Quand les brevets bloquent l'accès aux soins

Lors d'un débat diffusé par TV Nanning, télévision locale chinoise,
Ellen 't Hoen, responsable des questions juridiques pour la Campagne
d'accès aux médicaments essentiels, a expliqué pourquoi les brevets
sont responsables du coût très élevé des traitements, et comment il est
possible de les contourner. Extraits.

Ce que nous constatons à travers le monde, c'est que les traitements antirétroviraux de première ligne nécessaires pour soigner les patients séropositifs qui commencent à développer le sida sont encore très difficilement accessibles, parce qu'ils sont très chers.
Quand nous avons lancé la Campagne d'accès aux médicaments essentiels (CAME) en 1999, presque aucun patient en dehors de l'Europe et des Etats-Unis n'avait accès à ces trithérapies. Qu'elles soient distribuées en trois comprimés distincts, ou bien en un seul comprimé combinant trois molécules, ces thérapies coûtaient alors 10000 dollars par patient et par an, une somme hors de portée du plus grand nombre. Notre priorité était donc de faire baisser ce prix.

BREVET = MONOPOLE = PRIX ÉLEVÉS
Nous avons donc commencé à nous demander pourquoi ces traitements étaient aussi chers. Et nous nous sommes aperçus qu'il existait une corrélation étroite entre le prix d'un médicament et l'existence d'un brevet le protégeant. Car lorsqu'un médicament (et pas seulement les antirétroviraux) est protégé par un brevet, cela veut dire que seul le laboratoire qui détient ce brevet le distribue, en situation de monopole. Et sans concurrence entre plusieurs fabricants, le prix ne baisse pas.
En outre, l'existence de brevets sur des molécules, si ces brevets sont détenus par des laboratoires différents, empêche de les utiliser dans des combinaisons d'antirétroviraux dont nous avons fortement besoin pour simplifier les trithérapies.

LE PARADOXE CHINOIS
En Chine, nous nous heurtons à ces problèmes, car certains des antirétroviraux essentiels sont protégés par des brevets. Et c'est la raison pour laquelle les trithérapies restent extrêmement coûteuses dans ce pays.
Le paradoxe, c'est que la Chine produit de nombreux composants primaires utilisés par des laboratoires pour fabriquer des antirétroviraux brevetés. Un bon exemple est le 3TC (ou Lamivudine): alors même que des entreprises chinoises en fabriquent les composants de base, cette molécule est distribuée en Chine exclusivement par GlaxoSmithKline (GSK), qui ne propose même pas le dosage dont nous avons besoin. Ainsi, il n'existe aucun obstacle technique à la production d'un équivalent du Lamivudine en Chine. Le brevet est l'unique obstacle.

UN BREVET N'EST PAS UN DROIT DIVIN
Il serait pourtant possible d'y remédier. En effet, un brevet n'est pas un droit divin, et un gouvernement peut décider de passer outre s'il estime que c'est une question de santé publique. Et en l'occurrence, cela ne fait aucun doute.
Les lois chinoises et internationales offrent la possibilité de ne pas tenir compte d'un brevet en cas d'urgence sanitaire, en utilisant ce qu'on appelle une licence obligatoire. Si le gouvernement chinois le décidait, des entreprises chinoises pourraient fabriquer des antirétroviraux génériques, y compris des trithérapies 3-en-1 (trois molécules réunies en un seul comprimé), ou alors il serait possible d'en importer.

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