Les populations vivent dans de petites tentes et ont du mal à avoir accès à l’eau et aux soins. Il y a dix jours, nous avons distribué des produits de première nécessité à quelques déplacés.

L’hôpital a beaucoup changé depuis mon arrivée. Du fait des besoins des populations en soins d’urgence, le nombre de lits est passé de 30 à 94. Le service de soins intensifs s’est doté de lits supplémentaires, passant de 7 à 16. En tant que médecin urgentiste spécialisée en médecine interne, je passe la plupart de mon temps aux urgences et dans le service des soins aux hospitalisés.

Plus de 90 % de nos patients sont des blessés de guerre, et portent les stigmates des raids aériens. Le 21 janvier, une attaque aérienne à Dhayan, à 22 km au nord-ouest d’ici, a fait de nombreuses victimes et beaucoup de blessés. Après l’arrivée des secours, une autre attaque a eu lieu, tuant encore plus de personnes. Un de nos chauffeurs d’ambulance est mort, tout comme les quatre ou cinq blessés qu’il transportait.

Les premiers patients ont été admis à trois heures de l’après-midi, amenés par des civils dans leurs véhicules personnels. D’autres blessés étaient en train d’être acheminés. Ces cinq ou six premiers patients étaient dans un état critique ; certains ont dû être réanimés en urgence.

Nous avons immédiatement déployé notre plan d’urgence de masse : du personnel supplémentaire a été appelé, des fournitures médicales ont été apportées, des tentes ont été montées à l’extérieur de l’hôpital à la fois pour trier et pour prendre en charge les patients dans un état stable, mais aussi pour libérer des lits. Une troisième salle d’opération a également été ouverte.

Lorsque les autres blessés sont arrivés quelques minutes plus tard, tout était en place. Nous avons fait du bon travail d’équipe. Nous avons connu tellement de plans d’urgence que chacun sait ce qu’il a à faire.

Nombre de patients devaient être immédiatement conduits en salle d’opération, dès leur admission. Nous avons quatre chirurgiens extraordinaires :deux généralistes et deux orthopédiques. Le travail était colossal. À sept heures du soir, nous avions admis 41 blessés.

Le chauffeur d’ambulance qui a été tué travaillait à l’hôpital depuis longtemps ; tout le monde le connaissait. Quand nous avons appris la nouvelle du raid aérien, il a été le premier à monter dans son véhicule pour secourir les gens. Il était comme ça, c’était un homme bon et dévoué, toujours prêt à aider. Nous avons tous été profondément attristés par sa mort.

Après l’attaque sur l’hôpital de Haydan, en octobre, et celle sur l’hôpital de Shiara, en janvier, le nombre de patients avait fortement diminué, car les gens avaient peur que les hôpitaux soient visés. Cependant, après quelques semaines, nous avons vu les patients revenir. En plus des blessés de guerre, nous prenons en charge davantage de patients atteints de maladies chroniques, nous réalisons plus d’accouchements à la maternité, et plus de femmes viennent pour bénéficier des soins prénataux et du service de planning familial. Par conséquent, nous avons renforcé notre effectif de sages-femmes.

Même si les conditions sont difficiles et que le travail est un vrai défi, je suis contente de travailler ici. Les Yéménites sont extrêmement gentils et apprécient l’aide que nous leur apportons. En retour, nous essayons de faire du mieux que nous pouvons pour eux. »

EN SAVOIR PLUS

► Consulter notre dossier sur la crise au Yémen

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