Coronavirus : contre le nationalisme vaccinal

measle
Campagne de vaccination contre la rougeole dans le Kasai, République Démocratique du Congo,  © Pablo Garrigos/MSF

Dans cette tribune publiée par le Journal du Dimanche, plusieurs ONG dont MSF exhortent les pouvoirs publics à faire des futurs vaccins contre la Covid-19 un bien public mondial, à des prix abordables pour tous.

« Ce vaccin, le jour où il sera mis au point, sera un bien public mondial, c'est-à-dire qu'il n'appartiendra à personne mais il nous appartiendra à tous. » Depuis près de deux mois, les sommets internationaux s'enchaînent et la France, à travers la voix d'Emmanuel Macron, affiche sa volonté de rendre le futur vaccin contre le SARS-CoV-2 accessible partout dans le monde et "extrait des lois du marchés". Dans le même temps, l'Organisation mondiale de la santé alerte sur l'aggravation de la pandémie dans le monde. L'humanité a besoin au plus vite d'un vaccin pour sauver des millions de vies et atténuer la catastrophe économique et sociale annoncée. Hier encore, des chefs d'Etat se sont réunis autour de célébrités afin d'affirmer leur mobilisation pour lutter contre cette pandémie.

Lorsqu'un vaccin sera disponible, il sera trop tard pour négocier des clauses favorisant l'accès à toutes et tous. C'est dès maintenant qu'il faut agir pour créer les conditions d'un accès universel à travers l'adoption de principes qui garantiront que celui-ci sera guidé par l'intérêt général et non pas par le profit de quelques industries.

Depuis le début de la pandémie, la coopération est affichée comme mot d'ordre dans les discours officiels. Mais, dans les coulisses, une âpre compétition pour le développement et la mise à disposition des vaccins s'est ouverte entre les nations et les groupes pharmaceutiques, avec près de 140 vaccins candidats développés par des laboratoires du monde entier. Lorsqu'il y a un mois, Sanofi s'engageait à donner un accès préférentiel aux Etats-Unis à son futur vaccin, puisqu'ils avaient investi le plus financièrement, les décideurs français criaient au scandale. En revanche, lorsque l'Alliance inclusive pour le vaccin, initiative portée par la France, l'Allemagne, les Pays-Bas et l'Italie, s'est engagée à préacheter 400 millions de doses du candidat vaccin d'AstraZeneca, l'indignation n'était plus à l'ordre du jour. L'annonce que l'accès aux dites doses se ferait en priorité pour les pays de l'Alliance ne semble pas avoir suscité d'inquiétude quant à leur accès en nombre suffisant pour les pays dont les systèmes de santé sont plus fragiles.

Or, les craintes qu'un "nationalisme vaccinal" couplé à une course aux profits ne vienne entraver l'accès des personnes les plus exposées et démunies, en particulier celles vivant dans les pays en développement, sont bien réelles. Nos associations ont l'expérience d'années de lutte pour l'accès aux traitements de maladies telles que le Sida, l'hépatite C ou la pneumonie face à une industrie pharmaceutique peu scrupuleuse. Les mêmes erreurs ne doivent pas se reproduire!

Pour faire des futurs vaccins contre le SARS-CoV-2 un bien public mondial, il faudra d'abord garantir que leurs prix soient abordables pour tous les pays et toutes les populations. Chaque euro, public comme privé, investi dans la recherche et le développement doit être transparent et faire l'objet de conditionnalités contraignantes pour que les bénéficiaires des subventions publiques s'engagent à fournir les futurs vaccins à prix coûtant pour les systèmes de santé.

Il conviendra ensuite de s'assurer que les brevets, savoir-faire et données liés à la recherche et développement des vaccins anti-Covid-19 sont effectivement mis en commun, à la disposition de tous. Comme première étape, la France doit rejoindre la dynamique lancée par l'OMS au sein du Covid-19 Technology Access Pool et aller plus loin en poussant pour une mise en commun obligatoire des connaissances et des technologies concernées.

Par ailleurs, toute initiative européenne d'accès doit s'engager à distribuer les futurs vaccins massivement en sécurisant un nombre suffisant de doses pour les professionnels de santé et les personnes vulnérables dans le monde entier, notamment dans les pays émergents et en développement, sans se limiter à réserver des doses aux Européens uniquement, comme a pu l'annoncer Ursula von der Leyen vendredi sur France Inter. Ces négociations doivent être transparentes et faciliter dès lors des accords de transfert de technologie équitables avec les producteurs d'autres régions, notamment des pays du sud, pour préparer et accroître la capacité mondiale de fabrication, et en accélérant ainsi la disponibilité mondiale.

Enfin, nos dirigeants doivent se mobiliser en faveur du renforcement des systèmes de santé pour assurer l'accès universel à la vaccination, dans tous les pays, jusqu'aux populations les plus reculées. Alors que la moitié de la population mondiale n'a pas accès aux services de santé les plus essentiels, la réponse au Covid-19 ne peut se permettre de faire l'impasse sur la couverture sanitaire universelle.

Nous attendons de la France et de l'Union européenne des choix politiques historiques fondés sur l'impératif de solidarité entre les nations et une gouvernance participative, avec les professionnels de santé et les associations, pour faire de ces futurs vaccins des biens publics de l'humanité.
 

Signataires de la tribune : Thierry Allafort, directeur général de Médecins Sans Frontières ; Aurélien Beaucamp, président de l'association AIDES ; Patrick Bertrand, directeur exécutif d'Action santé mondiale ; Serge Breysse, directeur général de Solthis ; Philippe de Botton, président de Médecins du monde ; Cécile Duflot, directrice générale d'Oxfam France ; Roxane Hellandsjö Prost, présidente de l'Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF) ; Pr. Hakima Himmich, présidente de Coalition Plus ; Pauline Londeix et Jérôme Martin, cofondateurs de l'Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament ; Xavier Masset, coordinateur de Universités alliées pour les médicaments essentiels, France (UAEM France) ; Florence Thune, directrice générale de Sidaction ; Pascal Revault, directeur expertise et plaidoyer d'Action contre la faim ; Najat Vallaud-Belkacem, directrice France de ONE

 

Tribune publiée le 27 juin dans le Journal du Dimanche

À lire aussi