Afghanistan : un rapport MSF alerte sur le manque criant d’accès aux soins

Kunduz Trauma Center 27
Le service d'hospitalisation de Kunduz compte 54 lits et le taux moyen d'occupation des lits est de 75 %. © Nava Jamshidi

Un système de santé dysfonctionnel, une pauvreté généralisée et des restrictions accrues imposées aux femmes sont au cœur de la crise humanitaire actuelle en Afghanistan, selon un nouveau rapport publié le 6 février 2023 par Médecins Sans Frontières (MSF).

Les décideurs politiques, les bailleurs de fonds et les autorités locales doivent se concentrer de toute urgence sur le renforcement des soins médicaux primaires au niveau des localités afin d'améliorer l'accès de la population aux soins de santé ; les acteurs internationaux doivent s'attaquer aux problèmes qui contribuent à la crise économique ; et les femmes doivent être autorisées à poursuivre leur éducation et à accéder à des opportunités d’emploi, afin d'augmenter les revenus de leurs familles et de s'assurer qu'il y a suffisamment de personnel de santé féminin dans le pays pour répondre aux besoins.

Dans le dernier rapport de MSF sur l'accès aux soins en Afghanistan, Persistent barriers to access healthcare in Afghanistan : The ripple effects of a protracted crisis and a staggering economic situation, 91,2% des personnes interrogées ont parlé d'une baisse de leurs revenus l'année dernière, soit 15% de plus qu'en 2021. Et 95% d'entre elles ont déclaré avoir eu des difficultés à se procurer de la nourriture au cours des 12 derniers mois, principalement en raison de la hausse du chômage et de la stagnation des salaires, accompagnées de l'augmentation des prix, notamment des denrées alimentaires de base. Cette situation survient alors que les sanctions imposées par la communauté internationale continuent de paralyser l'économie et que 7 milliards de dollars d'actifs de la banque centrale afghane restent gelés à l'étranger.

« Parfois, les mères sont tellement mal nourries qu'elles ne peuvent pas produire de lait pour leurs enfants. Nous les voyons mettre du thé dans des biberons pour le donner à des nouveau-nés de sept ou huit jours seulement, ce qui peut être très dangereux », explique Hadia, membre du personnel médical de MSF à l'hôpital régional de Herat.

De nombreux Afghans ont été contraints d'adopter des mécanismes de survie aux répercussions négatives étant donné leur situation économique difficile. Parmi toutes les personnes interrogées dans le rapport, 88 % ont déclaré avoir retardé, suspendu ou décidé de ne pas se faire soigner en 2022, soit une augmentation de 14,3 % par rapport à l'année précédente. Marieh, après son arrivée à l'hôpital régional d'Herat soutenu par MSF, explique : « Lorsque mon enfant était malade, nous sommes allés dans l'une des cliniques privées et avons reçu une ordonnance pour des médicaments qui coûtaient 1 000 AFG [environ 12 USD]. Ils n'ont rien donné. Nous avons également essayé l'hôpital public voisin, mais les médecins ne nous ont donné qu'un demi-comprimé, pas tous les médicaments [dont nous avions besoin] ... Maintenant, nous en sommes là. Mon bébé va plus mal, et je dois beaucoup d'argent que nous avons emprunté pour le transport ».

« L'un des principaux problèmes en Afghanistan est que les structures de santé périphériques ne sont ni bien équipées, ni dotées de ressources suffisantes, ni dotées d'un personnel adéquat. Cela signifie que les habitants des zones rurales doivent parcourir de grandes distances pour obtenir un traitement de qualité, alors qu'ils ne peuvent souvent pas se permettre de tels voyages sans se plonger dans les dettes », explique Filipe Ribeiro, représentant de MSF en Afghanistan. « L'espoir que la fin de la guerre réduise considérablement les obstacles à l'accès aux soins a été anéanti par de nouveaux obstacles et de nouvelles craintes. Le trajet vers les hôpitaux est peut-être moins dangereux après la guerre, mais il est certainement devenu plus difficile à payer. »

Plus de 60 % des personnes interrogées ont déclaré que les femmes sont déjà confrontées à des obstacles plus importants que les hommes lorsqu'elles tentent d'accéder aux soins de santé, principalement en termes de restrictions de mouvement liées à la pratique socioculturelle de longue date connue sous le nom de mahram. Cette exigence oblige les femmes qui quittent leur domicile à être accompagnées d'un parent masculin, ce qui peut entraver leur capacité à se rendre à l'hôpital - qu'elles soient patientes, soignantes ou travailleuses humanitaires – pour plusieurs raisons, par exemple lorsqu'aucun parent masculin n'est disponible pour les accompagner, ou lorsqu'un voyage déjà difficile à assumer pour une personne devient inabordable pour deux.

En décembre 2022, le gouvernement afghan a annoncé sa décision d'interdire aux femmes de travailler dans des organisations non gouvernementales et de suivre un enseignement universitaire. Cette mesure risque d'aggraver l'accès des femmes aux soins de santé. « Il est déjà difficile dans certains de nos projets de pourvoir les postes nécessaires, notamment les gynécologues. Si les femmes ne sont pas autorisées à étudier, d'où viendra la prochaine génération de médecins, sages-femmes et infirmières ? Les équipes MSF de nos projets de maternité en Afghanistan ont assisté à plus de 42 000 accouchements l'année dernière et plus de 8 000 d'entre eux ont été accompagnés de complications obstétriques directes. Interdire aux femmes d'apprendre et de travailler mettra la vie des mères, et celle de leurs enfants, en plus grand danger », conclut Ribeiro.

*Les noms des Afghans cités dans l'article ont été modifiés afin de protéger leur identité.

Le rapport Persistent barriers to access health care in Afghanistan: The ripple effects of a protracted crisis and a staggering economic situation rassemble des données médicales, des entretiens et des questionnaires de patients, de leurs soignants et du personnel des projets de MSF à Helmand, Herat, Kandahar Khost et Kaboul. MSF a également documenté les obstacles à l'accès aux soins en Afghanistan dans des rapports publiés en 2014, 2020 et 2021.

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