Soudan : des taux de malnutrition extrêmes parmi les déplacés d’El Fasher

Des enfants meurent de faim au Soudan dans l’indifférence mondiale alors que la guerre se poursuit.
Des enfants meurent de faim au Soudan dans l’indifférence mondiale alors que la guerre se poursuit. Unité de soins intensifs dans le service pédiatrique de l'hôpital MSF de Tawila, Tawila, Nord-Darfour, Octobre 2025. © Aurélie Lécrivain/MSF

Alors que les personnes affamées continuent de fuir les atrocités commises par les Forces de soutien rapide (FSR) à El Fasher, Médecins Sans Frontières (MSF) fournit des soins d'urgence à celles qui ont atteint la ville de Tawila. Les équipes y constatent des niveaux extrêmes de malnutrition aiguë. 

Depuis des mois, les équipes de MSF à Tawila traitent la malnutrition chez les patients qui ont fui El Fasher, mais les taux de malnutrition sont désormais impressionnants. Parmi les enfants de moins de cinq ans qui ont atteint Tawila entre le 27 octobre, période à laquelle les RSF ont pris le contrôle d'El Fasher, et le 3 novembre, plus de 70 % souffraient de malnutrition aiguë, dont 35 % de malnutrition aiguë sévère. Dans le même temps, 60 % des 1 130 adultes examinés par MSF souffraient de malnutrition aiguë, dont 37 % de malnutrition aiguë sévère. Les taux de malnutrition sont encore plus élevés chez les femmes enceintes et allaitantes. 

Les observations de MSF corroborent les craintes selon lesquelles la famine aurait dévasté la population d'El Fasher, assiégée pendant plus de 500 jours. Elles correspondent également au rapport IPC récemment publié, qui fait état d'une famine à El Fasher et à Kadugli.  

Les survivants arrivés à Tawila ont décrit aux équipes de MSF une situation qui était devenue insupportable à El Fasher. Les gens rapportent n'avoir eu aucun accès à la nourriture, les cuisines communautaires ayant fermé, l'aide humanitaire ayant été bloquée et les marchés ayant été bombardés et vidés. En septembre, 7 kg de millet coûtaient 500 000 livres soudanaises (180 euros) et 1 kg de sucre 130 000 livres (46 euros).  

En désespoir de cause, les habitants ont consommé de la nourriture pour animaux. « Nous avions tellement faim que nous avons commencé à manger de l'ambaz, un résidu agricole normalement destiné au bétail. Au début, c'était gratuit, puis nous avons dû l'acheter 20 000 livres les 1,5 kg (7 euros), et le prix est passé à 50 000 livres (17 euros) en juin », a déclaré une femme déplacée à MSF dans le nord du Darfour.  

Ceux qui ont tenté d'apporter de la nourriture à El Fasher durant le siège ont été blessés ou tués par les RSF. Des dizaines d’entre eux ont été soignés par MSF au cours des derniers mois. « Mon cousin a disparu en juin alors qu'il tentait d'apporter de la nourriture, et depuis nous n'avons plus aucune nouvelle de lui. À la sortie d'El Fasher, ils ont été confrontés à des combattants FSR à moto qui leur ont tiré dessus », raconte une femme qui a fui la ville en octobre. 

MSF craint que de nombreuses personnes à El Fasher et dans ses environs restent bloquées ou retenues en otage. Les RSF et leurs alliés doivent mettre fin aux massacres et permettre aux survivants de fuir en toute sécurité.  

Depuis le début de l'année, la moitié des 6 500 femmes enceintes examinées par MSF à Tawila dans le cadre de soins prénatals souffraient de malnutrition aiguë, 15 % d'entre elles souffraient de malnutrition sévère et 35 % de malnutrition modérée. Cela expose leurs enfants à un risque sérieux d’un poids insuffisant à la naissance ou de malnutrition. 

Au-delà d'El Fasher, les équipes de MSF à travers le Soudan ont constaté une détérioration généralisée de l'état nutritionnel des enfants au cours des derniers mois. La crise est alimentée par plusieurs facteurs qui se recoupent, notamment l'insuffisance alimentaire, les maladies, les violences, le manque de moyens de subsistance et les conditions de vie précaires.  

« Dans l’ensemble du pays, on peut faire davantage pour réduire les souffrances causées par la malnutrition. Nous appelons toutes les parties belligérantes à permettre aux organisations humanitaires d'accéder en toute sécurité et sans entrave au territoire afin d'améliorer les services et de contribuer à réduire cette crise », déclare Myriam Laaroussi, coordinatrice des urgences pour MSF. 

Les déplacements, à l'intérieur du Soudan ou depuis d'autres pays, jouent également un rôle important dans la malnutrition. Dans l'État du Nil Bleu, à l'est du Soudan, l'arrivée depuis juin de Soudanais revenant du Soudan du Sud a amenuisé des ressources déjà fragiles. Des milliers de familles vivent dans des camps de fortune avec un accès limité à l'eau potable, à la nourriture et aux services d'hygiène, ce qui entraîne une épidémie de choléra et une augmentation de décès évitables chez les enfants. Entre juillet et septembre, MSF a soigné 1 950 enfants souffrant de malnutrition sévère à l'hôpital universitaire de Damazin; 100 enfants sont décédés, dont beaucoup des suites du choléra et de la malnutrition aiguë. 

Lorsque les personnes déplacées peuvent rentrer chez elles, elles sont souvent confrontées à des difficultés importantes pour se procurer de la nourriture ou accéder à des services tels que les soins médicaux. Dans l'État de Khartoum, la malnutrition s'est aggravée depuis juin, car plus de 700 000 personnes sont revenues dans des quartiers dévastés par la guerre où l'accès à l'eau et aux soins de santé est limité. L'hôpital Al Buluk d'Omdurman, dans l'État de Khartoum, a admis 351 patients souffrant de malnutrition en septembre, tandis que l'hôpital Al Banjadeed de la ville de Khartoum a constaté que 46 % des enfants examinés lors des consultations souffraient de malnutrition. L'aide humanitaire à Khartoum reste bien en deçà des besoins, avec peu d'organisations présentes et des lacunes importantes tant dans l'aide d'urgence que dans les efforts de reconstruction à long terme.  

L'ampleur réelle de la crise est par ailleurs probablement bien pire que rapportée. Si les parties belligérantes n'accordent pas un accès sûr et sans entrave à l’aide aux personnes en danger, et si les organisations internationales n'augmentent pas leur financement et leur aide humanitaire, davantage d'enfants seront impactés par cette crise nutritionnelle. 

Notes

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