Nigeria : une infirmière face au noma, cette maladie qui « dévore » les visages

Bilya est un patient de l'hôpital de Sokoto, au Nigeria. Originaire d'un village à proximité de la frontière avec le Niger, il a été touché par le noma quand il avait un an et a été opéré pour la première fois à 20 ans. Nigeria. 2017.
Bilya est un patient de l'hôpital de Sokoto, au Nigeria. Originaire d'un village à proximité de la frontière avec le Niger, il a été touché par le noma quand il avait un an et a été opéré pour la première fois à 20 ans. Nigeria. 2017. © Claire Jeantet - Fabrice Caterini/INEDIZ

Scarlett Brannigan est infirmière. Elle livre le récit de sa première journée à l'hôpital de Sokoto au Nigeria, dans lequel MSF prend en charge les personnes touchées par le noma. Cette infection foudroyante, souvent mortelle, détruit les os et les tissus du visage.

À mon arrivée à l'hôpital, j'avais hâte d'aider mes nouveaux collègues à prendre soin des patients. Mais, alors que je retirais le pansement du visage du premier enfant que je prenais en charge, j'ai été prise de colère et de tristesse. C'était une jeune fille, accompagnée par sa mère. L'infection avait creusé un trou profond dans sa mâchoire jusqu'à l'orbite de son œil ; ses dents et ses gencives étaient également touchées.

Le mot « noma » vient du grec qui signifie « dévorer ». Cette infection avait littéralement dévoré la moitié du visage de la jeune fille. Le noma touche principalement les enfants de moins de 5 ans, qui vivent dans une très grande pauvreté. Près de 90 % des personnes touchées par cette infection décèdent en moins de deux semaines. Et les survivants gardent de terribles séquelles. 

Une catastrophe inhumaine

J'ai dû me mettre un peu en retrait quelques instants pour me calmer. L'infirmière spécialisée en santé mentale qui était avec nous a posé la main sur mon épaule. Elle a également réconforté la mère, qui s'est mise à pleurer à la découverte de l'étendue des dégâts provoqués par l'infection. C'était ma première journée de travail en tant qu'infirmière MSF. J'avais été affectée dans le seul hôpital au monde dédié à la prise en charge du noma.

Un père et son fils à l'hôpital de Sokoto. Le petit garçon de deux ans souffrait de malnutrition due à sa difficulté à ingérer les aliments. Le noma a détruit une partie de son visage. Nigeria. 2016.

 
 © Claire Jeantet - Fabrice Caterini/Inediz
Un père et son fils à l'hôpital de Sokoto. Le petit garçon de deux ans souffrait de malnutrition due à sa difficulté à ingérer les aliments. Le noma a détruit une partie de son visage. Nigeria. 2016.   © Claire Jeantet - Fabrice Caterini/Inediz

Le noma est une maladie qui défigure ou tue des milliers de personnes chaque année. Elle reçoit pourtant peu d'attention : c'est ce qu'on appelle une maladie négligée. Elle commence par une grave infection des gencives, conduisant à des ulcères douloureux autour et à l'intérieur de la bouche. 

Au fur et à mesure qu'il se propage, le noma ravage le visage, les lèvres et le menton, laissant les survivants avec des cicatrices étendues. Le résultat final, quand la personne n'en décède pas, est une défiguration permanente, un handicap, le dénuement, le désespoir et l'isolement social.

Des chirurgiens et des anesthésistes auscultent une patiente. Nigeria. 2017.
 © Claire Jeantet - Fabrice Caterini/INEDIZ
Des chirurgiens et des anesthésistes auscultent une patiente. Nigeria. 2017. © Claire Jeantet - Fabrice Caterini/INEDIZ

Le médecin est ensuite venu évaluer l'état de la plaie de la jeune fille. Il m'a informée que son os était mort et devait être retiré. Après avoir administré des médicaments pour soulager la douleur, nous avons commencé à retirer les fragments osseux.

Sa mère lui a tenu la tête tandis que le médecin utilisait une pince pour retirer l'os nécrosé. La jeune fille n'était pas la seule à pleurer pendant l'opération. Sa mère et moi étions également en larmes.

Un garçon de 14 ans en consultation à l'hôpital de Sokoto. Son nez a été détruit par le noma. Nigeria. 2017.
 © Claire Jeantet - Fabrice Caterini/INEDIZ
Un garçon de 14 ans en consultation à l'hôpital de Sokoto. Son nez a été détruit par le noma. Nigeria. 2017. © Claire Jeantet - Fabrice Caterini/INEDIZ

Ce jour-là, j'ai découvert une catastrophe inhumaine. Je ne pouvais que ressentir de la colère à l'idée qu'on puisse laisser de telles infections détruire la vie de personnes aussi vulnérables.

Comment cela peut-il arriver ?

Mes collègues m'ont informée que le nombre de patients récemment infectés par le noma était en augmentation à l'hôpital, alors que c'est une maladie totalement évitable. Elle a d'ailleurs disparu d'Europe il y a plusieurs décennies. La dernière fois que la maladie a été signalée, c'était dans les camps de concentration nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.

Une fillette de 6 ans avec sa mère à l'hôpital de Sokoto. Elle est originaire de l'État de Borno, où son père a été tué par le groupe armé communément appelé Boko Haram. Sa mère et elle ont dû fuir leur village et deux mois après la fillette est tombée malade. Nigeria. 2017.
 © Claire Jeantet - Fabrice Caterini/INEDIZ
Une fillette de 6 ans avec sa mère à l'hôpital de Sokoto. Elle est originaire de l'État de Borno, où son père a été tué par le groupe armé communément appelé Boko Haram. Sa mère et elle ont dû fuir leur village et deux mois après la fillette est tombée malade. Nigeria. 2017. © Claire Jeantet - Fabrice Caterini/INEDIZ

Il est difficile de comprendre comment, alors que ces enfants sont censés être protégés par des droits internationaux spécifiques, de telles situations peuvent encore se produire de nos jours.

Nos patients vivent souvent dans des régions très reculées et parcourent de longues distances pour nous rejoindre. Certains arrivent gravement sous-alimentés et épuisés. Leur droit à l'alimentation, aux soins de santé et à l'assainissement n'est certainement pas respecté ni par l'État, ni par la communauté internationale. Le Nigeria est un pays plein de richesses et de ressources naturelles, dans lequel les inégalités peuvent avoir des conséquences dévastatrices.

Cependant, la colère ne sert à rien à l'hôpital de Sokoto. J'ai donc pris une grande respiration, je me suis ressaisie et j'ai repris mon rôle. Celui d'une infirmière qui peut aider ses patients face à la souffrance et à la maladie, notamment en nettoyant leurs plaies, une étape essentielle dans le traitement du noma.

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