URGENCE GAZA

Gaza : la résolution du Conseil de sécurité sur un
cessez-le-feu doit être suivie d’effets immédiats

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Hébron : Les soldats sur le toit

Nous rendons visite à deux familles qui vivent à Hébron dans
des maisons occupées. Toujours la même façon de procéder : les soldats
arrivent en force, souvent la nuit, ils regroupent la famille sur un
étage et occupent les étages supérieurs et les toits. Les maisons en
hauteur sont bien évidemment les plus convoitées pour le champ de
vision qu'elles offrent. Ces familles doivent alors apprendre à
co-exister avec des hommes en armes, cachés sous un filet militaire,
juste au dessus de leur tête, parfois des années durant.

» Première famille de 5 personnes
C'est la mère qui prend la parole

"Ca fait 3 ans qu'ils sont sur le toit. On n'a pas le droit d'y aller, d'utiliser la citerne d'eau, les escaliers, d'ouvrir les fenêtres... Pour l'eau on demande au voisin d'en face, il a un puits. La nuit ils montent et descendent les escaliers bruyamment, ça nous réveille. Deux fois par semaine, on doit sortir pour qu'ils puissent fouiller entièrement la maison.
illustration
Une rue d'Hebron occupés par des militaires israéliens.

Une fois, un soldat m'a mise en joue parce que je voulais aller nettoyer l'escalier, il m'a hurlé dessus et m'a ordonné de rentrer chez moi. Une autre fois j'étais sortie faire les courses et ils m'ont empêché de rentrer. " Il ne fallait pas sortir " m'ont-ils dit. J'ai attendu longtemps dehors et à un moment j'ai réussi à me faufiler à l'intérieur. Je ne sais pas combien ils sont mais ils sont très nombreux là haut.

Lors de la 1ère invasion de la maison, ils étaient 30 soldats et un officier. Ils ont cassé les portes, les fenêtres. Ils nous ont enfermés dans la maison et nous ont posé des questions sur le nombre d'habitants. C'était effrayant. Depuis, ils ont fermé l'escalier, si on y va ils nous tuent. Il y avait une autre famille en haut mais ils sont partis depuis 2 mois, alors ils ont aussi pris leur appartement. Avec l'occupation du toit on était déjà prisonniers, mais là ils se sont rapprochés d'un étage, alors on a peur, on n'est pas tranquilles la nuit, l'étau se resserre. Nos amis, la famille ne viennent plus nous voir, ils ont trop peur. Ma fille qui vit en Jordanie n'avait pas osé venir me voir depuis 3 ans. Elle n'a droit qu'à un mois de séjour, après ils lui retireront son passeport jordanien.

Il y a des colons dans l'immeuble d'à côté, ils nous jettent des cailloux, ils ont cassé la fenêtre. Ils jettent aussi leur ordures chez nous."

» Mère et ses dix enfants

Pour rejoindre la maison il nous faut marcher un petit moment par un petit chemin escarpé, caillouteux et glissant, courbés sous les vignes et les oliviers, passer par la cour d'un voisin, car tous les accès " normaux " ont été coupés, barrés ou gardés par des chiens. En arrivant sur le pas de la porte d'entrée, on réalise en levant la tête que les soldats sont immédiatement là, juste au-dessus de nous. Une carte à jouer traîne par terre.

"Notre maison est occupée depuis 5 ans, depuis qu'un colon a été tué par ici.

Mon mari a un travail maintenant, mais c'est loin alors parfois il ne peut pas rentrer à la maison. Parfois il peut aller travailler sans problème, parfois ils lui crient de s'arrêter, ça dépend... Il faut impérativement qu'il rentre avant 16h00, sinon il est bloqué. Quand ça lui arrive, il va chez ses parents et téléphone pour nous dire qu'on va être seuls et de bien fermer les portes et les fenêtres.

Personne ne vient plus nous voir ici, c'est trop difficile. Les soldats nous ont coupé l'eau, le téléphone, ils urinent d'en haut, ça atterrit sur le balcon. Ils jettent leurs ordures partout. Un jour, je suis sortie vider les poubelles, les soldats ont voulu me prendre les clés de la maison, ils m'ont dit de ne plus sortir. On ne peut plus prendre la route qui mène à la maison car les colons y ont attaché des chiens, ils aboient très fort si on essaye de passer, les enfants en ont peur. Alors on est obligés de prendre l'autre chemin, c'est difficile, surtout quand on ramène les courses ou les bobonnes de gaz pour faire la cuisine. Une des voisines avait des problèmes pendant sa grossesse, elle n'a pas pu aller à l'hôpital pour accoucher car c'était le couvre-feu.

Il y a eu un couvre-feu pendant les examens, mes enfants n'ont pas pu aller jusqu'à l'école, alors ils sont allés à la mosquée pour y passer leurs épreuves. Un de mes fils devait être diplômé avant l'Intifada, mais depuis, avec les couvre-feux, il a beaucoup manqué l'école. Ca marche moins bien pour lui que pour ses frères et soeurs. Ici, les enfants jouent à l'intérieur, ils ne sortent pas, même pas dans le jardin parce qu'il y a une colonie qui est en train de se construire à côté et ils jettent des parpaings, des blocs de pierre. Les fenêtres de l'école de ma fille donnent sur une colonie et un check point. Parfois, il y a des tirs, des fumigènes qui tombent dans les classes, il faut alors évacuer les enfants mais c'est dangereux parce que ça les expose aux tirs. Les élèves ne peuvent pas se concentrer, ils ne sont jamais tranquilles. Dans de telles conditions comment bien travailler à l'école ? Il leur faut redoubler d'efforts."

Dans les deux cas, ces femmes se plaignent de ne pas pouvoir nettoyer... Leur balcon souillé, les escaliers qui mènent aux étages supérieurs. Elles essayent régulièrement, elles se mettent en danger pour quelques marches, quelques cm² de carrelage à récurer... Je ne comprends pas pourquoi une telle prise de risques, jusqu'à ce que Sylvia, la psychologue, m'explique : c'est leur façon à elles de résister. Comme les hommes ne peuvent pas montrer qu'ils sont faibles, dépressifs, car ils sont le soutien de la famille , les femmes ne peuvent abandonner les tâches ménagères.

Photo : Isabelle Merny/MSF

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