France : une année d’intervention face à la Covid-19. Chapitre 1 : « On plonge tous dans l’inconnu »

Les équipes MSF ont apporté leur soutien à deux centres de diagnostic et d’orientation Covid-19 dans les quartiers nord de Marseille en 2020
Les équipes MSF ont apporté leur soutien à deux centres de diagnostic et d'orientation Covid-19 dans les quartiers nord de Marseille en 2020. Près de 450 000 habitants vivent dans ces quartiers et ils ne bénéficient que de 28 % de l'offre de soins marseillaise.  © CLEMENT MAHOUDEAU

Il y a un peu plus d’un an, alors que la pandémie de Covid-19 gagne du terrain en Europe, les équipes de Médecins Sans Frontières se préparent à intervenir en France. L’Italie et l’Espagne sont déjà touchées et fin février tout s’accélère. Les équipes de la Mission France, qui travaillent sur le territoire national auprès des mineurs isolés étrangers, s’organisent face à l’urgence. Deux axes d’intervention voient le jour successivement : un soutien aux populations précaires puis aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). 

Six membres des équipes MSF reviennent sur cette année d’intervention : Pierre Mendiharat, directeur adjoint des opérations, Corinne Torre, cheffe de mission, Bastien Mollo et Rémi Meurant, coordinateurs médicaux, Marie Thomas, responsable du programme de santé mentale en Ehpad et Thomas Lauvin, responsable du programme Ehpad lors de la seconde vague. Première partie d’un récit en trois chapitres sur un an d’intervention face à la Covid-19 en France.

Chapitre 1 : « On plonge tous dans l’inconnu »

La première intervention des équipes de Médecins Sans Frontières en France a lieu le 24 mars, une semaine après la mise en place du confinement. Le camp d’Aubervilliers est évacué et 800 exilés sont répartis dans des hôtels et gymnases d’Île-de-France, dans lesquels un suivi médical est nécessaire. À partir de ce moment-là et jusqu’en juin 2020, les équipes MSF vont intervenir auprès des populations précaires. Des équipes sont déployées dans des lieux d’hébergement d’urgence, des foyers de travailleurs migrants, des centres de desserrement, des quartiers défavorisés ainsi que dans une trentaine d’Ehpad. Elles doivent notamment composer avec les pénuries de matériel, d’équipement de protection et de ressources humaines.

Gymnase Jean-Jaurès, Paris, le 24 mars 2020.
 © Agnes Varraine-Leca/MSF
Gymnase Jean-Jaurès, Paris, le 24 mars 2020. © Agnes Varraine-Leca/MSF

Corinne Torre, cheffe de mission : « Nos interventions en France ont commencé par un appel de l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France. Le confinement venait d’être annoncé et l’ARS nous alertait sur le démantèlement du camp d’Aubervilliers. Plus de 800 personnes devaient être placées dans des centres d’hébergement d’urgence et il n’y avait pas d’opérateur médical pour faire des pré-diagnostics Covid-19. »

Les équipes MSF lors d'une intervention dans le gymnase Jean-Jaurès à Paris, le 24 mars 2020. 
 © Agnes Varraine-Leca/MSF
Les équipes MSF lors d'une intervention dans le gymnase Jean-Jaurès à Paris, le 24 mars 2020.  © Agnes Varraine-Leca/MSF

Bastien Mollo, médecin et coordinateur médical lors de la première vague : « On ne sait pas à l'époque à quel point cette maladie est contagieuse quand on n'a pas de symptômes. On ne sait pas combien de temps on est contagieux. On ne connaît pas les facteurs de risque de la maladie. On parle un peu des femmes enceintes, du surpoids, on associe les facteurs à ceux de la grippe grave ou d'autres maladies respiratoires virales. On ne sait pas ce que peut donner la maladie, quelles sont les populations les plus à risque, enfin on les imagine, mais sans certitude. On plonge tous dans l'inconnu. »

Corinne Torre : « Après l’appel de l’ARS, on s’est dit qu’on interviendrait, qu’on essaierait de faire quelque chose. On a passé trois jours à faire du recrutement, à envoyer des messages, à mobiliser les équipes du siège pour trouver des infirmiers et des médecins. En trois jours, il nous a fallu déployer des équipes sur le terrain et dans plusieurs lieux en Seine-Saint-Denis et à Paris. Le 24 mars, nos équipes étaient opérationnelles et cette date est le coup d’envoi de nos activités Covid-19 auprès des populations précaires en France. »

Hôpital temporaire pour les personnes atteintes de la Covid-19, installé par MSF à Leganes en Espagne, afin de désengorger les hôpitaux de la région, en mars 2020.
 © Olmo Calvo
Hôpital temporaire pour les personnes atteintes de la Covid-19, installé par MSF à Leganes en Espagne, afin de désengorger les hôpitaux de la région, en mars 2020. © Olmo Calvo

Corinne Torre : « Pour cette première intervention dans les gymnases, on devait recevoir les équipements de protection nécessaires et des tests de dépistage de l’ARS. On n’a reçu aucun équipement de protection et on nous a donné cinq tests de dépistage. On a commencé avec les moyens du bord. Ensuite, on s’est rendus compte qu’il fallait suivre ces personnes et accompagner les centres d’hébergement d’urgence qui étaient complètement perdus. Les opérateurs de ces centres n’avaient aucune idée de comment isoler les patients suspectés d’être atteints de la Covid-19 par exemple. Leurs équipes n’avaient pas le matériel nécessaire. Ceci dit, à ce moment-là, nous non plus. »

Bastien Mollo : « À quel point notre action est efficace ? On se demandait à quoi on participait et ce qu'on cautionnait ? Dans une période d’épidémie, ce n’est pas une bonne chose de mettre des gens dans un gymnase, et pourtant maintenant qu’ils y sont, qu'est-ce qu'on fait avec ? Comment on agit au mieux ? »

Une clinique mobile MSF déployée à Porte de la Villette à Paris en mars 2021. 
 © Agnes Varraine-Leca/MSF
Une clinique mobile MSF déployée à Porte de la Villette à Paris en mars 2021.  © Agnes Varraine-Leca/MSF

Bastien Mollo : « En une semaine, il y a eu l'ouverture des vannes du côté des ressources humaines et de la logistique. On est rapidement passés à un peu plus de 50 personnes, avec trois équipes qui effectuaient deux cliniques mobiles par jour par moment et une présence dans deux centres de desserrement (qui accueillent des patients atteints d’une forme simple de la Covid-19 et qui n’ont pas la capacité de s’isoler à domicile). Par contre, on était limités par des problèmes d’approvisionnement et de pénuries qui ne dépendaient pas de MSF, pour les tenues de protection ou les thermomètres par exemple. Le pharmacien de la Mission France a dû se battre pour avoir du paracétamol et on n’a pas spécialement eu un accès particulier aux masques. »

Pierre Mendiharat : « L’expertise des membres de notre association en terme d’afflux massifs de patients dans une structure hospitalière et de gestion d’épidémie a aussi été mise à contribution pour participer à la réflexion des cellules de crise dans divers hôpitaux. À l'hôpital Henri-Mondor de Créteil, on a aussi contribué à augmenter la capacité des lits d’aval, c’est-à-dire pour des patients Covid-19 suffisamment rétablis pour sortir des services de réanimation et de soins intensifs mais qui nécessitent encore une surveillance hospitalière et ne peuvent pas rentrer à leur domicile. Du personnel MSF a été mobilisé pour ouvrir une unité de soins d’une quinzaine de lits de ce type à Henri-Mondor.  »

Pierre Mendiharat : « Il n'y avait pas de pénurie de médecins en France, mais ils n'ont pas été réorientés sur les Ehpad. Or, dans les Ehpad, il y avait une pénurie de médecins. Pour de nombreuses raisons, le réseau médical qui travaillait dans les Ehpad avait cessé de s’y rendre. C’était le cas également pour le personnel paramédical, kinésithérapeute, infirmiers, etc. »

Pierre Mendiharat : « Les Ehpad se sont retrouvés complètement dépourvus de personnel médical et il n’y a eu aucune réelle volonté politique d’en déployer. Il n’y avait pas de matériel de protection pour les médecins libéraux qui auraient souhaité travailler en Ehpad pendant cette période. Ces établissements n’ont reçu du matériel de protection que très tardivement. Au départ, on a eu un problème de recrutement. On n'avait aucun infirmier, il a fallu en recruter au compte-gouttes, ainsi que des médecins, début avril, une fois qu'on a pris la décision d'ouvrir. »

Bastien Mollo : « On a beaucoup réfléchi avant d’organiser des distributions de masques. De nombreux responsables politiques avaient annoncé des dons importants, parfois des centaines de millions, voire plusieurs millions de masques pour la région Île-de-France. Au moment du déconfinement, les masques n’étaient en fait disponibles qu’au compte-gouttes. Finalement, on a décidé de lancer une opération de distribution de masques en tissu pour les personnes à la rue et on a réussi à atteindre une bonne partie de cette population. On a distribué plus de 4 000 kits. Heureusement qu’on a été réactifs. Avec les effets d’annonces des responsables politiques, on aurait pu se dire “c’est bon, c’est géré” et être induits en erreur. En France, MSF, on a conscience qu’on représente une goutte d’eau dans un système, et qu’il faut que cette goutte d’eau soit injectée au bon endroit, celui où les autres n’interviennent pas. »

© Armelle Loiseau

Retour sur une année d’intervention face à la Covid-19

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[Timeline] Coronavirus en France : chronologie d'une urgence MSF

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