Lituanie : « Les migrants ne se rendent pas compte qu'ils signent leur avis expulsion »

Vue du centre de détention de Kybartai. Lituanie. 2022.
Vue du centre d'enregistrement des étrangers de Kybartai. Lituanie. 2022.   © Diala Ghassan/MSF

Près de 700 personnes sont toujours détenues dans les centres d'enregistrement des étrangers de Kybartai, Pabrade, Rukla et Naujininkai en Lituanie, après avoir franchi la frontière depuis la Biélorussie en 2021. Dans leur pays d’origine et sur leur parcours migratoires, ces personnes ont vécu des expériences traumatisantes, une situation aggravée par le traitement inhumain que leur réserve l’État lituanien. Garang* est enfermé depuis des mois dans le centre de détention de Kybartai, dans lequel les équipes MSF apportent un soutien en santé mentale aux détenus. Il témoigne d’une année placée sous le signe de l’injustice.

J'ai quitté mon pays à cause de cette guerre civile, une guerre civile toujours en cours. Ces événements m’ont beaucoup affecté et ont touché certains membres de ma famille.

Lorsque nous avons traversé la frontière avec la Lituanie, nous avons été arrêtés par la police. Nous n'avions ni eau, ni nourriture. Nous étions obligés de quémander pour avoir de l’eau. Ils nous ont emmenés dans un camp à la frontière. Les conditions de détention étaient horribles. Nous n'avions pas d'intimité. 

Les gardes n'aimaient pas les migrants. Certains groupes de détenus ont escaladé la clôture pour s’enfuir. Les gardiens les ont laissés faire. Mais si un Africain essayait, ils l'enfermaient.

« On m'a même dit que je n'avais pas le droit à un avocat. Je savais que c'était faux. »

Au bout de 4 ou 5 mois, ils m'ont emmené dans un centre de détention. Il y avait de nombreuses personnes vulnérables. Ils ne respectent pas les gens, parce qu'ils pensent peut-être que nous ne sommes pas des humains. Ils ne se soucient pas que vous ayez un problème dans votre pays, ils ne se soucient de rien. 

La détention m'a vraiment affecté, notamment sur le plan de la santé mentale. J'ai développé des douleurs que je ne connaissais pas et je fais des cauchemars. Je suis père de famille et c’est très dur pour moi. Cela fait un an que je n’ai rien pu faire pour mes enfants. 

Chaque jour, on menace de nous expulser. Les gardiens viennent m'intimider, ils me donnent des documents indiquant que je vais devoir quitter le pays. Cela m'empêche de dormir parce que je sais que, là d'où je viens, je serais enfermé pendant des décennies, et peut-être que je serais tué.

Vue du centre d'enregistrement des étrangers de Kybartai. Lituanie. 2022.
 © MSF
Vue du centre d'enregistrement des étrangers de Kybartai. Lituanie. 2022. © MSF

Nous ne connaissions pas la procédure pour demander asile. Personne n’a expliqué aux migrants comment il fallait faire. On m'a même dit que je n'avais pas le droit à un avocat. Je savais que c'était faux. Ils nous disent que l'État nous en a déjà donné un. Mais les avocats commis d’office sont là pour aider le gouvernement lituanien, en nous maintenant en détention.

Je n'ai jamais rencontré ce fameux avocat. Nous ne connaissons pas son nom, nous n'avons ni ses coordonnées ni son adresse mail. Demandez à n'importe quel migrant, ils ne l’ont jamais vu. Pourtant, avoir un avocat est le seul moyen pour nous de sortir de cette situation. Ils libèrent beaucoup de gens, mais pour que nous, les Africains, nous puissions être libérés, nous devons avoir accès à un quelqu’un qui nous défend. 

« Dans le camp, il y a surtout des Africains, les autres ont été libérés. »

Nous ne bénéficions pas d’une réelle procédure de demande d’asile. Nous n'avons que des traducteurs originaires du Moyen-Orient. La plupart ne comprennent même pas notre langue. Nous, les Africains, nous sommes confrontés à cela. Lorsque votre interlocuteur vous pose des questions et que vous parlez à votre traducteur, il ne vous comprend pas. Les documents ne sont pas traduits. Tout est en lituanien.

Certaines personnes ont déposé une demande d’asile et les autorités leur disent qu’ils ne l’ont pas fait. Des gens sont expulsés, car ils ont été dupés. Ils leur apportent des documents et disent que cela va les aider. Les autorités nous trompent. Les migrants ne se rendent pas compte qu'ils signent leur avis d’expulsion.

Ma détention a été prolongée. Je n'ai personne qui puisse m'aider. Je n'ai jamais enfreint les règles, mais je suis Africain. Je suis allé au tribunal au bout d’un an, car toute détention au-delà de cette durée doit être signée par un juge. Il y avait surtout des Africains. Ceux d'entre nous qui n'ont pas été aidés par une ONG ont été placés en détention 6 mois de plus. J’ai très mal vécu cela.

Dans le camp, il y a surtout des Africains, les autres ont été libérés. Il y a aussi quelques Indiens et des Sri-Lankais. Mais nous sommes toujours là, alors que les personnes originaires d’autres continents étaient majoritaires.

Il y a tellement d’injustice. Ils nous traitent différemment. Parfois, il faut accepter la vie comme elle est. Vous avez juste besoin de continuer à respirer. Mais aujourd’hui, je ne peux pas travailler, je n'ai rien le droit de faire. Il faudrait que je puisse subvenir à mes besoins, à ceux de mes enfants. Mais je ne peux pas le faire.

* Le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat du témoin.

 

À lire aussi