Bloqués à la frontière entre la Grèce et l'Albanie, « c’est comme si nous étions des criminels »

Khaled et sa famille vivent dans le camp de Katsikas depuis mars 2016.
Khaled et sa famille vivent dans le camp de Katsikas depuis mars 2016. © Mohammad Ghannam/MSF

En Grèce, près de la frontière albanaise, dans la ville d’Ioannina, se trouve le camp de Katsikas. Ici se trouvent 1 500 demandeurs d’asile venus d'Athènes, dont un peu plus de 200 membres de la communauté yézidie. Ces derniers ne se connaissaient pas avant. Ils se sont rencontrés sur le port du Pirée, et ont décidé de rester ensemble afin de s’entraider.

Khaled, 36 ans, sa femme Dalal, 34 ans, et leur fils Barakat, âgé d’un an et demi, viennent de Kojo, au sud de Sinjar irakien. Ils ont quitté leur village début août 2014 et se sont d’abord rendus à Dohuk, en Irak, où ils ont passé trois jours. Ils sont ensuite partis pour Diyarbakir, en Turquie, où ils sont restés jusqu’à fin février 2016, puis, ils ont quitté Izmir pour Mytilène, Lesbos et Athènes. Ils ont vécu dans un « camp » établi sur un terrain de basket situé près de la ville d’Ioannina, où 500 Syriens et Irakiens avaient été regroupés avant d’être envoyés sur Katsikas.

« Lorsque les combattants de Daesh [État islamique] sont arrivés chez nous, ils nous ont dit de nous convertir à l’Islam, raconte Khaled. On a refusé. Le 3 août 2014, ils ont attaqué, mais on n’avait pas d’armes pour riposter. Ils ont vaincu la faible résistance et ont ensuite tiré dans la rue sur les hommes et les adolescents. Ils exécutaient et décapitaient les gens. Ils ont enlevé beaucoup d’enfants et de femmes, même âgées, environ 5 000 personnes ont été kidnappées. L’hystérie s’est installée. Une femme qui avait été libérée m’a raconté ce qu’elle avait subi durant sa détention : les femmes étaient retenues en Irak. Daesh leur préparait du riz et de la viande. Ils les violaient quand ils le voulaient. Elles ne pouvaient se laver que lorsque quelqu’un voulait abuser d’elles. Là, elles devaient prendre un bain. Les femmes étaient vendues, offertes, comme des cadeaux, ou bien échangées contre des armes entre les combattants d’Irak et de Syrie. »

« La période la plus sombre de notre histoire »

Shemi, la mère de Khaled, a 74 ans : « Dans notre religion, la première chose pour laquelle nous prions est que chacun vive en paix. Nous sommes vraiment pacifistes. Je ne sais pas ce qui a fait que tout le monde est devenu notre ennemi, que nos voisins se sont contentés de regarder pendant que l’on se faisait tuer. Je ne comprends pas ce qu’on nous reproche. Nous voulons juste vivre dans la joie, nous aimons la musique, nous aimons danser.

Le peuple yézidi n’a jamais attaqué personne. C’est la période la plus sombre de notre histoire. Nous pensions que l’Europe protègerait des gens qui ont subi des souffrances comme celles que nous avons subies. C’est comme si nous étions des criminels, contraints de se cacher dans la montagne. Regardez où nous sommes. Nous prions pour que quelqu’un nous entende et que la route s’ouvre. Je ne veux pas mourir ici. Je ne veux pas mourir en voyant mes petits-enfants souffrir. Il ne me reste plus longtemps à vivre, je ne peux plus attendre. »

La fin du cauchemar ?

Nayef Khudur, 28 ans, chauffeur à Sinjar, et sa femme Zeina Khalaf, 26 ans, sont dans le camp de Katsikas avec leurs trois filles : Manal, 9 ans, Maram, 7 ans, et Katherine, âgée d’un an et demi. Il y a quatre mois, leur fils est parti en Allemagne avec sa grand-mère.

Leur maison, à Sinjar, a été sérieusement endommagée par une explosion. Après avoir tout perdu, la famille a fait le trajet jusqu’à Souleymanié, au Kurdistan irakien, à pied et en stop. Là bas, des amis ont aidé Nayef à trouver un travail dans un élevage de volailles. Grâce à ce salaire, il a pu réunir l’argent nécessaire pour rallier la Turquie. La famille a alors demandé un visa et pris un avion pour Istanbul. En arrivant à Izmir, toute la famille a été enfermée dans une cellule : « nous avons été traités comme des chiens ».

Fin février 2016, ils ont quitté la Turquie et ont rejoint la Grèce. « On est là et, grâce à Dieu, la santé de nos enfants est bonne, notre situation est meilleure que dans d’autres endroits en Grèce, meilleure que lorsqu’on était prisonniers en Turquie, meilleure que celle de ceux qui sont encore en Irak », explique le père de famille.

Lorsqu’il vivait dans son village, Nayef pesait 75 kilos, aujourd’hui, il en fait 55. Il est sûr que des jours meilleurs viendront et qu’il retrouvera son fils en Allemagne. « En tant que yézidis, nous avons l’habitude des situations de crise, mais là c’est beaucoup trop. Etre réfugié maintenant, ce que Daesh nous a fait avant... C’est trop à supporter. J’espère que ce cauchemar va prendre fin. »

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