Soudan : un mois après la prise de contrôle d’El Fasher par les FSR, la situation reste catastrophique pour la population civile

AM a été blessé aux jambes lors de l'attaque d'une mosquée à El Fasher. Il raconte que les prix des denrées alimentaires étaient extrêmement élevés et que la ville était constamment en proie aux pillages et aux attentats à la bombe. Hôpital de Tawila
AM a été blessé aux jambes lors de l'attaque d'une mosquée à El Fasher. Il raconte que les prix des denrées alimentaires étaient extrêmement élevés et que la ville était constamment en proie aux pillages et aux attentats à la bombe. Hôpital de Tawila © Natalia Romero Peñuela/MSF

Depuis la prise de contrôle d’El Fasher par les Forces de soutien rapide (FSR), la population tente de fuir massivement les atrocités commises par les FSR. Médecins Sans Frontières (MSF) fournit des soins d'urgence aux personnes qui ont atteint la ville de Tawila. Les patients y décrivent des massacres, des actes de torture et des enlèvements contre rançon, que ce soit dans la ville même ou le long des routes de fuite. MSF continue d’accroître ses capacités à Tawila et les équipes sont inquiètes pour celles et ceux qui sont encore portés disparus.

MSF continue de fournir des soins médicaux à Tawila, y compris la chirurgie de guerre, dans l’hôpital qui dispose actuellement d’une capacité de 220 lits, et distribue de l’eau dans les camps de déplacés. Tous les survivants suivis par MSF racontent avoir fui sous les bombardements et les tirs, marchant à pied entre trois et cinq jours, souvent en se cachant le jour et en se déplaçant la nuit pour éviter les arrestations et les attaques. Ils décrivent une violence extrême, incluant des massacres et des atrocités à motivation ethnique. Sur leur route, ils ont vu de nombreux corps sans vie et ont subi torture, enlèvements contre rançon, violences sexuelles, humiliations, et ont été dépouillés de tous leurs biens. Les patients évoquent également des arrestations massives où des hommes, principalement des jeunes, ont été détenus et séparés des femmes et des enfants dans des lieux comme Garni, au nord-ouest d’El Fasher.

Après avoir assisté à la mort de sa femme et de sa fille au milieu des bombardements à El Fasher, AM* s’est lancé dans un périple éprouvant de quatre jours vers Tawila, à 60 kilomètres de là, le lundi 27 octobre. Quatre jours à marcher, durant lesquels lui et sa famille restante ont subi torture, coups et vols. En chemin, dans le village de Garni, il a dû enterrer sa nièce, une jeune fille morte d’épuisement et de faim. « Elle n’a pas pu supporter de marcher sur de si longues distances. Le voyage a été très difficile et nous sommes en grande détresse », dit-il. Pourtant, il a continué à avancer vers Tawila.

Mais lorsqu’ils ont enfin atteint la ville, les conditions étaient désastreuses : pas assez d’eau, pas assez de nourriture, d’abris, de latrines. 

El Fasher reprise par les FSR le 26 octobre était la dernière ville du Darfour tenue par les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces conjointes. Selon les données du NRC, environ 10 000 personnes ayant survécu aux atrocités de masse commises par les FSR ont fui vers Tawila. Depuis, elles font face à des conditions désastreuses dans des camps surpeuplés. Ce chiffre reste pourtant relativement faible comparé aux quelque 260 000 personnes qui, selon l’ONU, se trouvaient encore à El Fasher fin août.

« Nous avons commencé à recevoir un afflux de personnes venant d’El Fasher une semaine avant la prise de la ville. Au début, il s’agissait principalement de femmes et d’enfants épuisés, mal nourris, déshydratés, arrivés par camions. Après la chute d’El Fasher, nous avons également accueilli des hommes, dont la plupart présentaient des blessures traumatiques, des blessures par balles et des plaies infectées, venus à pied », explique la Dre Mouna Hanebali, responsable de l’équipe médicale à l’hôpital de Tawila. « Aujourd’hui, de moins en moins de personnes passent par cette route. Certaines viennent de Korma à la place, mais leur nombre reste faible. »

Alors qu’aucune organisation humanitaire internationale, y compris MSF, n’a pu atteindre El Fasher, nos équipes continuent de tenter d’identifier des survivants ayant besoin d’assistance médicale.

Au Darfour Nord, plusieurs explorations ont eu lieu à Um Jalbak, Shangil Tobay, Dar el Salam et Korma. Les équipes n’ont constaté aucune arrivée massive, seulement quelques centaines de personnes ayant quitté El Fasher au cours des trois dernières semaines. Elles ont référé plusieurs personnes en état critique vers l’hôpital de Tawila. MSF mène également des activités médicales à Umbaru, Mazbet, Karnoy et Tina, des localités situées sur la route de l’exode vers le Tchad : là aussi, aucun afflux important. La situation est similaire à Belliseraf, au Darfour Sud, ainsi qu’à Golo et Fanga, au Darfour Central, où nos équipes évaluent les besoins et se préparent à distribuer des kits aux nouveaux arrivants. 

Bien que l’OIM ait estimé que plus de 100 000 personnes avaient été déplacées d’El Fasher au 17 novembre, ses rapports indiquent également que la grande majorité reste autour d’El Fasher, principalement dans des villages ruraux à l’ouest et au nord de la ville. Nos observations, les témoignages des survivants et des informations externes, telles que les analyses satellitaires menées par le Humanitarian Research Lab (HRL) de la Yale School of Public Health, pointent vers un scénario catastrophique dans lequel une grande partie des civils encore en vie à El Fasher avant le 26 octobre ont été tués, détenus, piégés et incapables de recevoir une aide vitale ou de se déplacer vers un endroit sûr.

 

Dans les camps de Daba Naira et de Tawila Unda, où arrivent la plupart des personnes déplacées d'El Fasher, la distribution d'eau potable est insuffisante : environ 1,5 litre par personne et par jour selon une évaluation de MSF, bien loin du minimum humanitaire de 15 litres.
 © Natalia Romero Peñuela/MSF
Dans les camps de Daba Naira et de Tawila Unda, où arrivent la plupart des personnes déplacées d'El Fasher, la distribution d'eau potable est insuffisante : environ 1,5 litre par personne et par jour selon une évaluation de MSF, bien loin du minimum humanitaire de 15 litres. © Natalia Romero Peñuela/MSF

Conditions de vie extrêmement précaires dans les camps de Tawila

Les survivants qui arrivent à Tawila rejoignent des camps déjà surpeuplés et où les services essentiels sont saturés. Plus de 650 000 personnes déplacées venant d’El Fasher depuis ces deux dernières années s’y trouvent, dont près de 380 000 nouveaux arrivants depuis avril 2025, lorsque les FSR ont attaqué le camp de Zamzam.

« Les conditions de vie dans les camps de Tawila sont extrêmement précaires », déclare Myriam Laaroussi, coordinatrice des urgences MSF au Darfour. « Des personnes dévastées arrivent dans un endroit où il n’y a pas assez de ressources pour répondre à leurs besoins essentiels : elles dorment sous des abris de fortune faits de bois et de draps, et l’aide alimentaire ne fournit qu’un repas par jour pour les personnes prioritaires. » Lors d’une évaluation menée par MSF dans les camps de Daba Naira et Tawila Umda, les équipes ont constaté qu’il n’y avait en moyenne que 1,5 litre d’eau par personne et par jour, bien en dessous du seuil minimum de 15 litres.

IO*, âgée d’environ 30 ans, est assise avec ses deux enfants sous une bâche improvisée. Ils ont marché pendant trois jours avant d’atteindre Daba Naira, actuellement le plus grand camp de déplacés de Tawila, qui compte environ 210 000 personnes. Son mari a été tué par un bombardement à El Fasher alors qu’il était parti chercher de la nourriture. Quand elle a finalement décidé de fuir avec ses deux enfants le 25 octobre, ils ont trouvé son corps sans vie dans la rue. « Tout ce que nous possédions a été volé. La seule chose qu’il me reste, c’est ce vêtement, que mes enfants et moi étendons par terre pour dormir », dit-elle. « J’ai besoin de vêtements pour mes enfants, car ils n’ont qu’une seule paire de chaussures à se partager. Il nous manque encore beaucoup d’articles de première nécessité. » Selon l’Association des médecins soudanais-américains (SAPA), environ 74 % des personnes déplacées à Tawila vivent dans des sites sans infrastructures adéquates, et moins de 10 % des ménages ont un accès fiable à l’eau ou aux latrines. Dans tout le camp de Daba Naira, il est courant de voir des défécations à l’air libre, ce qui accroît le risque de propagation de maladies comme le choléra.

IO et ses deux enfants ont fui El Fasher le vendredi précédant la prise de contrôle par les RSF. En chemin, ils ont été témoins de nombreux massacres causés par des bombardements intensifs et ont subi des passages à tabac et des insultes racistes. Son mari a été tué par un obus alors qu'il cherchait de la nourriture.
 © Natalia Romero Peñuela/MSF
IO et ses deux enfants ont fui El Fasher le vendredi précédant la prise de contrôle par les RSF. En chemin, ils ont été témoins de nombreux massacres causés par des bombardements intensifs et ont subi des passages à tabac et des insultes racistes. Son mari a été tué par un obus alors qu'il cherchait de la nourriture. © Natalia Romero Peñuela/MSF

« Les personnes portées disparues sont toujours là-bas, et ils ne les laisseront pas partir »

IA* travaillait comme gardien dans une université à El Fasher. La veille de la chute de la ville, il a été blessé par balle à la jambe au milieu d’une fusillade, et son tibia a été fracturé en plusieurs endroits. « La plaie saignait, et mon frère a fait un garrot. Puis il m’a hissé sur une charrette tirée par un âne et m’a amené ici. Vous imaginez la douleur ? C’était très dur », raconte-t-il. Il a passé trois jours sur les routes. Malgré leurs efforts, une partie de sa jambe a dû être amputée lorsqu’ils ont enfin atteint l’hôpital de Tawila.

Comme IA, les témoignages de nos patients qui ont réussi à fuir sont terribles. 

FI*, un homme de 50 ans visiblement épuisé, a été détenu pendant dix jours, battu et contraint de subir des violences indicibles. Ses ravisseurs exigeaient 10 millions de livres soudanaises [4 000 USD] pour sa libération. « Ils se sont enivrés et nous ont emmenés dans le désert. Ils nous ont forcés à nous allonger dans les buissons, nous ont battus et humiliés terriblement. Ils disaient qu’ils allaient nous tuer et ont tiré sur nous avec beaucoup de munitions réelles », raconte-t-il. Finalement, ses ravisseurs l’ont relâché après qu’il a payé 500 000 livres soudanaises [200 USD], car ses blessures étaient gravement infectées.

Selon les patients que nous soignons, de nombreux civils sont encore détenus à Garni et dans d’autres localités autour d’El Fasher pour des rançons ou empêchés par les FSR et leurs alliés de rejoindre des zones plus sûres comme Tawila. « Les personnes portées disparues sont toujours là-bas, et ils ne les laisseront pas partir », avertit FI.

« Les personnes qui ont survécu à la violence extrême restent en grave danger à El Fasher et dans ses environs. L’accès humanitaire est bloqué, les personnes encore en vie sont piégées, tandis que les informations directes sur la situation actuelle à l’intérieur et autour de la ville sont très limitées », déclare Myriam Laaroussi, coordinatrice des urgences MSF au Darfour.

MSF renforce ses activités à Tawila

Nos équipes ont construit un poste de santé à l’entrée du camp de Tawila Umda, l’un des principaux points d’arrivée des personnes déplacées venant d’El Fasher. Elles y assurent des soins ambulatoires et des pansements pour les blessés, stabilisent les cas critiques et organisent les transferts en ambulance vers l’hôpital pour les patients les plus gravement atteints. MSF a également identifié un besoin urgent en soins de santé mentale.

À l’hôpital de Tawila, où nous avons mis en place une zone d’urgence pour les arrivants d’El Fasher depuis la mi-août, la capacité d’accueil des blessés et des patients traumatisés a été augmentée, passant de 24 à plus de 100 lits. « Nous réalisons un nombre croissant d’interventions chirurgicales : environ 20 cas par jour contre 7 cas par jour le mois dernier », explique Mouna Hanebali. Les équipes continuent également de traiter des personnes arrivant avec une malnutrition alarmante.

Les équipes de MSF commencent également une intervention pour restaurer et améliorer l’accès aux soins à Tine et Kornoi, au Darfour Nord, près de la frontière avec le Tchad, ainsi qu’au Tchad.

MSF appelle les FSR et leurs alliés à garantir de toute urgence un passage sûr et libre pour les malades, les blessés et tous les civils cherchant à rejoindre des zones plus sûres, et à faciliter l’accès humanitaire à Garni, El Fasher et les autres lieux où se trouvent des survivants. Nous appelons également les bailleurs et les acteurs humanitaires à renforcer leur réponse face aux besoins croissants en matière de santé, de protection, d’alimentation, d’eau et d’assainissement à Tawila.

*Les noms ont été modifiés pour protéger l’identité des personnes concernées

Notes

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