Mexique : Tapachula, une ville au cœur de la crise migratoire
Après le durcissement de la politique d'immigration américaine, Tapachula, une ville située dans le sud du Mexique, à la frontière avec le Guatemala, accueille désormais des milliers de migrants et de demandeurs d'asile bloqués dans des conditions de plus en plus précaires. En raison des procédures bureaucratiques complexes requises pour régulariser leur situation, ils ne peuvent pas poursuivre leur voyage vers le nord. Face à cette situation, les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) ont été amenées à considérablement augmenter les consultations médicales et les soins de santé mentale dispensés.
Tapachula, la capitale de l'État du Chiapas, est depuis quelques années un point central des demandes d'asile faites au Mexique. En 2025, selon la Commission d'aide aux réfugiés (COMAR), plus de 52 000 demandes d'asile ont été enregistrées dans le pays. Environ 66 % (soit environ 34 320) d'entre elles ont été déposées dans l'État du Chiapas, dont Tapachula est le principal point d'accueil.
Tapachula, d'une ville de transit à une ville d'attente
Avec la politique d'immigration restrictive de l'administration Trump, les différents accords bilatéraux et la pression régionale visant à freiner la migration ont transformé le Mexique en un pays de confinement. Tapachula, qui servait principalement de point de transit pour les personnes se rendant vers le nord afin de trouver refuge aux États-Unis, est ainsi devenue le foyer de milliers de migrants qui n'ont nulle part où aller.
Dans la ville, les migrants doivent faire face à de longues procédures bureaucratiques pour obtenir les documents qui leur permettent de circuler légalement au Mexique. En attendant, ils ne peuvent pas travailler officiellement ni accéder aux services de base, tels que le logement et les soins médicaux.
Grisel Hernández, 25 ans
« Il n'y a aucun moyen de régulariser ma situation. Il n'y a pas d'emploi, et le seul travail qu'on propose aux femmes, c'est dans les bars, ce qui ne me permet pas de subvenir aux besoins de mon fils dans la dignité. »
« Le manque d'infrastructures, d'emplois et de services à Tapachula aggrave la situation des personnes en quête de sécurité », explique Lucía Samayoa, coordinatrice de MSF dans le sud du Mexique. « La ville n'est pas préparée à accueillir des milliers de personnes pendant une période prolongée, ce qui génère une extrême vulnérabilité et conduit beaucoup d'entre elles à vivre dans des abris surpeuplés et informels, parfois à la belle étoile. »
Soins médicaux : entre adaptation et résistance
En raison des coupes budgétaires drastiques dans l'aide internationale, notamment le démantèlement de l'USAID et la forte réduction des financements de nombreux autres grands pays donateurs, beaucoup d'organisations humanitaires ont réduit leurs activités ou fermé leurs programmes à Tapachula cette année. Ces coupes ont un impact direct sur la protection, la prise en charge des victimes de violences, y compris sexuelles, et la possibilité d’offrir des soins de pédiatrie.
MSF ne reçoit pas de financement du gouvernement américain, mais a fermé des projets dans d'autres régions du Mexique en raison de la baisse des flux migratoires. Cependant, à Tapachula, nos équipes ont maintenu une présence active pour répondre aux besoins. Elles ont également mis en place des cliniques mobiles afin d'atteindre les zones reculées où se rassemblent désormais les migrants bloqués.
Entre janvier et septembre 2025, les équipes de MSF ont assuré 11 483 consultations médicales et 2 390 consultations de santé mentale, soit respectivement 128 % et 53 % de plus qu'au cours de la même période en 2024. Cette augmentation significative reflète la détérioration des conditions de vie, la violence continue et le manque de soins médicaux disponibles.
MSF fournit des soins médicaux primaires aux migrants vivant dans la rue, dans des abris de fortune ou dans des campements informels. Les principales raisons de consultation sont les infections respiratoires, les maladies gastro-intestinales, les blessures physiques, les maladies chroniques non traitées et les violences physiques ou sexuelles. De nombreux patients arrivent après des semaines sans soins médicaux, avec des pathologies avancées ou des complications évitables. MSF mène également des activités de promotion de la santé, distribue des articles de première nécessité et oriente les cas graves vers les hôpitaux publics.
L’urgence de la santé mentale
Les équipes de MSF fournissent des soins psychologiques individuels et collectifs et prennent en priorité en charge les cas urgents tels que les tentatives de suicide, les violences sexuelles ou les personnes présentant des symptômes graves qui affectent leur vie quotidienne. « Nous voyons des patients qui ont perdu des membres de leur famille en cours de route, qui ont été victimes d'abus sexuels ou qui vivent dans une peur constante », explique Olga Lucía Uzcátegui, responsable de la santé mentale chez MSF. « Beaucoup arrivent avec des insomnies, des crises de panique et un profond sentiment de désespoir. »
Les caravanes : une réponse collective au désespoir
En raison de leurs conditions de vie extrêmement précaires dans la ville, des caravanes de migrants – des groupes de centaines de personnes marchant ensemble à pied – se sont formées au cours des dernières semaines. La première caravane est partie le 8 août, suivie de deux autres le 1er octobre et le 17 octobre. Ces caravanes ont parcouru des centaines de kilomètres pendant plusieurs jours, sans parvenir à atteindre leur destination finale : Mexico. Cette forme de mobilité collective a refait surface comme stratégie pour gagner en visibilité et exercer une pression accrue sur les autorités, alors que les migrants se trouvent dans l'impossibilité d'emprunter les voies migratoires habituelles.
« Lorsque j'ai essayé d'acheter un billet de bus, on me l'a refusé ou proposé à des prix exorbitants », raconte Melissa Ruiz, 25 ans, originaire du Honduras. « Comme d'autres personnes se trouvaient dans la même situation, nous avons décidé de nous entraider. »
Les caravanes permettent aux migrants de se soutenir mutuellement et de réduire les risques liés au fait de voyager seul, tels que les abus, l'extorsion et la violence.
La reprise des caravanes, la violence persistante et l'absence de solutions migratoires efficaces exigent une réponse coordonnée et soutenue, centrée sur la dignité humaine. « Tapachula reflète la pause forcée dans la vie de milliers de personnes et de familles », déclare Lucía Samayoa, coordinatrice MSF dans le sud du Mexique. « Il est fondamental de rendre visibles les histoires de ceux qui restent dans cette situation incertaine. Nous avons besoin de toute urgence de réponses à la hauteur des souffrances humaines endurées à la frontière sud. »