Arménie : retour sur 30 ans de présence auprès de la population

Arménie : retour sur 30 ans de présence auprès de la population
Hôpital de Vardenis, en Arménie. 1995 © Roger Job

1988. Un tremblement de terre de magnitude 6,9 sur l’échelle de Richter secoue l’Arménie. Des milliers de personnes meurent sous les décombres, tandis que d’autres sont mutilées à vie. MSF décide alors de lancer ses premiers projets dans le pays, afin de soigner les victimes du séisme : rééducation, chirurgie avancée, puis recherche sur la tuberculose multirésistante et l’hépatite C. 30 ans plus tard, les équipes MSF s’apprêtent à transférer leurs activités aux autorités sanitaires arméniennes. 

Mathilde Berthelot, responsable programmes

« Pour MSF, l'Arménie a été le théâtre d'avancées médicales et opérationnelles majeures : de nos premières activités en psychologie pédiatrique au lancement de notre campagne actuelle de lutte contre la tuberculose, nous sommes très actifs ici depuis trente ans et veillons toujours à maintenir le bien-être de nos patients : c’est notre priorité absolue. »

7 décembre 1988 : le séisme de Spitak

Le 7 décembre 1988, l'Arménie est touchée par un tremblement de terre dévastateur qui fait plus de 25 000 morts et 15 000 blessés nécessitant des soins d'urgence. Un demi-million de personnes vivent dans la rue. L'ampleur des dégâts est telle que les autorités ouvrent immédiatement leurs frontières aux équipes de secours étrangères : MSF est la première organisation à intervenir.
 
« En quelques minutes, beaucoup de personnes ont tout perdu. Leurs maisons ont été détruites ou se sont effondrées comme des châteaux de cartes. Tout s'est écroulé : leur passé, leur présent et leur avenir », se rappelle Marie-Christine Ferir, coordinatrice médicale MSF. 
 
La première équipe de MSF arrive trois jours plus tard, le 10 décembre 1988. Trois semaines après, 125 personnes travaillent avec MSF dans le pays et soignent la population. A ce moment-là, 200 tonnes de vivres et de matériel ont d’ores et déjà été envoyées en Arménie. 

Une petite fille devant les décombres d'un bâtiment de Gyumri, à la suite du tremblement de terre de 1988.
 © Roger Job
Une petite fille devant les décombres d'un bâtiment de Gyumri, à la suite du tremblement de terre de 1988. © Roger Job

Avec le ministère arménien de la Santé, les équipes MSF fournissent aux survivants des soins de santé primaires et chirurgicaux ainsi qu’un soutien psychologique. Des générateurs et des équipements pour les services de maternité et de dialyse sont également mis en place.
 
Par la suite, MSF commence à fabriquer des prothèses pour les personnes amputées à la suite des blessures causées par le séisme. Les activités de kinésithérapie – discipline jusque-là quasiment inconnue dans le pays – permettent de rééduquer les patients souffrant de graves fractures, d'amputations, de paraplégie ou de lésions au niveau du système nerveux central.
 
Pour faire face aux lourdes séquelles psychologiques laissées par le tremblement de terre, particulièrement chez les enfants, MSF lance son tout premier projet de santé mentale dans le pays. Psychologues et éducateurs arméniens proposent alors des consultations en groupe, quelques fois en famille, durant plus de deux ans après la catastrophe.

Programme de kinésithérapie, essai de prothèse pour un patient amputé à la suite d'une blessure lors du séisme de 1988. 
 © Roger Job
Programme de kinésithérapie, essai de prothèse pour un patient amputé à la suite d'une blessure lors du séisme de 1988.  © Roger Job

1988-1994 : la guerre frappe le Haut-Karabagh

Plus tôt dans l'année 1988, la guerre éclate entre l'Arménie et son pays voisin, l'Azerbaïdjan. Jusqu'en mai 1994, le conflit a un impact dévastateur des deux côtés de la frontière, faisant de nombreuses victimes et entraînant des déplacements de population.

En 1992, au cœur de la guerre, les équipes MSF ouvrent un projet à Stepanakert, capitale du Haut-Karabagh. Elles approvisionnent les structures médicales en kits de premiers secours, équipements et médicaments. L’association intervient auprès des personnes déplacées et fournit des soins continus de santé mentale, notamment aux enfants souffrant de troubles psychologiques.

Arménie, Nagornyï-Karabagh, 1992. Personnes fuyant les combats par hélicoptère
 © Roger Job
Arménie, Nagornyï-Karabagh, 1992. Personnes fuyant les combats par hélicoptère © Roger Job

C’est durant cette période que le personnel médical de Stepanakert identifie la tuberculose comme l’un des risques majeurs pour les Arméniens pris au piège des combats.

« Les facteurs aggravants pour les patients atteints de tuberculose sont notamment le manque de nourriture et d'hygiène, l’isolement et le manque d’accès aux soins. Ces facteurs étaient à ce moment-là réunis dans le Haut-Karabagh, à  cause de la guerre, et c’est ce qui a créé des conditions favorables à la propagation de la maladie », se souvient Jeanine Gerome, cheffe de mission dans le Haut-Karabagh. 

La réaction de MSF est de lancer un programme dédié à la lutte contre la tuberculose en mai 1997 en collaboration avec le dispensaire de Stepanakert, spécialisé dans le traitement de la maladie, et le ministère de la Santé du Haut-Karabagh. Les équipes fournissent alors du matériel médical et des médicaments, et forment des médecins spécialistes de la tuberculose aux protocoles de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Essentiel dans le traitement de la tuberculose, ce programme comprend également un volet social : distribution de nourriture, de vêtements, de kits d'hygiène et de bois pour se chauffer. Les patients et leur entourage sont sensibilisés à la maladie et à sa transmission. Le projet de lutte contre la tuberculose sera transféré au ministère de la Santé local dix ans plus tard, en 2002.

1997-2004 : aider les enfants en difficulté à Erevan

Autre volet important du travail de MSF en Arménie, un projet unique pour les « enfants en situations difficiles » voit le jour en 1997 dans le complexe éducatif de Vardashen situé dans la capitale, Erevan.
 
A l’époque, Vardashen recueille des enfants qui présentent des « comportements socialement dangereux » et vivent dans la rue, ou dont les familles n’ont pas les moyens de s’en occuper. Les institutions de ce type sont alors connues pour être des lieux de mauvais traitements, physiques et psychologiques. Le personnel de MSF sur place travaille de jour comme de nuit pour prévenir les violences au sein de l'école. 

Des soins médicaux et psychologiques, ainsi qu'un soutien social et juridique, sont proposés aux enfants de Vardashen, et le personnel est formé à une approche plus éducative.

Le travail de MSF à Vardashen permet non seulement de protéger des centaines d’enfants mais aussi, dans de nombreux cas, de les réunir avec leur famille. Ce projet unique contribue à la défense des droits des enfants à Vardashen, mais aussi plus largement en Arménie. 

Un centre d'accueil et d'orientation est ouvert en 2000 pour les enfants vivant et travaillant dans les rues d’Erevan, ainsi que leurs familles. Soutiens psychologique, médical et social leur sont proposés. 

Le centre de Vardashen, où MSF a ouvert un projet unique de soutien aux enfants en difficulté
 © MSF
Le centre de Vardashen, où MSF a ouvert un projet unique de soutien aux enfants en difficulté © MSF

2005 : lutter contre la tuberculose multirésistante

Suite à l'effondrement de l'Union soviétique, la guerre, la pauvreté et un système de santé défaillant contribuent à la propagation de la tuberculose. En 2005, le programme est réorienté pour lutter spécifiquement contre la tuberculose multirésistante.

Annabelle Djerbi, cheffe de mission MSF

 

« Plutôt que de se substituer au gouvernement arménien, nous nous assurons que les autorités disposent des moyens nécessaires pour fournir des soins complets et de qualité aux patients atteints de tuberculose en Arménie. »

Le traitement de la tuberculose multirésistante est particulièrement difficile à suivre pour les patients : il implique de prendre de nombreux comprimés chaque matin durant deux ans, et requiert une forte adhésion thérapeutique, en dépit des possibles effets secondaires comme la nausée et les vomissements.
 
MSF propose alors à ces patients un protocole de soins complets afin d'accroître leurs chances de réussite. Les médicaments sont fournis gratuitement, on traite les effets secondaires et des tests sont menés en parallèle en laboratoire pour suivre les réactions au traitement. Les équipes peuvent anticiper et gérer d’autres maladies chroniques conjointes et proposent des soins psychologiques, un soutien social et financier.

Traitement pour les patients atteints de tuberculose. 
 © Bruno De Cock
Traitement pour les patients atteints de tuberculose.  © Bruno De Cock

Pour les patients les plus touchés et qui sont dans l'incapacité de se rendre chaque jour dans les centres de traitement, les équipes assurent des soins à domicile avec la visite quotidienne d'un infirmier. 

Innover pour lutter contre la maladie

Malgré les efforts de MSF et du ministère de la Santé, les médicaments fournis ne sont pas suffisamment efficaces pour les patients atteints de formes ultrarésistantes de la tuberculose. Pour faire face à cet enjeu sanitaire, MSF importe dans le pays la bédaquiline à partir de 2013, puis le délamanide à partir de 2015. L'élaboration de ces nouveaux médicaments constitue l'une des plus grandes avancées de ces quarante dernières années. Ils offrent un nouvel espoir aux patients atteints de formes ultrarésistantes.

Entre 2013 et 2017, MSF déploie à plusieurs reprises des équipes de chirurgiens afin d’opérer les patients tuberculeux les plus atteints et qui nécessitent une ablation d’une partie des poumons. Une opération à l’époque inaccessible en Arménie pour les patients tuberculeux, la chirurgie thoracique ne leur étant pas disponible.

En 2016, les équipes MSF lancent les « traitements sous surveillance vidéo », autre innovation médicale spécialement conçue dans le cadre des projets en Arménie. Grâce à une application sur leur smartphone, les infirmiers peuvent communiquer directement avec les patients et s’assurer par exemple que les patients sous délamanide prennent bien leur seconde dose le soir. 

2016 : révolution médicale dans le traitement des co-infections tuberculose/hépatite C

En 2016, les équipes s’aperçoivent que 20% des patients vus par les équipes MSF et atteints de tuberculose multirésistante souffrent d’hépatite C chronique active. La co-infection affecte leur fonction hépatique et aggrave les effets secondaires des médicaments contre la tuberculose.

En décembre 2016, MSF décide d’instaurer systématiquement le dépistage, le diagnostic, le traitement et le suivi de tous les patients atteints de tuberculose multirésistante. Ceux qui souffrent également d'hépatite C bénéficient alors de nouveaux médicaments plus efficaces :  les antiviraux à action directe (AAD). C'est la première fois dans le monde que des AAD sont administrés conjointement avec des médicaments contre la tuberculose multirésistante.

Selon les premiers résultats de l’époque, 29 des 31 patients souffrant d'une co-infection qui ont suivi un traitement AAD ont guéri de l'hépatite C. Ceux qui étaient toujours traités contre la tuberculose multi-résistante ont pu achever leur traitement antituberculeux et ont présenté de meilleures chances de guérison face aux deux pathologies.

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