Ehpad, seuls face au Coronavirus

Mobilisée depuis avril 2020 aux côtés des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), dont les résidents représentent plus de quatre décès sur dix liés à la Covid-19 cette année en France, MSF intervient actuellement dans 11 départements en Ile-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Occitanie.

Vous êtes dans le noir ? J’allume, attention. Ça va ?

Dr Laure Bertrand-Gervais, médecin coordonnatrice en Ehpad : Le Covid, ce qu’il a beaucoup changé, c’est ce sentiment d’impuissance, ce sentiment de se dire : je me défonce pour arriver à faire quelque chose pour ce patient, et puis malheureusement parfois ça ne fonctionne pas. Et on ne sait pas vraiment pourquoi ça n’a pas fonctionné. Ce sentiment là, c’est difficile. 

Axel Andolfo, médecin, MSF : Là, on est dans l’étage full Covid. Ils ont réussi à décaler les choses en déménageant les résidents et à centraliser les gens contaminés à un seul étage. C’est plus simple pour les équipes, pour l’habillage, le déshabillage, avec ce genre de trucs. Allez, on y va. 

Bonjour madame, c’est le docteur, c’est le médecin. Je viens juste vous examiner rapidement, voir comment vous allez. La respiration, quand vous dormez, la nuit, vous ne manquez pas de souffle, vous ne manquez pas d’air ?

Dr Laure Bertrand-Gervais, médecin coordonnatrice en Ehpad : Quand le Covid entre, c’est vrai qu’on dit que c’est un état de guerre, mais on l’a vécu comme ça. C'est-à-dire qu’on doit réagir très vite à tout un tas de situations auxquelles on ne s’attendait pas. Et ça, c’est compliqué. Et on a beau avoir fait plein de process, dans nos process on n’a pas prévu l’imprévisible. Donc il faut s’adapter en permanence à des situations nouvelles.

Stéphanie Audard, cadre de santé en Ehpad : Le 28 novembre, quand on a eu notre premier cas ici, on pensait être prêts. On l’était à moitié. On s’est retrouvés démunis. On a eu quelques cas dans le week-end. Très vite, on a mis en place le dépistage de toute la résidence, de tout le personnel. Là on a eu 15 cas, et la semaine d’après 5 de plus. Et pareil dans le personnel, 5 cas au début, 3 de plus la semaine d’après. Donc de plus en plus de cas Covid, de plus en plus de soins techniques, de moins en moins de personnel. La directrice a appelé directement l’ARS [Agence régionale de santé] pour dire : là on n’y arrive plus, on a besoin d’aide, on a besoin de monde. Ils nous ont dit que Médecins Sans Frontières allait venir nous rencontrer.

Carla Melki, coordinatrice de projet MSF : Quand on arrive lors des premiers cas, on va essayer de travailler sur tout ce qui est sectorisation, travail sur la protection, le contrôle de l’infection, l’hygiène, essayer de mettre en place des mesures qui permettent de limiter la propagation de l’épidémie.

Marjolaine Coste, infirmière cadre en Ehpad : Là, on est au niveau du circuit propre. Nous allons accéder au deuxième étage par l’ascenseur propre. Nous avons mis à disposition à l’entrée de chaque circuit propre du matériel pour pouvoir s’habiller… donc nos FFP2.

Carla Melki, coordinatrice de projet MSF : Une fois que le virus entre à l’intérieur d’un établissement, on a des proportions de patients [malades] qui peuvent aller de 60 à 80% d’un établissement. Donc à ce moment-là, on va travailler avec notre équipe infirmière et médicale sur l’organisation de cette structure, le changement, avec un suivi médical beaucoup plus rapproché que ce qui était fait par le passé. On a aussi une équipe psy qui vient en appui au personnel soignant pour pouvoir faire face à cette crise-là. 

On essaie d’éviter au maximum les contacts. Moi aussi, je me lave beaucoup les mains.

À plus tard. Tout va bien ! Vous avez le Covid mais vous n’avez pas de symptômes.

Dr Laure Bertrand-Gervais, médecin coordonnatrice en Ehpad : Il y a deux choses qui sont douloureuses : c'est l'absence des familles, et on se rend bien compte qu’un Ehpad est dans la vie parce qu’on a des familles qui vont, qui viennent, qui donnent de l'amour à leurs proches. Cette absence de vie liée au fait qu'on ne communique plus avec l'extérieur, ça change complètement le regard qu’on a sur l’Ehpad. Et puis effectivement, on a un Ehpad qui s'est transformé en un lieu de soins. Moi, je dis souvent que dans un Ehpad, le médical est hyper important parce qu’on a des résidents extrêmement fragiles et que si on ne les soigne pas médicalement parlant, évidemment, ils se dégradent. Mais la prise en charge médicale, à la limite, elle ne doit pas se voir. Ce qui se voit dans l’Ehpad, c'est l'animation, les thérapies non médicamenteuses, les anniversaires, c'est la vie, c'est la gaieté. Tout ce qui est médical, c'est en arrière-plan, ça ne doit pas se voir ; alors qu'aujourd'hui, dans l’Ehpad, on ne voit que ça. On ne voit que le soin. Donc on n'est plus un Ehpad là, on est un petit service de médecine d'hôpital local périphérique. 

Voilà la pharmacie, avec tout le matériel d’hospitalisation à domicile, du matériel d’oxygénothérapie qui est là dans le coin pour avoir l'oxygénothérapie à proximité sur chaque étage.  De quoi désinfecter le matériel, de quoi faire des pansements s’il y a besoin, des pieds à perfusion… En fait c’est une salle kiné qu’on a adaptée pour le Covid, et en dessous on a adapté une autre pièce pour pouvoir aussi créer une infirmerie.

Allez, c’est parti. Ça va, j’ai presque terminé. Je ne vous fais pas mal. Ce n'est pas quelqu’un qui est encore en situation d’oxygéno-dépendance. Elle doit être à J… C’est le dépistage de la semaine dernière, elle doit être à J7-J8 cette dame. Donc le début de la période un petit peu critique où il faut surveiller, entre J8-J12.

Marie-Pierre Becheiron, directrice d’Ehpad : Ce qui est difficile dans la gestion de cette épidémie, c'est la notion de culpabilité, en tant que direction, en tant que soignants, en tant qu’encadrants.

Marjolaine Coste, infirmière cadre en Ehpad : Est-ce que je vais l’attraper ? Est-ce que je peux le transmettre ? Est-ce que c'est moi qui contamine ? Comment ne pas contaminer ? Je fais mes désinfections correctement mais ça se propage quand même.

Dr Laure Bertrand-Gervais, médecin coordonnatrice en Ehpad : C'est aussi la mort, la mort qui a rôdé et qui continue à rôder dans l'établissement. En se disant chaque fois : est-ce que cette personne va s'en tirer ou pas ? Est-ce qu'on va arriver à la sortir de là ?

Marie-Pierre Becheiron, directrice d’Ehpad : L'intervention de MSF nous a permis aussi de nous délester de ce poids de culpabilité en prenant conscience qu'on avait bien fait les choses mais qu'on n'y pouvait rien, quelque part. Et que la gestion d'une crise, c'est un métier. Ce n'est pas notre métier. Et ce n'est pas qu'on a mal fait les choses, mais à un moment donné, ça nous dépasse.

Bonjour madame, c’est le docteur.  Là, typiquement, le problème de cette dame, c’est qu’on a passé J15, elle a eu besoin d’oxygène et je crois qu’elle a toujours besoin d’oxygène. Le Covid n’est plus trop le souci, c’est vraiment un souci d’état général, d’hydratation et de nutrition. Donc on comprend que c’est difficile, ces patients-là quand ils ne sont pas dans les salles avec tout le monde, de venir les faire manger, ça mobilise à chaque fois une personne, mais il faut le faire. Elle va à peu près bien, mieux que la dernière fois que je l’ai vue, mais on sent qu’elle tourne dans son lit, qu’elle est agitée, qu’elle n’est pas forcément confortable ou que le traitement n’est pas optimisé. Je vais redescendre et je vais voir si elle a quelque chose, une petite « benzo » pour la détendre, si elle a bien les antalgiques qu’il faut. Elle a un petit patch de morphine là, on peut voir déjà, donc je vais revoir son traitement.

Axel Andolfo, médecin MSF : Dans mes examens cliniques, je termine toujours, quand les patients discutent normalement, par parler du moral parce que le syndrome de glissement, ça vient de là. C'est à cause de ça qu’ils s'arrêtent de manger… Et c'est très dur pour tous donc on essaie de faire attention à ça aussi. Ça fait partie de données cliniques importantes qui conditionnent la vie de ces patients-là. 

Comment vous vous sentez ? Ça va ? Oui. Ça vous a fait plaisir de retourner manger avec les autres ? C’est important.

On est sur une phase de test au niveau du premier étage. Garder les non-Covid en isolement pour les protéger, et tous ceux qui ont eu le Covid, on va pouvoir peut-être commencer à les déconfiner, à les faire participer à des actions sociales au sein de l’établissement, des animations, des repas… Petit à petit, on s’ouvre.

Milena Reyjasse, infirmière MSF : C'est souvent après la vague qu’on se rend compte du dégât psychologique que ça a pu causer chez les soignants. Il y a beaucoup de fatigue, d'épuisement. Beaucoup de soignants se posent la question quant à poursuivre leur carrière. On voit qu'ils sont vraiment à bout et que c'est compliqué de tenir encore après cette vague.

Stéphanie Audard, cadre de santé en Ehpad : Je ne sais pas dans quelle mesure on va réussir à déconfiner [les résidents], leur donner envie de redescendre, de se remêler aux autres. À la première vague, ils avaient été confinés et au moment où on a déconfiné en fait, ils ont eu peur. Ils ont eu peur de sortir. Il y en a qui sont restés dans leur chambre et qui ne sont plus redescendus parce qu'ils s'étaient habitués à rester dans leur chambre. Et là, le deuxième confinement est arrivé, et c’est ceux-là surtout, je me demande s'ils ressortiront.

Et vous ne vous êtes pas levé aujourd’hui ? Vous êtes resté au lit ?

Marjolaine Coste, infirmière cadre en Ehpad : On arrive dans la période de Noël, donc on espère pouvoir accéder à un peu plus de demandes au niveau des visites mais c'est difficile. C'est difficile, les équipes le ressentent. Elles sont là, elles font ce qu’elles peuvent mais ça ne remplace pas une famille.

Dr Laure Bertrand-Gervais, médecin coordonnatrice en Ehpad : C’est vrai qu'on a beaucoup donné. Il y a eu pas mal de personnels malades, symptomatiques ou asymptomatiques. Ils ont peur, c'est normal. Ça bouleverse la vie d'une famille quand vous arrivez en disant je suis Covid positif. Et tout ça, il faut qu'on le reconnaisse et qu'on montre aux équipes qu'on l'a vu, qu'on l'a reconnu, qu'on a fait tout ce qu'on pouvait pour elles et que si les résidents vont bien aujourd'hui - parce que finalement on s'en tire pas mal, ce n'est pas fini mais aujourd'hui, on s'en tire quand même pas mal - c'est grâce à elles et grâce à tout le monde, et ça, il faut qu'on se le dise.

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