MSF porte assistance aux rescapés des tentatives de traversées de la Manche

Les membres du personnel de MSF apportent leur aide aux survivants de naufrages ou de tentatives échouées de traversée de la Manche pour rejoindre l'Angleterre.
  Les membres du personnel de MSF apportent leur aide aux survivants de naufrages ou de tentatives échouées de traversée de la Manche pour rejoindre l'Angleterre. © Mohammad Ghannam/MSF

Au printemps 2025, Médecins Sans Frontières (MSF) a décidé de se joindre à Utopia 56 pour participer à des maraudes sur le littoral Nord français. Depuis le début de ces opérations conjointes, l’équipe MSF a rencontré plus de 1 800 personnes exilées, rescapées de naufrages ou de tentatives ratées de traversée de la Manche pour rejoindre l’Angleterre. Plus de 200 consultations médicales ont été effectuées. Palmyre Khul, infirmière et Muneir Mustafa, médiateur interculturel, reviennent sur ces opérations.

Dans quel contexte se déroulent ces opérations de maraudes ? 

Palmyre :  La France et le Royaume-Uni ont signé un accord cet été, appelé « One in, one out » qui est censé « prévenir les traversées dangereuses » mais les tentatives de traversées n’ont jamais cessé ces derniers mois. Entre août et fin octobre, plus de 11 000 personnes ont rejoint le Royaume-Uni sur des canots pneumatiques. Par ailleurs, le nombre de tentatives échouées est quant à lui difficilement estimable, tout comme le nombre total de rescapés. Les conditions d’embarquement et de traversées sont extrêmement périlleuses et beaucoup de tentatives se soldent par des échecs. En cas de naufrage, ces personnes blessées et traumatisées sont livrées à elles-mêmes sur les côtes du littoral Nord français, avec parfois, des morts à déplorer.  

Muneir : C’est ce qui est arrivé dans la nuit du 25 au 26 juillet, lorsque nous étions en intervention avec les bénévoles d’Utopia 56 et ma collègue infirmière Camille. Une embarcation a chaviré avec environ 70 personnes à son bord. ll y avait beaucoup de blessés, des personnes avec des brûlures, des personnes choquées, mutiques…et un homme, en arrêt cardiaque, que ma collègue a tenté de réanimer, en vain. Vivre un naufrage est un événement hautement traumatique.  

Comment intervenez-vous sur le littoral Nord français ?  

Palmyre : Les maraudes littorales consistent à longer la côte Nord de la France, sur une bande d’environ 150 kilomètres, de la frontière belge jusqu’au Touquet, à la recherche de personnes exilées qui auraient besoin d’assistance, après un échec de tentative de traversée ou un naufrage. Les départs ont souvent lieu en pleine nuit. Nous rejoignons les bénévoles d’Utopia 56 entre trois heures et cinq heures du matin et nous commençons à patrouiller. Nous nous basons sur la météo et sur les marées : en fonction de ces indicateurs, nous pouvons savoir si des personnes vont tenter de traverser la Manche sur de petites embarcations.
Nous nous arrêtons à des points précis où nous savons que nous aurons de la visibilité sur les dunes et les plages, pour voir si nous pouvons repérer des personnes qui auraient besoin d’assistance. Il y a aussi des personnes exilées qui contactent directement Utopia 56 pour leur demander de l’aide via leur hotline, qui est joignable 24h sur 24, 7 jours sur 7 : ils indiquent leur point de géolocalisation et nous tentons de les retrouver.  

Muneir : Quand nous arrivons à la rencontre d’un groupe, nous faisons le tour des personnes pour jauger la situation et comprendre leurs besoins. Nous fournissons une assistance médicale et Utopia 56 fournit une assistance matérielle. Les deux sont très complémentaires : par exemple, lorsque les personnes que nous rencontrons sont trempées de la tête aux pieds, nous savons que le risque d’hypothermie est élevé si elles ne sont pas changées rapidement, encore plus chez les enfants et les bébés. Un autre risque identifié est celui du mélange de carburant et d’eau salée, qui peut provoquer des brûlures chimiques. Or, les personnes rescapées ont souvent leurs vêtements imbibés de carburant, d’où l’importance de leur permettre de se changer rapidement. Les bénévoles d’Utopia 56 proposent aux personnes des vêtements secs, des couvertures de survie, une boisson chaude et quelque chose à manger. Il n’est pas rare que les personnes que l’on rencontre n’aient pas eu accès à de la nourriture ou à de l’eau depuis plusieurs jours. 

Un membre de MSF intervient auprès de survivants de naufrages
 © Mohammad Ghannam/MSF
Un membre de MSF intervient auprès de survivants de naufrages © Mohammad Ghannam/MSF

Quels sont les principaux besoins des personnes que vous avez prises en charge ?  

Muneir : Dans la majorité des cas, nous avons rencontré des personnes transies de froid, trempées, choquées et déboussolées. Nous assurons des premiers secours psychologiques, en prêtant attention aux réactions des personnes, en pratiquant l'écoute active. Il s'agit d'un moyen d'apporter un premier soutien et de les orienter vers l'aide dont elles ont besoin.   

En tant que médiateur interculturel, j’assure le lien avec les personnes rescapées, dans une langue commune – la plupart des rescapés sont arabophones. Cela permet de faciliter les échanges qu’ils ont avec ma collègue infirmière, pour comprendre les besoins médicaux. Je me souviens par exemple de cette femme d’origine soudanaise, qui avait été séparée de sa fille de 13 ans au moment de l’embarquement. Cela faisait deux jours qu’elle et ses enfants attendaient cachés dans les dunes. Quand le pneumatique est arrivé, il y avait déjà une vingtaine de personnes à son bord et environ 80 personnes cherchaient à embarquer. Tout le monde s’est mis à courir et dans la cohue, la petite fille a réussi à monter dans l’embarcation mais pas sa mère… Quand nous sommes arrivés à sa rencontre, la femme était extrêmement paniquée. J’ai échangé avec elle en arabe, pour la rassurer et lui expliquer que nous allions l’aider. Par chance, l’embarcation sur laquelle son enfant se trouvait a finalement été secourue et la famille a pu être réunie. Mais on sait malheureusement que dans bien d’autres cas, les familles ne se retrouvent jamais. 

Palmyre : Sur ces six mois et demi d’opérations, beaucoup de personnes que nous avons rencontrées souffraient de douleurs ostéo-articulaires liées directement aux conditions de traversées : les personnes doivent parfois marcher pendant de longues heures avant d’embarquer sur les canots pneumatiques. Une fois arrivées au lieu d’embarquement, il n’est pas rare que la panique et l’urgence à réussir à partir engendrent des mouvements de foule et des chutes. 

Quelles sont les perspectives, notamment à l’approche de l’hiver ?  

Muneir : Au vu du nombre de personnes qui survivent dans des campements de fortune, environ 1 500 à Calais et environ 2 500 à Dunkerque, les tentatives de traversées semblent loin de s'arrêter.  Au cours de ces derniers mois, nous avons rencontré des personnes qui en étaient à leur cinquième tentative de traversée. Elles échouent, mais retentent par désespoir, elles n’ont pas d’autre choix. Nous avons rencontré beaucoup de familles, avec de jeunes enfants et même des bébés. Tenter de traverser la Manche est la seule issue que ces personnes trouvent, malgré tous les dangers et les traumatismes que cela peut engendrer. 

Palmyre : Nous savons que même l’hiver, malgré des conditions météorologiques qui se dégradent des tentatives de traversées ont lieu. En parallèle, on observe un manque régulier d’intervention des services de l’État pour les rescapés sur les côtes du littoral Nord français. Nous réfléchissions donc à poursuivre ces maraudes littorales en partenariat avec Utopia 56 et nous cherchons à nous adapter en fonction des besoins. 
Porter assistance aux personnes exilées sur la côte, c’est aussi leur dire : on vous considère, vous n’êtes pas oubliées.

Notes

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