L'ombre de la Syrie à Idomeni

Le Dr Connor Kenny
Le Dr Connor Kenny © Bastian Fischer

Le Dr. Conor Kenny travaille pour MSF à Idomeni, dans le nord de la Grèce, à la frontière avec la Macédoine. ll nous livre son témoignage.

Avant même de pouvoir le voir, je pouvais entendre ses cris à travers la tente de la clinique. Enveloppé dans une couverture noire et porté par quatre jeunes hommes, ce patient était en larmes, criait à l’agonie. Nous l’avons immédiatement pris en charge. C’était évident qu’il s’agissait d’une urgence. 

J'ai tout d'abord pensé qu’il s’agissait d’un problème chirurgical comme des calculs rénaux ou une perforation à l’intestin, ce qui l’aurait plongé dans une immense détresse. Cependant, durant l’examen de ses voies respiratoires, il est apparu évident qu’il essayait d’avaler sa langue, s’empêchant de respirer en même temps. Son niveau d’oxygène a commencé à descendre. Ses amis ont chacun saisi l’un de ses membres afin de contrôler ses puissants coups de pieds, l’empêchant de se faire mal. Il était impossible de le calmer. 

Il est devenu de plus en plus agité et criait de façon incohérente. Ses amis ont expliqué à notre médiateur qu’il s’appelait Hamza, qu’il avait 22 ans et qu’il venait tout juste d’apprendre que sa sœur avait été tuée lors d’un raid aérien en Syrie. Ici à Idomeni, il était tellement frappé de douleur qu’il a essayé de se faire du mal. 

Des épisodes aux causes non-médicales

Quand je suis arrivé pour la première fois ici, ça aurait pu me choquer ou, au moins me surprendre. Mais maintenant, ça n’a plus cet effet.

Ce n’est pas la première fois qu’à Idomeni, MSF doit traiter un patient qui présente une forte réaction physique suite aux bombardements en Syrie. Prenez l’exemple d’une femme de 68 ans originaire d’Alep, amenée à notre clinique lorsqu’elle est victime d’épisodes d’évanouissement, provoqués par la perte d’un membre de sa famille lors de bombardements, fin avril. Nos recherches montrent que les raisons de ces épisodes n’étaient pas médicales. 

Le camp d'Idomeni, au nord de la Grèce, fin avril 2016 © Guillaume Binet/MYOP

Le camp d'Idomeni, au nord de la Grèce, fin avril 2016 © Guillaume Binet/MYOP

Parallèlement, un petit garçon de sept ans, devenu incontinent pendant quatre mois après avoir vu son père se faire tuer par un tir de sniper, était pourtant en « bonne santé physique ». Nous avons organisé un rendez-vous avec notre équipe psychologique et essayé de prévoir des vêtements et des couches culottes. Il y a clairement une problématique significative là-dessous. En tant que médecins travaillant dans l’hôpital de campagne d’Idomeni, mes collègues et moi nous sommes retrouvés à devoir faire face à l’impact psychologique de la guerre en Syrie. Quand elles fuient pour protéger leurs vies, ces personnes ne laissent pas leurs traumatismes derrière elles, c’est inéluctable. Ça les suit, comme une ombre.

Ils vivent dans une peur constante

Les personnes que nous soignons se sont arrangées pour échapper à la zone de guerre, où les bombardements de civils et d’hôpitaux sont désormais devenues monnaie courante, comme cela a été démontré ces dernières semaines à Alep.

Ils s’enfuient pour être confrontés à de nouvelles difficultés, ici à Idomeni. Ce camp dans le nord de la Grèce, à la frontière avec l’Ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM) a été formé autour d’une gare internationale pour les marchandises et d’un abattoir de bovins. Il accueille environ 10 000 réfugiés et migrants vivant dans une peur constante, la peur de l’inconnu et la peur de recevoir de terribles nouvelles de chez eux : est-ce que la prochaine bombe tuera quelqu’un qu’ils aiment ? Ils subissent aussi la peur d’être renvoyés là d’où ils viennent. 

Nous sommes en train de mourir

La détresse et la frustration sont palpables ici. Nous avons dû prescrire des calmants à Hamza. Une réponse extrême utilisée en dernier recours, mais il risquait vraiment de se faire du mal, ou de faire du mal à autrui, et avec de nombreux enfants et femmes à proximité, nous n’avions aucune autre option. Nous l’avons gardé en observation à la clinique et nous avons passé du temps à écouter son histoire avant de le référer à l’un de nos psychologues. 

Le camp d'Idomeni en avril 2016 ©Guillaume Binet/MYOP

Le camp d'Idomeni en avril 2016 © Guillaume Binet/MYOP

J’espère qu’il ira bien. Mais pour être honnête, je ne sais pas ce qui va lui arriver, ainsi qu’aux autres personnes coincées ici à Idomeni, dans ce no-man’s land. Comme m’a dit l’un de mes patients : « nous sommes en train de mourir ici, comme nous l’étions en Syrie, mais plus lentement ».

* les noms et âges des patients ont été changés

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