Soudan du Sud : l’impasse des déplacés d’Aburoc

Les combats intenses entre les forces gouvernementales et celle de l’opposition nommées « Agwelek » ont forcé la population à fuir de Kodok à Aburoc. Avril 2017. Anthony Jovannich/MSF
Les combats intenses entre les forces gouvernementales et celle de l’opposition, nommées « Agwelek », ont forcé la population à fuir de Kodok à Aburoc. Avril 2017. © Anthony Jovannich/MSF © Anthony Jovannich/MSF

Un an après le début des combats dans la région du Nil Supérieur au Soudan du Sud, des milliers de déplacés qui ont fui la violence restent à Aburoc, un village situé dans le nord-est du pays, près de la frontière avec le Soudan. Malgré les conditions de vie extrêmement difficiles, un retour n’est pas envisageable : dans leurs villages d'origine, les tensions persistent et l'insécurité y est toujours grandissante.

En mai 2017, plus de 38 000 personnes se sont réfugiées à Aburoc. Lors de leur arrivée, le village était dépourvu de tout : il n’y avait ni abri, ni eau, ni nourriture. Par ailleurs, les affrontements entre les forces du gouvernement et de l’opposition se rapprochaient et la communauté envisageait à nouveau de se déplacer.

Au cours de ces mois de conflits, de nombreuses personnes ont continué leur fuite plus loin, vers le nord. Il reste aujourd’hui un marché, quelques boutiques de thé, quelques églises et même un atelier de réparation de vélos. Les tracteurs lourdement chargés du Soudan fournissent les étals, mais l’argent pour acheter des marchandises fait défaut.

Des conditions de vie extrêmement précaires

Ana, une mère de sept enfants, déplacée à Aburoc, explique la dure réalité de ceux qui recommencent à zéro : « Nous avons d’abord fui la ville de Malakal, mais l’année dernière, les combats nous ont obligés à déménager deux fois, car nos maisons ont été détruites. »

La plupart des déplacés vivent dans des abris en osier tressé avec de vieilles bâches en plastique en guise de toits. Les conditions de vie ne sont que légèrement meilleures par rapport à l’époque où ils vivaient dehors.

Début février 2017, un petit hôpital de terrain a été ouvert à Aburoc pour accueillir ces déplacés. « Dans les premiers jours, nous avons principalement vu des patients atteints de maladies respiratoires, de diarrhée et de diverses maladies liées à l’exposition aux éléments. Nous étions très inquiets pour les patients qui avaient besoin de médicaments, comme ceux qui vivent avec le VIH », explique Irenge Lukeba Landry, responsable des activités médicales de MSF à l’époque.

« Alors que certains pensent à leur avenir, d’autres déplacés sont encore mentalement et physiquement épuisés par l’épreuve de l’année dernière », explique Paiva Dança, coordinateur de projet MSF pour Aburoc.

L’approvisionnement en eau est une mesure nécessaire pour améliorer les conditions d'hygiène et pour éviter la propagation des maladies, comme le souligne Jaume Rado, coordinateur de mission de MSF au Soudan du Sud : « Il y a huit mois, le camp a été touché par une épidémie de choléra. Si nous voulons éviter que de telles épidémies se déclarent à nouveau, les normes de quantité et de qualité de l’eau doivent être maintenues ».

L’eau est rare à Aburoc. Novembre 2017.  ©Philippe Carr/MSF

L’eau est rare à Aburoc. Novembre 2017.  © Philippe Carr/MSF

Par ailleurs, les rations alimentaires sont si faibles que de nombreux déplacés doivent trouver d’autres moyens de gagner leur vie pour pouvoir acheter l’essentiel : ce qui dans ces conditions s'avèrent le plus souvent impossible. Certains travaillent quotidiennement pour des ONG, d’autres fabriquent et vendent du charbon de bois. La distillation et la vente d’alcool de contrebande local, nommé « Marrisa », est également une activité assez répandue et permet surtout à ceux qui n’ont plus un soutien familial solide, comme les veuves, de gagner quelques livres sud-soudanaises.

Au cours des prochains mois, en raison de la saison des pluies, la communauté de 8 500 personnes devra prendre une décision importante : rentrez chez eux ou continuer leur vie dans ce village, où les conditions de vie deviennent de plus en plus difficiles.

Si d’un côté les conditions de vie dans les camps sont extrêmement difficiles, de l’autre côté, l’insécurité qui prévaut dans les villages d’origine n’incite pas les déplacés à quitter Aburoc. « La paix est fragile dans cette partie du Soudan du Sud », ajoute Jaume Rado. « Ces déplacés ont besoin de se sentir suffisamment en sécurité à l’idée de rentrer à la maison quand le moment viendra. »

Partir ou rester ?

Les réfugiés ont très peu de perspectives. Rester à Aburoc, pour une année ou plus, et risquer de voir les conditions dégénérer davantage avec une diminution de l’accès à l’eau propre, rentrer dans leurs villages où ils feront vraisemblablement face à la même violence qu’ils avaient fuie au départ ou enfin, se réfugier dans le nord du Soudan, loin des amis et de la famille, où les conditions de vie dans les camps de réfugiés sont également difficiles.

Toutefois, abandonner ses proches et ses propres racines reste une solution de dernier recours, comme l’explique une femme : « Le Soudan n’est pas ma maison. Je n’irai au nord que si la situation de l’eau empire. Sinon, je resterai ici. »

Le camp des déplacés à Aburoc. Des huttes de fortune sont désormais la maison de beaucoup de déplacés qui ont fui les combats dans les villages voisins. Juillet 2017. © Fernando Bartolomew/MSF

Le camp des déplacés à Aburoc. Des huttes de fortune sont désormais la maison de beaucoup de déplacés qui ont fui les combats dans les villages voisins. Juillet 2017. © Fernando Bartolomew/MSF
 

Comme beaucoup d’autres qui rêvent de rentrer chez eux, une femme a pris la décision de regagner son village d’origine : « Je rentrerai dans les prochaines semaines, quoi qu’il puisse se passer. C’était un endroit agréable et ma famille serait mieux là-bas. » 

Bien que l’avenir de cette communauté soit incertain, MSF continue à porter assistance aux déplacés : « Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour soutenir le droit des personnes à rester à Aburoc ou à retourner dans leurs foyers. Dans ce cas, cela signifie fournir des services médicaux et humanitaires où les communautés décident de vivre », déclare Jaume Rado.

EN SAVOIR PLUS

► Consultez notre dossier détaillé sur le conflit au Soudan du Sud et les réfugiés dans les pays voisins

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