Soudan : « Ils nous ont battues et violées sur la route, devant tout le monde »

Vue du camp de réfugiés d'Aboutengue, au Tchad
Vue du camp de réfugiés d'Aboutengue, au Tchad, décembre 2024 © Nicolò Filippo Rosso

Au Soudan, les femmes et les jeunes filles de la région du Darfour sont exposées à un risque de violences sexuelles quasi permanent, alerte Médecins Sans Frontières (MSF). Toutes les victimes prises en charge par les équipes de MSF au Darfour et de l'autre côté de la frontière, au Tchad, relatent des épisodes de violences et de viols terribles. Pourtant, l'ampleur réelle de cette crise reste difficile à quantifier, car les services sont limités et les personnes se heurtent à des barrières lorsqu'elles cherchent à se faire soigner ou à parler de ce qu’elles ont vécu.  

« Les femmes et les jeunes filles ne se sentent en sécurité nulle part. Elles sont attaquées chez elles, lorsqu'elles fuient les combats et violences, lorsqu'elles vont chercher de la nourriture, lorsqu'elles ramassent du bois de chauffe, lorsqu'elles travaillent dans les champs, explique Claire San Filippo, coordinatrice d'urgence de MSF. Ces attaques abominables impliquent souvent plusieurs responsables. Cela doit cesser. Les violences sexuelles peuvent constituer un crime de guerre, une forme de torture et un crime contre l'humanité. Les belligérants doivent tenir leurs combattants pour responsables et protéger la population de cette violence. Les services d'aide aux victimes doivent être immédiatement renforcés, afin que les victimes aient accès aux traitements médicaux et aux soins psychologiques dont elles ont désespérément besoin. »

La violence sexuelle est tellement omniprésente au Darfour que de nombreuses personnes en parlent comme d'un phénomène inévitable. « Certaines personnes venaient la nuit pour violer les femmes et tout nous voler, y compris les animaux. Les hommes se cachaient dans les toilettes ou dans des pièces qu'ils pouvaient fermer. C’était le cas pour mon mari et mes frères. Les femmes ne se cachaient pas parce que nous nous étions seulement battues et violées, mais les hommes risquaient d’être tués », a expliqué une femme de 27 ans à l'équipe de MSF au Darfour occidental. 

Faute d’aide humanitaire, les personnes doivent souvent parcourir de longues distances pour accéder à de la nourriture ou à des soins et acceptent de travailler dans des endroits particulièrement dangereux. D'autres décident de ne pas prendre de risques mais sont alors privées de leurs sources de revenus, sans être réellement davantage protégées. 

Entre janvier 2024 et mars 2025, les équipes de MSF ont fourni des soins à 659 victimes de violences sexuelles au Darfour du Sud, dont 94% de femmes et de filles. Parmi elles :

  • 56% ont déclaré avoir été agressées par une personne non-civile (par un membre de l'armée, de la police ou d'autres forces de sécurité ou de groupes armés non étatiques) 
  • 55% ont fait état de violences physiques supplémentaires au cours de l'agression  
  • 31% des victimes avaient moins de 18 ans, 29 % étaient adolescentes (âgées de 10 à 19 ans), 7 % avaient moins de 10 ans et 2,6 % avaient moins de 5 ans 
     

Les équipes de MSF ont recueilli des dizaines de témoignages qui indiquent la fréquence et la violence extrêmes de ce phénomène. « Lorsque nous sommes arrivés à Kulbus, nous avons vu un groupe de trois femmes gardées par des hommes des Forces de soutien rapide (RSF). Ils nous ont ordonné de rester avec elles et nous ont dit : "vous êtes les femmes de l'armée soudanaise ou leurs filles". Puis ils nous ont battues et violées sur la route, devant tout le monde. Il y avait neuf hommes RSF. Sept d'entre eux m'ont violée. J'aurais aimé perdre la mémoire après cela», a déclaré à MSF une victime âgée de 17 ans. 

Les conséquences physiques et psychologiques sont immédiates et durables. Les victimes ont du mal à accéder à des soins médicaux et d’autres services en raison de la faible réponse humanitaire fournie au Darfour, de la méconnaissance des dispositifs d’aide existants, du coût élevé des déplacements vers les structures de santé et de la réticence à parler de l'agression par honte, par peur de la stigmatisation ou des représailles. 

Au Darfour du Sud, MSF a ajouté, fin 2024, une composante communautaire à ses soins pour les victimes de violences sexuelles. Des sage-femmes et des agents de santé communautaires ont été formés et équipés pour fournir des contraceptifs d'urgence et des premiers soins psychologiques. Les équipes ont également aidé au transfert vers les cliniques de soins de santé générale et les hôpitaux soutenus par MSF afin de bénéficier d’une prise en charge complète. Depuis la mise en place de cette activité communautaire, MSF a constaté une forte augmentation du nombre de personnes cherchant à obtenir des soins.

Actuellement, les équipes MSF continuent de prendre en charge des victimes de violences sexuelles dans plusieurs localités de la région et s’efforcent d’améliorer leur accès à une aide médicale. Au Darfour du Nord par exemple, elles ont reçu 48 victimes à l’hôpital de Tawila, principalement entre mi-avril et début mai après l’offensive des RSF sur le camp de Zamzam situé à environ 60km. Dans l’est du Tchad, dans la province de Wadi Fira, 94 personnes ont été prises en charge entre janvier et mars 2025, dont 81 avaient moins de 18 ans. 

Notes

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