Témoignage de République centrafricaine : « Il faut un tel sentiment de haine pour en arriver là »

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RCA, bloc chirurgical, hopital communautaire © Jean-Paul Delain

A 75 ans, le Dr Eugène Planet continue de partir régulièrement en mission avec MSF. Médecin anesthésiste, il vient de passer trois semaines à l’hôpital communautaire de Bangui, en République centrafricaine, où il a pris en charge près d’une centaine de blessés en huit jours de présence au service des urgences. Il témoigne de son expérience.

« Nous réhabilitons actuellement l’hôpital général de Bangui. En attendant d’y travailler, nous avons exercé dans l’hôpital communautaire, l’un des seuls à ma connaissance à disposer d’un bloc chirurgical fonctionnel aujourd’hui à Bangui. A l’exception du bloc opératoire dans lequel nous avons opéré entre le 22 et le 31 janvier, les conditions sanitaires étaient déplorables.

Au cours de cette période, nous avons essentiellement pris en charge des blessés graves. Nous recevions des victimes de plaies par balles, par machette, par éclat de grenade ou par flèches.

Ce qui m’a vraiment impressionné, c’est le grand nombre de blessures constatées sur un seul blessé, la gravité de ces blessures et surtout l’acharnement qu’ils traduisent : des deux côtés, on sentait véritablement la volonté de faire mal, la volonté de tuer, par balles, mais aussi par décapitation, égorgement, section de l’épaule ou plaies de défense caractérisées par des bras ou des avant-bras sectionnés, ou en lambeaux. Entre nous, nous parlions de « poly-machettés » : les deux épaules, les deux bras, les cuisses, les flancs… Ils arrivaient parfois couverts de sable, couverts de boue. Honnêtement je n’avais jamais vu de blessures aussi graves. Tu te dis que ça n’est pas possible. Il faut un tel sentiment de haine pour en arriver là.

Les blessés que nous avons soignés étaient essentiellement des hommes jeunes, des combattants ou en tout cas des personnes ciblées, entre 18 et 25 ans. Au cours de ces journées passées au bloc, j’ai vu un adolescent de 17 ans parmi les blessés, mais aucun enfant. Très peu de femmes, moins d’une dizaine, avec des plaies par balles plutôt au niveau des jambes et un vieillard, ceux-là donnant moins l’impression d’être une cible. Ce constat ne saurait toutefois résumer toute la violence de la rue. On ne recevait que ceux qui avaient survécu. Certains sont morts aux urgences sans même arriver au bloc. Ca tirait aussi pendant la nuit : on ne retrouvait parfois les corps qu’au petit matin, en tout cas c’est ce qu’on nous disait.

Pendant cette dernière semaine de janvier particulièrement violente, je ne me suis pas senti particulièrement en danger. D’abord parce que la coordination de la mission nous inspirait confiance : au-delà du couvre-feu, on attendait son feu vert avant de sortir de l’hôpital le soir vers 10-11 heures et de rentrer à la base. Mais aussi parce qu’à l’âge que j’ai, on a peut-être une appréhension de la vie un peu différente. Avec mon collègue nous nous sommes d’ailleurs fait rappeler à l’ordre, parce que nous faisions un peu trop abstraction du monde extérieur. A force de travailler dans une bulle, ce serait en effet trop con d’être touché par une balle ! D’autant qu’il y a eu une attaque dans l’hôpital au cours de ma présence. Un type est venu le matin chercher ses médicaments, il a été poursuivi jusque dans l’hôpital. Le mec qui était avec lui a aussi été poursuivi et on lui a tiré dessus. L’infirmier se trouvait à un mètre de lui. Il était livide. Mais, même dans les pires moments, il n’y a jamais eu de faille entre nous et dans les équipes. On aurait pu imaginer la peur ou l’angoisse qui font paniquer ou fuir. Mais non, au contraire, on a fait bloc. »

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