Naufrage sur le littoral nord français : une infirmière MSF témoigne

Depuis le début du printemps, les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) participent avec Utopia 56 à des maraudes sur le littoral Nord français, afin de porter assistance aux personnes naufragées. Dans la nuit du 25 au 26 juillet 2025, une embarcation a chaviré avec environ 70 personnes à son bord. L’une d’entre elles est décédée malgré les tentatives de réanimation. Camille Brochut, infirmière pour MSF à Calais, était présente cette nuit-là.
Quelle est la situation aujourd’hui à Calais et sur le littoral nord français ?
Nos équipes rencontrent quotidiennement des hommes, des femmes et des enfants qui ont fui leur pays à cause de la guerre, de persécutions, de famines ou tout simplement pour trouver un avenir meilleur. Chaque semaine, des centaines de personnes exilées tentent de traverser la Manche pour rejoindre le Royaume-Uni, sur des embarcations de fortune. Beaucoup de tentatives se soldent par des échecs : les personnes sont interceptées par les forces de l’ordre et, ou leur embarcation de fortune chavire.
La plupart des décès survenus dans la Manche arrivent au plus près des côtes. Depuis des décennies, les politiques répressives et coûteuses mises en place par le Royaume-Uni et la France sont complètement inefficaces. Elles ne dissuadent pas les personnes de prendre la mer, mais les obligent à entreprendre des voyages toujours plus dangereux et désespérés, au péril de leur vie, avec des conséquences souvent fatales.
Que s’est-il passé dans la nuit du 25 au 26 juillet ?
Dans la nuit du 25 au 26 juillet, nous sommes en maraude avec une équipe de l’association Utopia 56. Nous savons qu’il y a une fenêtre météo clémente et donc que des personnes vont tenter de traverser la Manche, sur des canots pneumatiques. Nous parcourons la côte, il est environ 4 heures du matin. Nous entendons des cris dans la nuit et nous comprenons qu’il s’est passé quelque chose de grave. Il fait nuit noire, on ne voit pas à un mètre. Nous sommes guidés par l’intensité des cris. Nous arrivons sur la plage d’Equihen, nous croisons d’abord trois personnes, trempées de la tête au pied, qui nous disent en anglais « le bateau s’est renversé, pouvez-vous nous aider ? ». Soudain, un autre homme arrive vers nous en courant, il hurle « Il y a un mort ».
L’homme m’amène vers une première victime, d’une vingtaine d'années, qui tousse énormément, il a avalé de l’eau de mer. Je le mets en position latérale de sécurité et demande à mon collègue MSF de rester à ses côtés. Je me remets à la recherche de la personne en urgence vitale. Il y a des dizaines et des dizaines de naufragés sur cette plage, tout le monde panique, les gens crient beaucoup. Les bénévoles d’Utopia 56 s’organisent pour évaluer les besoins et s’occuper des victimes.
Je vois un gendarme en train de pratiquer un massage cardiaque. Il me dit qu’ils ont trouvé l’homme inanimé sur la plage et qu’il masse déjà depuis 10 minutes. À sa demande, je prends le relais. Malgré l’obscurité, je me rends compte qu’il a d’énormes traces de brûlures autour des yeux.
Le SMUR arrive à son tour. Cela fait plus de 30 minutes que nous le massons. La médecin du SMUR prend la température de l’homme. Elle me montre le thermomètre : 30 degrés. Je comprends que c’est fini.
Peux-tu nous décrire la situation sur place à ce moment-là ?
Nous sommes dans l’obscurité totale. De nombreuses personnes crient, pleurent, sont en état de choc. Une femme est en détresse respiratoire, un homme brûlé sur les jambes. Je n’ai jamais vu une situation pareille, un tel chaos. Avec mon collègue MSF et les bénévoles d’Utopia 56, nous tentons de répondre à tous les besoins. Nous distribuons des bouteilles d’eau, des couvertures de survie. Les gens sont trempés de la tête au pied. Des personnes sont évacuées à l’hôpital. Certaines sont arrêtées et emmenées à l’hôtel de police, dans leurs vêtements trempés. D’autres attendent, mouillées de la tête au pied, que la protection civile arrive.
Toutes ces personnes naufragées ont vécu un traumatisme immense. J’ai grandi en France. Comment est-ce possible que des êtres humains en soient réduits à se mettre en danger à ce point ici ?