« Une décision illusoire et inadmissible »
Suite aux élections législatives de janvier 2006 qui ont porté le Hamas au pouvoir, les Etats-Unis, le Canada, l'Union européenne et le Japon ont décidé de suspendre leur aide financière bilatérale à l'Autorité palestinienne, tout en proposant de redistribuer une partie de ces fonds aux Nations unies et autres organismes de secours internationaux intervenant dans les Territoires palestiniens. MSF estime cette proposition inadmissible. Giuseppe Scollo, responsable des programmes de MSF pour les Territoires palestiniens, explique pourquoi.
Pour ce qui est des principes, nous ne pouvons fournir un travail de qualité, dans les Territoires palestiniens comme ailleurs, que parce que nous sommes indépendants et que nous opérons nos choix non en fonction d'un agenda politique mais des seuls besoins des plus démunis et de notre capacité à y répondre. Ne pas se démarquer publiquement de cette proposition d'assurer le service après-vente de la décision des Etats-Unis et de l'Union européenne, revient à être complice de la sanction et à accepter ce rôle d'exécutants. De plus, pourquoi nous substituer à un gouvernement choisi et élu ? Accepter la proposition des Etats-Unis et de l'UE serait aussi légitimer leur choix politique tout en désavouant celui des Palestiniens.
Nous refuserons évidemment tout financement de l'Union européenne et des Etats-Unis. En 2006, la totalité de nos opérations dans les Territoires palestiniens sera financée par des dons privés.
Si nous sommes bien perçus dans les Territoires palestiniens, c'est justement parce que nous sommes impartiaux et indépendants. Nos années de travail sur place nous ont permis de créer des liens solides avec la population qui reconnaît notre travail, nous fait confiance et sait que notre action n'est liée à aucune décision politique, que nous n'agissons dans aucun autre intérêt que celui des personnes auxquelles nous portons assistance.
De plus, en dépit du démantèlement des colonies de la bande de Gaza, le blocus économique des Territoires et l'interdiction de circulation des biens et des personnes entre les Territoires occupés et Israël perdure. Les pénuries se font déjà sentir. La population se paupérise et les structures de santé (qui fonctionnaient essentiellement grâce à l'aide extérieure) souffrent d'un manque chronique de moyens. Les hôpitaux fonctionnent sur leurs stocks de médicaments, qui sont en train de s'épuiser très vite. Les personnes atteintes de pathologies lourdes et complexes (comme les cancers) ne pouvant être pris en charge par le système de santé palestinien ont, pour leur part, de plus en plus de difficultés à se rendre en Israël pour se faire soigner. Les Palestiniens vivent l'arrêt de l'aide comme une punition collective.
On peut aisément imaginer que la situation des familles ne va pas s'améliorer avec l'arrêt des subventions. Et imaginer que les organisations humanitaires vont pallier cette situation est du pur cynisme ! De plus, conformément aux Conventions de Genève, il est de la responsabilité de la puissance occupante, donc d'Israël, d'assurer des conditions de vie décentes à la population palestinienne dans les Territoires occupés.
Aujourd'hui, à Gaza et à Naplouse, nos équipes prodiguent des soins médicaux et psychologiques, doublés d'une assistance médicale et sociale, aux familles exposées à la violence continue depuis des années et aux conséquences de l'occupation (isolement, restriction voire interdiction de se déplacer, difficultés d'accès aux soins, etc.). Nos patients vivent, pour la plupart, enfermés dans des enclaves dont les entrées et les sorties sont soumises aux aléas des points de contrôle militaires (zones proches de colonies, du mur de séparation, de frontières sensibles comme avec l'Egypte ou bien zones d'incursions israéliennes fréquentes). Dans le même temps, nous nous tenons toujours prêts à intervenir en urgence lorsque la situation le nécessite.
MSF ne remet absolument pas en question le climat de violence lié aux attentats et les difficultés qui prévalent aussi en Israël. Nous déplorons cette situation et les souffrances qu'endurent les populations civiles des deux bords. Mais les structures de santé et la prise en charge médicale israéliennes sont performantes et parfaitement opérationnelles, ce qui n'est le cas dans les Territoires palestiniens, où les populations subissent les violences, mais ne bénéficient pas des mêmes recours médicaux, y compris psychologiques, ni du même accès aux soins.