Afrique du Sud : face à des violences xénophobes, MSF appelle le gouvernement à agir

Des hommes font la queue pour recevoir des couvertures distribuées par une association locale aux personnes hébergées dans un abri temporaire pour réfugiés à Musina, en Afrique du Sud, en avril 2021.
Des hommes font la queue pour recevoir des couvertures distribuées par une association locale aux personnes hébergées dans un abri temporaire pour réfugiés à Musina, en Afrique du Sud, en avril 2021. © /MSF

Médecins Sans Frontières (MSF) alerte sur le blocus systématique qui empêche les personnes non ressortissantes d’Afrique du Sud d’accéder aux soins, notamment dans les provinces de Gauteng et KwaZulu-Natal. Ce blocage est particulièrement dangereux pour les femmes enceintes, les personnes vivant avec le VIH, les patients atteints de maladies chroniques et les enfants. MSF appelle le ministère national de la Santé ainsi que les ministères provinciaux concernés à prendre des mesures immédiates pour garantir à chacun l'accès aux soins, conformément à la Constitution sud-africaine et à la loi nationale sur la santé.

Depuis plusieurs semaines, des groupes anti-migrants campent devant des dizaines de cliniques et hôpitaux dans la province de Gauteng, empêchant les patients étrangers d'accéder aux établissements de santé publics pour y recevoir des soins médicaux, quel que soit leur statut administratif. 

MSF a mené une évaluation de la gravité de ces blocages et des besoins des personnes concernées. L'équipe de MSF s’est rendue dans 15 hôpitaux et centres de santé de la province du Gauteng, où elle a constaté le refoulement répété des patients dans plus de la moitié d'entre eux, opéré par des groupes de 2 à 10 individus en tenue civile postés à l'entrée ou à l'intérieur des établissements, qui exigent une pièce d'identité à toute personne souhaitant accéder aux soins. Les individus jugés non sud-africains sont systématiquement éconduits.  

« Les blocages que nous avons constatés sont inacceptables. Dans deux centres de santé, notre équipe a même constaté que le personnel de sécurité et les professionnels de santé collaboraient avec ces groupes anti-migrants. Nous appelons le ministère de la Santé à prendre des mesures immédiates contre les établissements de santé qui facilitent ou encouragent toute forme de refus de soins », déclare Claire Waterhouse, directrice de l'unité de soutien opérationnel de MSF. 

L'équipe de MSF a échangé avec près de 50 patients ayant déclaré s'être vu refuser l'accès aux soins dans 24 établissements de santé situés à Johannesburg, Durban, Tshwane et dans leurs environs. Parmi eux, on compte principalement des femmes enceintes en fin de grossesse ainsi que des personnes atteintes de diabète, d'hypertension ou vivant avec le VIH. La majorité d’entre eux a également signalé des difficultés financières les empêchant d'acheter des médicaments ou de recourir à des soins privés. Certains ont confié avoir tenté, en vain, de récupérer leur dossier médical auprès des cliniques afin de pouvoir consulter ailleurs. D'autres n'ont pas d'ordonnance pour renouveler leur traitement en pharmacie. 

En raison de ces blocages, de nombreuses femmes enceintes atteintes de pathologies à haut risque, telles que l’hypertension, le diabète ou le VIH, n'ont pas été suivies ni soignées. Des patients séropositifs ont passé plus de deux semaines sans médicaments, tandis que d'autres ne disposaient plus que de quelques jours de réserve lorsque le personnel de MSF les a rencontrés. L'interruption du traitement contre le VIH peut entraîner de graves complications pour les personnes concernées, aggravant leur état de santé et augmentant la pression sur le système de santé, qui doit alors faire face à des cas plus complexes nécessitant des soins approfondis. 

« Les centres de santé doivent être des lieux sûrs pour tous ceux qui en ont besoin. Il faut des mesures proactives, notamment une protection policière rapide, efficace et adaptée lorsque la situation l’exige. Nous appelons également les services de santé à travailler avec les communautés afin de trouver des solutions durables à ces défis », ajoute Claire Waterhouse. 

MSF appelle le ministère national de la Santé à réaffirmer, de manière claire et immédiate, le droit de toutes les personnes vivant en Afrique du Sud à accéder aux soins de santé de base, sans aucune discrimination. MSF demande également la mise en place de campagnes de promotion de la santé au sein des communautés, afin que les personnes non sud-africaines se sentent en sécurité lorsqu'elles se rendent dans les établissements de santé, et que les citoyens sud-africains comprennent que ce droit universel ne peut être remis en question. 

Thando*, une femme de 33 ans, s’est vu interdire l’accès à un hôpital de la province du Gauteng le 14 juillet par un groupe anti-migrants, en raison de l’absence de documents. Elle est enceinte de 16 semaines, présente une grossesse à haut risque et souffre également d’hypertension.  

« Je savais déjà ce qui se passait à l'hôpital, car une autre femme m'avait prévenue que les étrangers étaient systématiquement renvoyés. Mais j'ai quand même décidé de tenter ma chance. Je suis donc arrivée tôt le matin, à 7 heures et il y avait déjà environ 7 à 8 personnes dans la file d'attente. »

Elle raconte qu'un homme est apparu, brandissant une carte d'identité sud-africaine. 

« Il a dit que si l'un d'entre nous ne possédait pas un document similaire à ce qu'il tenait, ou si notre passeport ne comportait pas de permis, nous devions partir. Les infirmières étaient présentes et ont commencé à rire. Elles ont dit que nous ne payions pas d'impôts et qu'elles en avaient assez de nous. Elles ont ajouté que notre départ leur ferait moins de travail. Il ne restait plus que quatre personnes à l'intérieur lorsque nous avons été contraints de partir », ajoute Thando. Face à ses difficultés financières, Thando a désespérément cherché à interrompre sa grossesse, mais craint qu’il ne soit désormais trop tard.  

Pour Rose*, installée en Afrique du Sud depuis 2019 et enceinte de 38 semaines, se voir refuser l'accès aux soins est une expérience traumatisante : « Je ne peux m’empêcher de penser à ce qui pourrait arriver au bébé. Je m’inquiète de ce qui se passera si je fais face à des complications. » 

Rose et Thando ne sont pas des cas isolés. Des milliers de personnes non sud-africaines, souvent en situation de grande vulnérabilité, peinent à accéder aux soins de base dont elles ont pourtant un besoin urgent. Certains citoyens sud-africains, lorsqu’ils ont perdu ou oublié leurs papiers d'identité, ou lorsqu’ils ne semblent tout simplement pas « suffisamment sud-africains », se voient également refuser l’accès aux soins.  

Ce n'est pas la première fois que des groupes anti-migrants empêchent des personnes non sud-africaines d'accéder aux services de santé. En 2022, les partisans de l'opération Dudula ont manifesté devant l'hôpital provincial tertiaire de Kalafong à Tshwane, menaçant et bloquant l'accès de l’établissement. Ces manifestations avaient été publiquement condamnées par le gouvernement qui avait dénoncé des actions xénophobes et rappelé que l’accès aux soins de santé est un droit humain fondamental, garanti par la Constitution sud-africaine, indépendamment de la nationalité ou du statut administratif. 

Depuis 2007, MSF offre des soins médicaux gratuits aux populations vulnérables en Afrique du Sud, notamment aux migrants, demandeurs d'asile et réfugiés. MSF a continuellement répondu aux conséquences de la violence xénophobe, qui entrave l'accès aux soins pour ces groupes marginalisés. Plus récemment, à la suite d’épisodes de violence ciblant principalement des personnes non sud-africaines à Addo, dans la province du Cap-Oriental, MSF a apporté son soutien aux migrants déplacés, en leur fournissant de la nourriture et des conteneurs d'eau, des couvertures, des comprimés de purification d'eau, des couches pour bébés, du lait maternisé, des serviettes hygiéniques et d'autres produits d'hygiène essentiels. 

*Les prénoms des patients ont été changés.  

Notes

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