Prises de paroles publiques de MSF : morceaux choisis

James Orbinski à Baidoa Somalie en 1992
James Orbinski à Baidoa, Somalie, en 1992 © Petterik Wiggers

Les études de cas « Prises de paroles publiques de MSF » sont accessibles à partir d’octobre sur le site : www.speakingout.msf.org, MSF rend publics ces ouvrages (correspondance et documentation interne à MSF, extraits d’articles de presse écrite et audiovisuelle, etc.) -  jusqu’ici diffusés uniquement en interne - qui documentent les réflexions internes de l’organisation sur les crises qui l’ont poussée à prendre une position publique. Ces documents à vocation pédagogique éclairent aussi les choix opérationnels et les compromis et difficultés auxquels sont confrontées les équipes sur le terrain.

Publication de l’étude de cas sur MSF et la crise somalienne 1991-1993

La première étude de cas publiée s’intitule : Somalie1992-1993: Guerre civile, alerte à la famine et intervention « militaro-humanitaire » de l'ONU. Étant l'une des rares organisations médicales présentes en Somalie au cours de la première année de la  guerre civile, MSF a largement participé à alerter l’opinion publique internationale sur la gravité de la situation dans le pays. L'étude documente aussi la décision de MSF de questionner les règles d’engagement des forces internationales de maintien de la paix, auteurs de dérives violentes,  ainsi que les conséquences politiques et opérationnelles qui en ont découlé.

Extraits :

Avril 1992, l’ampleur de la famine en Somalie pousse MSF à lancer une enquête épidémiologique pour convaincre les donateurs internationaux d’organiser des distributions massives de nourriture.

« On fait cette enquête nutritionnelle pour avoir des arguments, des preuves pour aller convaincre tout le monde qu’il faut inonder le pays d’aide alimentaire. On sait bien que les gens meurent de faim. On n’a pas besoin de cette enquête pour connaitre cette situation. (…) C’est la première fois qu’on fait une enquête épidémiologique pour faire du lobby. Avec cette enquête on fait plus que de la communication : on alerte ».

Dr. Brigitte Vasset, directrice des opérations, MSF France, 1992 à 1998

 

27 février 1993, 22 heures, Baïdoa, Somalie, l’équipe MSF est attaquée par ses propres gardes armés.

« Un fusil était pointé sur ma tempe. Comme ils ne trouvaient rien, ils m’ont ramené dans la pièce. A l’exception de l’un d’entre eux qui gardait un œil sur nous, ils se sont absentés pendant 15 minutes pendant lesquelles ils ont sans doute fouillé le reste de la base.

Pendant ce temps, Mohamed, le cuisinier, a été ramené, après une sortie en ville. Il a été jeté dans la pièce avec nous. Abbas a été sorti de la pièce et questionné. Plusieurs fois ils l’ont jeté contre le mur et le sol…»

Pieter, coordinateur de MSF à Baïdoa

 

Entre décembre 1991 et février 1992, des responsables de MSF rencontrent plusieurs fois les deux chefs de guerre Aïdid et Ali Mahdi pour obtenir des accords sur le désarmement dans les hôpitaux et la sécurité des humanitaires.

« Donc on traversait la ligne verte pour aller apporter des médicaments chez Ali Mahdi. C’étaient nos gardes, les hommes d’Aïdid, qui avaient organisé le transfert. Ils nous amenaient dans cette zone tampon de la ligne de front, nous remettaient aux hommes d’un clan neutre, les Awadlé, et ce sont ces derniers qui nous escortaient dans le no man’s land… Et de l’autre côté, les gens d’Ali Mahdi nous récupéraient et on discutait avec Ali Mahdi, président de la Somalie ! »

Thierry Durand, coordinateur régional MSF basé à Nairobi, décembre 1990 à fin 1993

 

Le 22 juillet 1992, Rony Brauman, le président de la section française de MSF, est auditionné par le Congrès des Etats-Unis sur la situation humanitaire en Somalie. Il préconise une opération d’aide alimentaire à large échelle. Il affirme également que l’envoi de soldats de la paix pour la protéger n’est pas une priorité. Selon lui, le détournement de l’aide n’est pas un problème inquiétant puisque dans un pays où règne une telle famine la nourriture détournée est de toute façon consommée.

« Nous sommes présents depuis janvier 1991 en Somalie (…) Nous avons été témoins des effroyables conséquences de la guerre, puis de la lente agonie des millions de Somaliens ayant fui les zones de conflit, à la recherche d’un peu de sécurité et de nourriture. Ce sont malheureusement les enfants qui payent le plus lourd tribut à cette famine. D’après nos enquêtes, plus d’un quart d’entre eux sont déjà morts, et le processus s’accélère inexorablement. (…) Si rien n’est fait pour leur porter secours, les trois quarts des enfants somaliens vont mourir dans l’année qui vient. A terme, une génération entière risque de disparaître (…) Les efforts acharnés que nous faisons tous resteront vains si la communauté internationale ne déclenche pas de toute urgence une vaste opération d’aide alimentaire. (…) Face à l’ampleur de cette tragédie, les organisations non gouvernementales ne peuvent à elles seules inverser le cours des choses. C’est pourquoi nous lançons cet appel pressant à qui peut l’entendre: seule une aide alimentaire massive et soutenue à la Somalie pourra éviter que ce drame ne se transforme en une catastrophe humaine sans précédent. »

Rony Brauman devant la Commission contre la faim du Congrès des Etats-Unis, 22 juillet 1992

 

Mars 1993, l’équipe de MSF est témoin des comportements abusifs de parachutistes belges vis-à-vis de la population et proteste en vain envers les responsables militaires et politiques.

« On avait un très bon chirurgien qui avait été réserviste à l’armée et qui s’y connaissait en armes. Quand il opérait, il sortait une balle et disait « balle belge ». Et il y en avait beaucoup, des balles belges. On faisait des statistiques sur les blessés qui arrivaient à l’hôpital. C’était le genre de document qu’on envoyait à la presse et qu’on diffusait sur le terrain. Dès qu’on voyait arriver une grosse délégation avec un ministre, on le lui remettait. (…) quand ça tirait partout dans la ville, les soldats belges ramassaient quand même les blessés et les amenaient à l’hôpital avec leurs blindés, des petits tanks blancs. Mais ils les transportaient sur le capot du véhicule, là où le moteur chauffe, où le soleil africain cogne et où on ne peut même pas mettre la main. Ils faisaient un petit tour avant de venir le déposer. Ils avaient accompli un acte humanitaire : on ramasse les blessés et on les amène à l’hôpital. En fait, cela ressemblait à de la torture. »

Peter Casaer, coordinateur MSF Belgique à Kismaayo d’août 1992 à avril-mai 1993

 

17 juin 1993, l’ONUSOM lance une attaque de grande envergure à Mogadiscio et bombarde la maison d’Action Internationale Contre la Faim (AICF) dans laquelle se trouvaient 2 membres d’AICF, 6 membres de Médecins Sans Frontières, 5 journalistes et du personnel somalien. MSF diffuse le jour même un communiqué de presse dénonçant l’attaque et le manque d’informations préalables sur son envergure. Sur le terrain, la coordinatrice MSF se souvient :

« Les militaires ont annoncé qu’ils voulaient que les humanitaires quittent la capitale parce que « ce territoire va devenir une zone de guerre, vous n’avez pas votre place ici. » J’ai pris contact avec eux et je leur ai demandé : « Quels sont les hôpitaux prévus pour les blessés, quel est votre plan médical ? » Ils n’avaient pas de plan médical. Ils ne connaissaient pas les hôpitaux (…) Ils avaient préparé une opération et ils n’arrivaient pas à donner des réponses sur les garanties qu’ils pouvaient offrir à la population locale. Donc on a prépositionné du matériel dans les hôpitaux et dans le compound AICF et on a fait venir une équipe chirurgicale : chirurgien, post-op, etc.
A Mogadiscio, on s’attendait à chaque instant à se prendre un coup de kalachnikov. C’était le climat ambiant. Mais se prendre un bombardement de la part des militaires alors qu’on a tout fait dans les règles, ça, on ne l’avait pas imaginé…(…) Quand ça a commencé à bombarder, on a appelé les responsables des hôpitaux qui nous ont dit : «
ne venez pas, vous ne pouvez pas entrer et la bataille se déroule juste devant l’hôpital. » A Digfer, un hôpital en hauteur avec de nombreux étages, la bataille s’est terminée dans l’hôpital avec les Somaliens en position sur les fenêtres, qui ont commencé à tirer sur les troupes de l’ONU d’en haut. Alors les forces de l’ONU ont balancé des bombes dans l’hôpital. Tous les patients s’enfuyaient en courant, ou en sautant les murs de l’hôpital, certains encore avec leur perfusion. »

Coordinatrice MSF France en Somalie, mars à juin 1993

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