« Pourquoi suis-je encore en vie ? », le désespoir des habitants de Beyrouth

Hoda et son père chez eux
Chahadeh Tabbal, 86 ans, et sa fille Hoda, 60 ans, sont au chômage compte tenu de la crise économique. Le seul soutien qu'ils reçoivent vient des associations locales et de la seconde fille de Chahadeh. Ils vivent dans le quartier Geitawi à Beyrouth, situé près du site des explosions du 4 août. Leurs fenêtres ont été brisées par ces explosions, mais ils n'ont pas l'argent pour les réparer.  © Mohammad Ghannam/MSF

Le 4 août 2020, d'importantes explosions ont détruit le port de Beyrouth et ses environs. Déjà en proie à une crise politique, ces événements ont déstabilisé davantage l'économie et précipité le Liban dans une situation précaire. Les équipes de Médecins Sans Frontières proposent des consultations médicales et psychosociales lors de visites à domicile. Témoignages.

Leur bel appartement dans le centre de Beyrouth n'est plus que l'ombre de lui-même. Des souris peuplent l'entrée, des sacs de pain rassis jonchent une chaise du salon, des boîtes vides de médicaments côtoient des tasses de thé croupi sur la table. Sans revenu pour acheter de la nourriture, la famille compte sur les aides des ONGs pour rester en vie. Pour Hoda, 60 ans, se lever le matin est un combat. Déprimée, elle ne voit aucun sens à son existence.

« Pour ma mère, tant que nous avons de la nourriture sur la table - même si elle provient d'une soupe populaire - et un lit pour dormir, nous devrions être reconnaissantes, raconte Hoda, qui vit avec ses parents. Mais je ne peux toujours pas me lever le matin. Chaque jour, je me demande : pourquoi suis-je encore en vie ? Quand ma souffrance prendra-t-elle fin ? »

Longtemps en proie à la violence politique, la pauvreté et la guerre, Beyrouth a toujours réussi à s'en sortir, presque par magie. Mais cette année est différente : la crise monétaire, la pandémie de coronavirus et les explosions sur le port ont tellement déstabilisé la ville que beaucoup de gens peinent à se relever.

Psychologues et psychiatres présents sur le terrain sont témoins de l'impact de la crise sur les patients. « Les gens se sentent désespérés. Cela s'accompagne de stress, de troubles du sommeil et de troubles de l'alimentation, explique Hussein, psychiatre clinicien pour MSF. Les principaux diagnostics de mes collègues et moi ces dernières semaines sont la dépression et l'anxiété. »

« Nous avons perdu la sécurité de nos propres maisons »

Les patients qui souffraient déjà avant les explosions de maladies mentales, telles que la schizophrénie ou la psychose, ont vu leurs symptômes s'aggraver. Pour les personnes sans antécédents de maladie mentale, l'hyper-vigilance et la peur extrême sont devenues un nouveau mode de vie.

« Nous traitions une mère de famille d'une quarantaine d'années, qui menait une vie normale et confortable, dit Hussein. Sa maison donne sur le port. Depuis les explosions, elle n'a quitté la maison qu'une seule fois. » Hussein se souvient d'un autre patient, un homme à la vie confortable, qui, depuis les explosions, se bat tous les jours contre des pensées suicidaires.

« L'habitat est censé être un lieu sûr et réconfortant », dit Hussein. Mais le 4 août, les maisons de centaines de milliers de Libanais ont été endommagées ou détruites par des explosions si importantes qu'elles ont été ressenties bien au-delà des limites de la ville. « Nous avons perdu la sécurité de nos propres maisons », ajoute-t-il.

Le quartier Gemmayze de Beyrouth, autrefois rempli de bars, cafés, galeries et autres commerces, a été gravement endommagé par les explosions qui ont anéanti la zone portuaire le 4 août.
 © Mohammad Ghannam/MSF
Le quartier Gemmayze de Beyrouth, autrefois rempli de bars, cafés, galeries et autres commerces, a été gravement endommagé par les explosions qui ont anéanti la zone portuaire le 4 août. © Mohammad Ghannam/MSF

Hussein et son équipe effectuent des visites à domicile et proposent des consultations par téléphone ; un échange salvateur pour ceux qui n'ont personne à qui parler. « La solitude est l'un des sentiments les plus difficiles qu'une personne peut ressentir lorsqu'elle est blessée », dit Hussein.

Aucun avenir

Najah, 71 ans, vit dans le quartier de Karantina, près du site des explosions. Il a travaillé toute sa vie pour donner à ses cinq filles l'éducation qu'elles méritent. Plus tôt cette année, il a perdu son travail en raison de la pandémie de Covid-19. Désormais sans emploi, il vit de l’aide de ses enfants. « Laissez-moi vous parler de Beyrouth, dit-il. Rien ne va dans cette ville. Il ne s'agit pas seulement de la corruption et des politiciens. Le pays ne fonctionne tout simplement pas correctement. Les paillettes que vous voyez de l’extérieur ne sont qu'une façade. Ici, sans relation, vous n’êtes personne, vous ne pouvez même pas décrocher un emploi. »

Fadi, 52 ans, vit avec sa fille dans un appartement près du port. Leur maison a été largement endommagée par l'explosion, mais ils n'ont pas les moyens de la réparer. Ils doivent attendre qu'une association leur vienne en aide. « Il n'y a pas d'avenir. Que puis-je faire ? », dit-il.

Aider les personnes âgées

Dans le contexte actuel, l’assistance fournie par le personnel MSF va au-delà de l'offre de soins purement médicaux. « Les gens ont besoin de toute aide. Ils sont anxieux, déprimés et ont peur que ce genre d'explosion ou tout autre événement tragique ne se reproduise », explique Dr Aline, médecin pour MSF.

MSF effectue des visites à domicile, en particulier chez les personnes âgées qui ne peuvent pas quitter leur domicile, pour fournir consultations et médicaments si nécessaire. Pour ceux qui ne peuvent aller au supermarché, l'équipe distribue également de la nourriture. 

Obaid Ibrahim, 81 ans, vient de Palmyre, en Syrie. Il ne peut pas marcher et il a constamment besoin d'aide. Il vit avec la famille de son fils dans le garage d'un mécanicien. 
 © Mohammad Ghannam/MSF
Obaid Ibrahim, 81 ans, vient de Palmyre, en Syrie. Il ne peut pas marcher et il a constamment besoin d'aide. Il vit avec la famille de son fils dans le garage d'un mécanicien.  © Mohammad Ghannam/MSF

« Plusieurs hôpitaux de Beyrouth ont été endommagés par les explosions. De ce fait, les personnes qui pourraient avoir besoin d'une hospitalisation ne peuvent pas être admis. Dans d'autres cas, certains ont besoin de soins mais n'ont pas l'argent nécessaire. De nombreuses personnes vivant dans le périmètre des explosions ont de faibles revenus. Ils ne peuvent pas payer les frais d'hospitalisation », dit le Dr Aline.

Les gens sont également confrontés à la pénurie de certains médicaments généralement importés de l'étranger. En raison de la dévaluation de la livre libanaise, certains d'entre eux sont devenus introuvables dans le pays. Parfois, les patients n'ont tout simplement pas les moyens d'acheter les traitements dont ils ont besoin, à cause des prix qui grimpent en flèche.

« En tant que citoyenne libanaise, je n'aurais jamais pensé vivre un moment comme celui-ci, dit le Dr Aline. Je n'ai jamais vu des gens aussi épuisés, tristes et émotifs. »

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