Geo Barents : « Ce ne sont plus des enfants après ce qu'ils ont vécu »

Rescue 4 - Rotation 4
Dans la soirée du 23 octobre 2021, les équipes du Geo Barents ont secouru un canot pneumatique avec 95 personnes à bord, juste avant qu'il ne soit intercepté par les garde-côtes libyens. © Filippo Taddei/MSF

Lors de sa dernière mission en Méditerranée centrale, le Geo Barents, navire de recherche et de sauvetage de MSF, a sauvé 367 personnes en moins de deux jours. Plus de 40% des rescapés avaient moins de 18 ans et, parmi eux, 140 voyageaient seuls. Avant de tenter la traversée en mer, la plupart ont échappé à la torture et à l'exploitation en Libye. 

« Ils jouent et sourient désormais. Ils ressemblent à n'importe quel autre jeune, explique Julie Melichar, responsable des affaires humanitaires à bord du Geo Barents, à propos des rescapés les plus jeunes. Mais ce ne sont plus des enfants après ce qu'ils ont vécu. »

Ils sont nombreux à risquer leur vie pour traverser la mer Méditerranée – considérée comme la route migratoire la plus meurtrière au monde. Voyager sans parent ou adulte de confiance rend les mineurs non accompagnés particulièrement vulnérables. Ils deviennent des proies faciles pour les passeurs et les trafiquants. Au cours de leurs voyages, les dangers sont nombreux : travail forcé, extorsion, détention arbitraire, violence physique et sexuelle.

Lors du dernier sauvetage en mer du Geo Barents, la majorité des rescapés sont originaires de Somalie, d'Érythrée, du Mali et du Cameroun. Les raisons d'un tel périple sont multiples : fuir un pays déchiré par la guerre, échapper à l'extrême pauvreté, l'accès limité à l'éducation et aux services de santé, éviter les violations des droits de l'homme. 

Avant la mer, la Libye...

Sur la route de l'exil, la Libye est le point de non retour. « L'un des garçons que nous avons sauvés récemment n'avait que 12 ans lorsqu'il a quitté son pays, explique Julie Melichar. Il nous a expliqué que son père a été tué parce qu'il voulait le protéger de l'enrôlement forcé dans l'armée. Sa mère n'a eu d'autre choix que de le faire sortir du pays pour le sauver. Lorsqu'il a atteint le sud de la Libye, il a été maintenu en captivité et torturé pendant sept mois avant de pouvoir s'échapper. »

De nombreux migrants et réfugiés sont kidnappés par des milices et des groupes armés pour être détenus en captivité et extorqués. Ceux qui ont de l'argent peuvent acheter leur liberté ; les autres sont torturés ou contraints à des travaux forcés jusqu'à ce que leurs proches puissent payer. Cette spirale d'exploitation peut durer des mois, voire des années.

« Nombre de jeunes secourus ont échappé aux pires atrocités en Libye, explique Melichar. D'autres ont dû faire face à la perte de leurs compagnons de route car de nombreuses personnes disparaissent ou sont tuées en Libye. Un jeune garçon m'a raconté avoir perdu cinq très bons amis dans des centres de détention. Une fois seul, il a sciemment confronté les gardes pour qu'ils le tuent et pouvoir ainsi retrouver ses amis. Comment un enfant peut-il supporter ce type de situation ? »

A bord du Geo Barents, les médecins de MSF fournissent des soins de santé primaire ainsi qu'un soutien psychologique. Mais le soutien apporté à ces jeunes ne doit pas s'arrêter aux côtes de la Méditerranée. « A bord du navire, les mineurs non accompagnés ont créé une communauté. Ils se lient d'amitié et agissent comme n'importe quels autres adolescents, explique Melichar. Mais indépendamment de cela, ils ont des cicatrices intérieures profondes qui ne guériront pas d'elles-mêmes. Une fois arrivés à terre, ils doivent bénéficier d'une protection spécialisée, d'un abri sûr et adapté à leurs besoins et de services médicaux et psychosociaux adéquats. »

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