Sauvetage en Méditerranée centrale : « En Libye, j’étais un mort en sursis »

Abdoulie, à bord du Geo Barents, le navire MSF de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale. 2022.
Abdoulie, à bord du Geo Barents, le navire MSF de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale. 2022. © Anna Pantelia/MSF

Abdoulie a 27 ans et est originaire de Gambie. Il  a été secouru en Méditerranée centrale en mars 2022 par les équipes MSF qui continuent leurs activités de sauvetage à bord du Geo Barents. Il témoigne des sept années qu’il a passées en Libye, avant de réussir à s’en échapper.

J'ai quitté la Gambie en 2014 dans l’espoir d’améliorer mon sort. J'ai tenté ma chance dans de nombreux pays, en commençant par le Sénégal, avant de voyager au Mali, au Burkina Faso et au Niger. J'ai travaillé et économisé un peu d'argent pour traverser le désert. Quand je suis arrivé en Libye, le passeur m'a escroqué et je me suis retrouvé dans un centre de détention. Là-bas, si vous n'avez pas d'argent, ils vous battent et vous laissent sans nourriture pendant près de deux jours. Si vous avez de l'argent, ils peuvent vous vendre un paquet de pain grillé pour cinq dinars libyens [un euro]. L'eau que nous buvions était toujours sale et il n'y en avait pas assez pour tout le monde. Souvent, nous devions boire l'eau des toilettes. Avant de nous donner la nourriture, ils nous battaient très violemment.

Une des personnes avec qui j'étais ami dans la prison a été battue à mort. Cet homme venait de Côte d'Ivoire et n'avait pas les moyens de payer. Il a été tellement battu qu'il a perdu presque toutes ses dents. Son ventre était gonflé à cause des coups et il vomissait tout ce qu'il mangeait. J'essayais d'écraser des pommes de terre bouillies et de le nourrir, mais il ne faisait que vomir. Ses jambes étaient complètement cassées et il ne pouvait même pas aller aux toilettes. J'étais là quand il est mort.

Des rescapés dorment sur le pont du Geo Barents. 2022. 


 

 © Anna Pantelia/MSF
Des rescapés dorment sur le pont du Geo Barents. 2022.    © Anna Pantelia/MSF

Dans ces prisons, soit vous payez, soit vous mourrez. Ils vous torturent jusqu'à ce que vous les payiez. J'ai vu des gens se faire torturer et électrocuter. S'ils comprennent que jamais vous ne paierez, ils peuvent vous casser les bras et les jambes, et vous abandonner quelque part en ville. Si vous essayez de vous échapper de la prison, ils vous tirent dessus. J'ai vu plus de 10 personnes se faire tuer. 

Tout le monde est sans papiers là-bas, car si vous avez des papiers, ils les déchirent. Quand quelqu'un meurt, ils jettent simplement son corps dans le désert. Des femmes en prison nous disaient qu'elles se faisaient kidnapper et violer. Elles ont également été contraintes à la prostitution.

En Libye, j’étais un mort en sursis. Après être sorti de prison, je sentais que j’étais entouré d'ennemis.  Dans la rue, les gens me jetaient des pierres ou me crachaient au visage. Je ne pouvais rien faire contre cela. J'ai trouvé un travail dans le bâtiment, et je gagnais environ 40 dinars libyens [7,80 euros] par jour. Je louais une maison avec d'autres personnes, mais je devais aussi économiser de la nourriture et de l'argent pour atteindre l’Europe. C’était compliqué de mettre des sous de côté, c’est pour cela qu’il m'a fallu si longtemps pour traverser.

Sauvetage de 113 personnes en détresse en Méditerranée centrale. 2022.


 

 © Anna Pantelia/MSF
Sauvetage de 113 personnes en détresse en Méditerranée centrale. 2022.   © Anna Pantelia/MSF

Lors de ma première tentative, nous avons été arrêtés par les garde-côtes libyens. Ils ont commencé à nous insulter en nous traitant d'ânes et ils nous ont demandé de nous diriger vers leur bateau. Nous devions suivre leurs ordres sinon ils nous tiraient dessus. Ils ont tiré sur d'autres bateaux par le passé. Ils nous ont remis en prison et ont pris tout notre argent, nos téléphones et toutes nos affaires. Ils ont recommencé à nous demander de l'argent, mais j'avais tout dépensé pour la traversée et je n'avais aucun moyen de communiquer avec ma famille pour leur demander de l’aide. De toute façon, j’étais certain qu'ils ne pourraient pas se permettre de m'envoyer la somme nécessaire, alors je n'avais que Dieu à ce moment-là. Il était le seul à pouvoir m'aider.

Lors de la deuxième tentative de traversée, nous avons passé plus de 11 heures en mer. Je n'avais pas peur de mourir. Je préférais mourir en mer plutôt que de retourner en Gambie les mains vides. Il m'a fallu sept ans pour atteindre l’Europe, je n'ai pas vu ma famille pendant tout ce temps alors je voulais continuer à me battre pour une vie meilleure. Je pense au jour où je serai en Europe depuis que j'ai 19 ans.

À l'époque, je ne pensais qu'à mon rêve, celui de poursuivre mes études.  Mais maintenant, mon objectif principal est de revoir mes parents avant qu'ils ne meurent. Ils m'ont dit qu'ils se fichaient que j'aie de l'argent ou non, qu'ils voulaient me revoir. Je veux qu'ils soient fiers de leur fils.

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