[EN PHOTOS] Libye : sans remise de peine

14 décembre 2019, centre de détention de Dar el-Jebel, portrait de détenus derrière la porte du bloc 1, où vivent environ 170 détenus majoritairement Érythréens.
14 décembre 2019, centre de détention de Dar el-Jebel, portrait de détenus derrière la porte du bloc 1, où vivent environ 170 personnes venant majoritairement d'Érythrée. © Eymeric Laurent-Gascoin

Reportage d’Eymeric Laurent-Gascoin dans le centre de détention pour migrants de Dar el-Jebel, dans les monts Nafousa en Libye, où les équipes de Médecins Sans Frontières intervenaient jusqu’à sa fermeture en décembre 2020.

Fin 2020, environ 575 000 migrants étaient en Libye, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). La majorité d’entre eux sont dans le pays pour y travailler, les autres le traversent depuis le Sahara pour rejoindre les côtes et tenter la traversée vers l’Europe.

Officiellement, il existe une dizaine de centres de détentions placés sous l’autorité d’une agence libyenne, la Direction de la Lutte contre les Migrations Illégales (DCIM) : ils abritent entre 2 500 et 3 000 détenus. Plusieurs d’entre eux ont fermé leurs portes en 2020, d’autres ont été ouverts en 2021. Si les conditions varient selon les centres, l’arbitraire d’une détention à durée indéterminée reste constant, et beaucoup de personnes en migration y croupissent pendant des mois, voire des années. En parallèle, un grand nombre de prisons clandestines sont gérées par des réseaux de passeurs et de trafiquants, qui ont parfois recours aux pires sévices pour exiger de leurs captifs le paiement de rançons.

En Libye, les personnes en migration sont exposées à un cycle de violences sans fin, torturées, enfermées arbitrairement, sans savoir quand elles seront à nouveau libres. Certaines s’en échappent, d’autres parviennent à acheter leur libération, beaucoup voient dans les tentatives de traverser la Méditerranée leur seul échappatoire.

Eymeric Laurent-Gascoin était coordinateur de projet pour MSF en Libye. Il a réalisé ce reportage entre décembre 2019 et février 2020 dans le centre de Dar el-Jebel, un établissement géré par la DCIM, situé à trois heures de route de Tripoli, dans une zone montagneuse et reculée, loin de tout.

 

© Eymeric Laurent-Gascoin
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8 décembre 2019, centre de détention de Dar el-Jebel, les gardiens gèrent le flot de détenus lors d’une distribution de nourriture.

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15 décembre 2019, centre de détention de Dar el-Jebel, évacuation de 11 détenus par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), sur les 509 que compte le centre. Ils vont transiter au Niger, le temps qu’un pays tiers leur accorde l’asile, comme prévu par le HCR. Fin 2020, ils y étaient toujours.

© Eymeric Laurent-Gascoin
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15 décembre 2019, centre de détention de Dar el-Jebel, évacuation de détenus par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

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14 décembre 2019, centre de détention de Dar el-Jebel, un championnat de football a été organisé par les détenus.

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14 Janvier 2020, centre de détention de Dar el-Jebel, intérieur du bloc 1s.

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12 janvier 2020, centre de détention de Dar el-Jebel, distribution du déjeuner au bloc 1, composé de riz.

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Février 2020, centre de détention de Dar el-Jebel. « Je suis parti d’Erythrée en mai 2015 pour aller au Soudan. J’y suis resté un peu plus d’un an avant de reprendre la route pour la Libye. A Bani Walid, j’ai été emprisonné par un trafiquant pendant environ un an. Ma famille restée en Érythrée n’a eu d’autre choix que de vendre la maison pour payer la rançon. J’ai été relâché en mars 2017 et j’ai rejoint la côte. J’ai attendu quatre mois avant de tenter la traversée. En pleine mer, après une douzaine d’heures de navigation, un bateau libyen nous a interceptés. Ils nous ont sommés de nous arrêter en tirant près du bateau. Ils ont fini par tirer sur le zodiac pour le couler, face à notre refus de retourner en Libye. Nous n’avons eu d’autre choix que de monter à bord. À terre, nous avons été transférés au centre de détention de Tariq al-Matar puis avec les combats qui se rapprochaient, nous avons été transférés au centre de détention de Dar el-Jebel.

Nous avons besoin d’aide. La Libye, c’est l’enfer pour nous. »

© Eymeric Laurent-Gascoin
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Février 2020, centre de détention de Dar el-Jebel. « J’ai 16 ou 17 ans, je ne suis plus sûr… j’ai quitté mon pays il y a trois ans. Pendant la traversée du Sahara, la voiture a eu un accident et je me suis fracturé le coccyx. Je me suis retrouvé captif aux mains d’un trafiquant. J’ai été battu quotidiennement pendant trois mois jusqu’à ce que ma famille paie la rançon. Ensuite, en voulant rejoindre la côte, j’ai de nouveau été capturé et encore rançonné. Finalement, j’ai enfin pu prendre la mer… Après plus de 24 heures de trajet, nous avons croisé un navire italien qui nous a porté secours. Nous pensions aller en Italie, mais ils nous ont ramenés en Libye, où nous avons été remis aux garde-côtes libyens.

Ici, nous n’avons aucune solution. Comment pouvons-nous sortir de là alors même que le HCR ne nous prête aucune attention ? Je suis un des plus jeunes ici, mais je reste assis comme les “vieux”. Je ne peux plus jouer, plus travailler, plus rien apprécier, je suis détenu ici. »

© Eymeric Laurent-Gascoin
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Février 2020, centre de détention de Dar el-Jebel. « Je suis parti de mon pays, l’Érythrée, en février 2017. J’ai été capturé et emprisonné à Suq Al-Khamis, qui est censé être un centre de détention officiel, mais après un mois et demi j’ai été transféré à Bani Walid. Là-bas, j’ai été emprisonné pendant quatre mois dans le noir quasi total. J’ai été torturé, jour après jour, avec mes six codétenus. Cinq ont été tués sous mes yeux, deux d’entre eux par balle et les trois autres à cause de chocs électriques répétés. Il m’est difficile de trouver les mots pour décrire ce qui s’est passé. Ces quatre mois m’ont semblé quatre siècles ! (...) En Libye, j’ai été détenu plus de trois ans, soit par des trafiquants, soit dans des centres de détention officiels. Je n’attends plus rien de personne. »

© Eymeric Laurent-Gascoin
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14 Janvier 2020, centre de détention de Dar el-Jebel, intérieur du bloc 1s.

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30 décembre 2019, centre de détention de Dar el-Jebel, un championnat de football a été organisé par les détenus. Les équipes des blocs 1, 2 et 3 s’affrontent pendant deux semaines.

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31 décembre 2019, centre de détention de Dar el-Jebel, finale du championnat de football.

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14 décembre 2019, centre de détention de Dar el-Jebel, un message d’espoir est écrit à l’intérieur du bloc 2 : « celui qui traverse une période difficile finira par avoir une vie meilleure »

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7 janvier 2020, centre de détention de Dar el-Jebel, célébration de Genna (la naissance de Jésus-Christ selon le calendrier orthodoxe).

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1 janvier 2020, centre de détention de Dar el-Jebel, bloc 2, des activités, comme des cours d’anglais, sont organisées quotidiennement par les détenus.

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7 janvier 2020, centre de détention de Dar el-Jebel, deux hommes attendent dans le bloc 1.

© Eymeric Laurent-Gascoin
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Février 2020, centre de détention de Dar el-Jebel. « J’ai été capturé avec beaucoup d’autres, par des trafiquants, dans le désert libyen. Nous avons été affamés, torturés, et j’ai vu des dizaines de personnes se faire tuer sous mes yeux. Aucune sépulture n’a été donnée à ces enfants, ces femmes et ces hommes tués, nos tortionnaires les ont juste jetés dans le feu. Par chance, après un mois, j’ai pu m’échapper avec quelques-uns de mes codétenus. J’ai rejoint la ville portuaire de Zawiya, où j’ai tenté la traversée (…) J’ai voyagé en mer pendant deux jours, mais les garde-côtes libyens nous ont arrêtés et ramenés à terre où j’ai été emprisonné en centre de détention, d’abord à Tripoli puis à Dar el Jebel. Je suis parti de chez moi en 2015. Ces cinq dernières années, je n’ai connu quasiment que la captivité. Enfermés, nous mourrons à petit feu. »

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14 décembre 2019, centre de détention de Dar el-Jebel, portrait de détenus derrière la porte du bloc 1, où vivent environ 170 personnes venant majoritairement d'Érythrée.

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