Fuir l’Érythrée pour trouver refuge en Europe, d’un enfer à l’autre

Une femme érythréenne chante une prière avec d'autres femmes et enfants après avoir été secourue le 2 septembre 2015 en mer Méditerranée par le MY Phoenix bateau de recherche et de sauvetage de MSF.
Une femme érythréenne chante une prière avec d'autres femmes et enfants après avoir été secourue le 2 septembre 2015 en mer Méditerranée par le MY Phoenix, bateau de recherche et de sauvetage de MSF. © Gabriele François Casini/MSF

On estime à environ 5 000 le nombre de personnes qui fuient l’Erythrée tous les mois. Bien que 90% des Érythréens qui atteignent  l’Europe se voient offrir l’asile, les candidats au refuge ne bénéficient pas d’accès sûr et légal pour y parvenir, et doivent risquer leur vie sur des routes particulièrement dangereuses.

Depuis 2015, Médecins Sans Frontières a offert une assistance humanitaire à plus de 65 000 réfugiés, demandeurs d’asile et migrants en Éthiopie, en Libye et en mer. Parmi eux, MSF a aidé de nombreux Érythréens à bord de ses navires de recherche et de sauvetage en mer Méditerranée.

En 2015, les Érythréens étaient le principal groupe de migrants à traverser la Méditerranée centrale vers l’Europe, et le deuxième derrière les Nigérians en 2016. Fin 2015, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) estimait que sur cinq millions d’Érythréens, 411 000 étaient réfugiés hors du pays.

C’est notamment au cours de sauvetages en mer à bord du My Phoenix en 2015, puis en 2016 à bord de l’Aquarius, navire affrété en partenariat avec SOS Méditerranée, que MSF a pu recueillir de nombreux témoignages d’Erythréens. D’autres histoires ont pu être recueillies dans le même temps par des équipes de MSF en Libye et au Tigré, une région du nord de l’Éthiopie.

Des conditions de vie insupportables en Érythrée

Les Érythréens quittent leur pays pour échapper au service militaire, obligatoire et d’une durée indéterminée, aux violences, à la crainte du gouvernement, au manque de liberté et à l’extrême pauvreté. « En Érythrée, on ne vit pas comme des êtres humains. Le gouvernement peut vous envoyer en prison, il peut vous envoyer à la mort. »

En Érythrée, le service militaire obligatoire pendant une durée indéterminée semble être une pratique courante, et touche la plupart des familles. Le programme permet au gouvernement d’appeler les citoyens sous les drapeaux pour une période de 18 mois, pouvant être prolongée de manière arbitraire. « En Érythrée, nous ne savons jamais lorsque le service militaire se terminera, s’il se termine. Travailler dans ces conditions sans rémunération revient à de l’esclavage », explique un Érythréen de 35 ans.

« J’ai été contraint au service militaire. J’ai dû m’entrainer en pleine chaleur pendant dix mois. Je n’étais jamais autorisé à aller voir ma famille, alors une fois, je suis parti sans autorisation. J’ai été jeté en prison. Après cet épisode, tout s’est dégradé. J’ai dû fuir, en quête d’une meilleure vie », raconte un Érythréen de 27 ans.

Les femmes peuvent également être directement touchées par le service militaire et le maintien de leurs maris sous les drapeaux pendant une durée indéterminée. Une femme érythréenne de 30 ans, rencontrée par MSF au Tigré, explique pourquoi elle a dû quitter le pays : « Ils ont renvoyé mon mari à l’armée après la naissance de nos enfants. Nous n’avions pas de revenu. Comment pouvais-je vivre ? Il s’est enfui [du service militaire] et les responsables gouvernementaux sont venus à la maison le chercher. “Dites-nous où il est ou nous vous plaçons en détention”, m’ont-ils dit. S’il ne retournait pas effectuer son service militaire, je devais payer 50 000 nakfas [3 000 euros] ou aller en prison. Je n’avais pas d’argent donc je me suis enfuie. »

Une affiche pour le service militaire. Erythrée, novembre 2011 © Stefan Boness/Panos Pictures

Une affiche pour le service militaire. Erythrée, novembre 2011 © Stefan Boness/Panos Pictures

Quitter l’Érythrée à ses risques et périls

Quitter l’Érythrée est particulièrement dangereux. Les visas permettant de quitter le territoire sont très difficiles à obtenir et quitter le pays sans visa de sortie constitue une infraction. Ceux qui tentent de traverser la frontière illégalement vers l’Éthiopie ou le Soudan risquent de se faire abattre par les patrouilles frontalières. Ceux qui se font attraper en train de traverser la frontière sont soit emprisonnés et torturés, soit contraints de payer d’importantes rançons. Et pourtant, malgré tous ces risques, des milliers d’Érythréens continuent de quitter le pays chaque mois.

« Nous étions quatre en tout. À la lumière de la lune, nous avons marché longtemps avant d’atteindre la frontière. Nous nous sommes retournés vers les champs que nous venions de traverser et nous avons vu trois autres Érythréens en train de passer la frontière. Ils se sont fait tirer dessus. J’ai vu l’un d’entre eux mourir », raconte une jeune Érythréenne de 19 ans.

L’Éthiopie et le Soudan accueillent une grande partie des réfugiés érythréens. Au Soudan, les Érythréens risquent d’être renvoyés de force dans leur pays et en Éthiopie, ils tentent désespérément de survivre sans possibilités de travail ni d’études. Pour beaucoup d’entre eux, rejoindre l’Europe en traversant le Sahara et la Libye reste la seule option.

Un Erythréen dans un centre de détention en Libye, en avril 2014 © Daniel Etter/Redux

Un Erythréen dans un centre de détention en Libye, en avril 2014 © Daniel Etter/Redux

La Libye, un passage obligé vers l’Europe

Une fois en Libye, les Érythréens, tout comme les autres migrants, sont victimes de maltraitances infligées par les passeurs, les trafiquants, les groupes armés, les milices et les forces de sécurité. Sur leurs navires, les équipes de Médecins Sans Frontières ont eu la possibilité de s’entretenir avec de nombreux Érythréens, et chacun raconte avoir été directement victime ou témoin de violences extrêmes, notamment d’actes de torture, tout au long de leur périple. Parmi les femmes érythréennes secourues par MSF, beaucoup déclarent avoir directement subi des violences sexuelles, notamment des viols, souvent infligées par plusieurs hommes. Les équipes médicales de MSF constatent des cicatrices et des blessures chez les Érythréens secourus, qui souffrent également d’autres affections médicales, telles que de graves troubles psychologiques

En octobre 2016, un Érythréen de 23 ans nous a raconté son histoire à bord de l’Aquarius : « Les passeurs nous ont dit qu’on leur devait 5 500 dollars américains et que nous devions payer avant de rejoindre la côte et l’Europe. J’ai contacté ma famille et mes amis pour leur demander de l’aide. J’ai mis deux semaines à rassembler l’argent, mais je suis resté trois mois en Libye. J’ai eu de la chance. D’autres personnes que j’ai rencontrées sont toujours là-bas et y étaient déjà depuis plus d’un an quand je suis arrivé. Certaines femmes se sont fait violer, sont tombées enceintes et ont accouché là-bas. L’endroit où j’étais détenu était horrible. C’est un endroit secret, que personne ne connaît. Se faire battre là-bas est monnaie courante. »

À travers le rapport Dying to reach Europe, Médecins Sans Frontières tente d’analyser plus en détail les difficultés rencontrées par les Érythréens, tant dans leur pays qu’au cours de leur périple en quête de sécurité. Ces trajets, ainsi que ceux d’autres réfugiés, demandeurs d’asile et migrants, révèlent l’échec du système d’asile actuel.

LONG FORMAT

► Découvrez des récits de rescapés recueillis en novembre 2016 à bord du Dignity I, un autre navire de sauvetage affrété par MSF

Une goutte d'eau dans la mer - Un long format, par MSF

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