France : une année d’intervention face à la Covid-19. Chapitre 3 : « Il y avait des résidents dans des situations assez choquantes »

Un membre des équipes MSF lors d'une clinique mobile organisée à Paris en janvier 2021. 
Un membre des équipes MSF lors d'une clinique mobile organisée à Paris en janvier 2021.  © Corentin Fohlen

Le 29 octobre 2020, un nouveau confinement est instauré en France. La Covid-19 est mieux connue, pourtant, la réponse publique ne permet toujours pas de garantir une prise en charge digne et adéquate des résidents et des personnels d’Ehpad et des personnes en situation de grande précarité. MSF décide donc d’intervenir une nouvelle fois auprès de ces personnes et, forte de sa première expérience, remodèle son intervention. De nouveaux enjeux apparaissent déjà, notamment autour de la vaccination. 

Corinne Torre, cheffe de mission, Rémi Meurant, coordinateur médical et Thomas Lauvin, responsable du programme Ehpad reviennent sur les enjeux auxquels ils ont fait face lors de la seconde vague et sur les interventions en cours. Troisième et dernière partie du récit d’un an d’intervention face à la pandémie de Covid-19 en France.

Chapitre 3 : « Il y avait des résidents dans des situations assez choquantes »

Corinne Torre, cheffe de mission : « On était prêts pour le deuxième confinement. Ce qui a été assez déplorable en revanche, c'est que toutes les recommandations, notamment issues des études qu’on avait produites, n'avaient pas été entendues. On se retrouvait de nouveau dans une situation d'urgence avec des personnes à la rue qui n'étaient pas obligatoirement hébergées dans des structures adaptées. Pour nous, ça aurait été totalement incohérent qu’on intervienne de nouveau dans des gymnases, des hôtels avec dix personnes dans la même chambre, etc. Lorsque MSF a été rappelée par l'Agence régionale de santé pour intervenir de nouveau dans des centres d'hébergement d'urgence, on a refusé catégoriquement. Entre la première et la deuxième vague, on estimait que l'État avait eu le temps de s'organiser, de se préparer, de se procurer tous les outils nécessaires - équipements de protection et tests notamment - et de trouver les moyens d’intervenir avec des associations financées par l'État. »

Rémi Meurant, médecin et coordinateur médical lors de la deuxième vague : « Aujourd'hui, le premier enjeu, c'est la pénurie de vaccins. Par curiosité, au début du mois de mars, j’ai appelé le numéro pour se faire vacciner sur Paris. Je suis tombé directement sur un répondeur qui informe qu'il n'y a pas de vaccin à Paris. Il y a aussi un numéro vert, le 0 800 quelque chose, et donc j’ai appelé. J’ai dit que j'étais dans le 19e arrondissement de Paris et ils m'ont orienté vers un centre de vaccination à Pantin, en dehors de Paris. Et ceux-là te répondent que, “de toute façon, on vaccine notre population et nous aussi, on est en pénurie de vaccin.” Donc même pour les gens éligibles à la vaccination c’est compliqué. Quant aux populations précaires, elles ne sont clairement pas la priorité. Elles ne sont même pas incluses dans un plan d'action aujourd'hui. La population qu’on rencontre lors de nos cliniques mobiles ne correspond pas aux critères d’éligibilité à la vaccination, alors qu’à partir du moment où tu vis à la rue, ça devrait être le cas. Mais ce n’est pas la priorité. »

Thomas Lauvin, médecin et responsable du programme Ehpad lors de la deuxième vague : « Les premières semaines de novembre ont montré que les Ehpad d'Île-de-France n'étaient pas du tout touchés comme ce fut le cas pendant la première vague. À ce moment-là, près de 600 établissements, sur les quelque 700 que compte la région, avaient été touchés. Il y avait eu énormément de décès et il n’y avait plus la même marge de flambée épidémique. »

Image extraite du documentaire « Ehpad, seuls face au coronavirus », réalisé en décembre 2020 lors des interventions MSF dans le sud de la France.
 © Armelle Loiseau
Image extraite du documentaire « Ehpad, seuls face au coronavirus », réalisé en décembre 2020 lors des interventions MSF dans le sud de la France. © Armelle Loiseau

Thomas Lauvin : « Concrètement, après quelques jours pendant lesquels on s’est organisés pour faire des astreintes, pour travailler avec le Samu et les réseaux gériatriques des zones qu’on connaissait un peu, on s’est aperçus qu’il n’y avait pas de besoins majeurs en Île-de-France dans le cadre de notre programme de soutien aux Ehpad. La saturation du Samu et le manque de disponibilités des médecins n’étaient pas du tout les mêmes que pendant la première vague. On a donc changé de région d’intervention. On a contacté l’ARS du Vaucluse qui nous a répondu favorablement et on a commencé à travailler rapidement. »

Une clinique mobile de MSF à Paris en novembre 2020.
 © Mohammad Ghannam/MSF
Une clinique mobile de MSF à Paris en novembre 2020. © Mohammad Ghannam/MSF

Thomas Lauvin : « On a vraiment compris qu’il fallait qu’on passe un peu de temps dans ces établissements, pour gagner la confiance des équipes, qui n’étaient pas toujours habituées à recevoir des intervenants extérieurs et à s’ouvrir sur leurs problèmes. Ça nous donnait une compréhension fine des enjeux de la structure, parce qu’il n’y a pas deux établissements pareils. C’est une de nos grandes conclusions lors de cette mission : vouloir plaquer un modèle de prévention pour contenir l’épidémie, ça ne marche pas. Il faut comprendre la structure car c’est très différent selon les établissements. C’est en faisant ça et en restant suffisamment longtemps qu'on peut penser faire une différence. C’est aussi les retours qu'on a des équipes. L'idée, c'était de rester une à deux semaines par établissement et finalement, en moyenne, on est restés neuf jours. »

Rémi Meurant : « Depuis le mois de février 2021, on fait des maraudes à Paris. Ça nous permet de prendre le pouls des environnements dans lesquels on déploie nos cliniques mobiles. On s’est rendus compte que les maraudes étaient plus efficaces l’après-midi et le soir, car c’est à ces moments-là que les gens sont dehors. Le soir, on travaille à proximité des distributions alimentaires. À côté du métro Jaurès, des associations distribuent 200 à 300 repas à une population majoritairement migrante, avec des primo-arrivants. On leur explique ce qu’on propose dans notre clinique mobile, que ce soit pour la Covid-19 ou autre. On leur donne des masques et des solutions hydroalcooliques. On retrouve à notre clinique mobile des personnes qu’on a vues la veille en maraude. Alors on se dit que les maraudes fonctionnent. »

Thomas Lauvin : « Je pense qu’il suffisait qu’on entre dans un Ehpad qui commençait sa flambée épidémique pour comprendre à quoi on allait servir. C’était vraiment la grosse panique dans l’établissement. Il y avait des résidents dans des situations assez choquantes. Des personnes enfermées dans leur chambre, complètement isolées. Un manque de personnel, ça donne une baisse drastique de la qualité des soins et de l’accompagnement. D’habitude, les aides-soignants peuvent faire manger quatre ou cinq résidents en même temps, à la même table. Quand les résidents sont dans leur chambre, il n’y a plus assez de bras pour les aider à manger et les plateaux repas restent intacts. Des fois, il y avait un tel niveau de panique qu’on le ressentait tout de suite : ça arrivait qu’on mette 20 minutes à nous ouvrir pour entrer dans l’établissement tellement le personnel était sous l’eau. On avait des équipes de direction en larmes au bout de quelques minutes. »

Rémi Meurant : « Lors de nos cliniques mobiles, on est désormais en capacité de proposer des tests antigéniques et une orientation vers des structures adaptées en cas de résultat positif. Pour quelqu’un de positif à la Covid-19 et hébergé en structure d’urgence, il est impossible de s’isoler. Aujourd’hui on est capable d’orienter ces personnes. En partenariat avec l’ARS, on les envoie vers un centre de desserrement ou un centre d’isolement, qui accueillent des personnes atteintes d’une forme simple de Covid-19. On a environ 40 % de personnes asymptomatiques et 60 % symptomatiques. Depuis le 5 février, MSF assure également le suivi médical dans une de ces structures, avec la présence d’un infirmier et d’un médecin toute la semaine. On fait leur admission, puis on leur délivre un certificat qui stipule qu’ils sont guéris de la Covid-19 et ils peuvent repartir dans leur centre d'hébergement initial. »

© CLEMENT MAHOUDEAU

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