Venezuela : à Caracas, « les gens se sentent de plus en plus abandonnés »

Santé mentale Venezuela, La Pradera, Caracas, psychologie, violence
Yaneiri a vécu toute sa vie à La Pradera (un quartier de la banlieue sud de Caracas). En août 2016, son mari a été assassiné lors d'un vol à main armée devant leur maison alors qu'il partait au travail. Yaneiri est depuis seule avec leurs deux jeunes enfants. Après cette épreuve, elle a suivi des séances de thérapie avec un psychologue de MSF. "La thérapie m'a fourni les outils pour sortir de ma situation et de retrouver l’espoir. Tout n'est pas fini." © Marta Soszynska/MSF

Depuis 2013, le Venezuela fait face à une violente crise économique et sociale. En proie à des manifestations qui soulèvent le pays, à des pénuries alimentaires sans précédent, des pannes d'électricité ou encore à un manque d’approvisionnement en eau, le pays et ses services publics sont asphyxiés.

Après de nombreuses missions avec MSF, Xili Fernández retourne en janvier 2019 dans son pays d’origine, le Venezuela, pour coordonner le projet MSF d'assistance aux victimes de violences urbaines et de violences sexuelles, mis en place à Caracas. Elle nous raconte la situation actuelle et le travail de MSF dans la capitale.

Vous avez quitté Caracas en 2003. Quelle était la situation à votre retour en 2019?

À l'époque, on sentait déjà les prémices d’une future crise économique. Aujourd’hui, la situation est catastrophique. Même si je m’y attendais, je ne pensais pas voir un tel effondrement du système de santé. Et puis, la crise économique démoralise complètement la population restée sur place.

Quelles sont les actions de MSF à Caracas?

Nos équipes y travaillent depuis 2016. Nous prodiguons des soins dans 6 sites, situés dans les quartiers de Libertador et de Sucre, où la violence de rue et les gangs criminels sont monnaie courante. Notre projet vise à fournir des soins médicaux et psychologiques aux victimes de violences urbaines et de violences sexuelles. 

Nos efforts portent de plus en plus sur la prise en charge des victimes de violences sexuelles, car il est vital de recevoir un traitement dans les 72 heures suivant une agression. Cela permet de prévenir des maladies sexuellement transmissibles et les grossesses non désirées. Les victimes sont ensuite suivies psychologiquement par nos équipes.

Quelles difficultés rencontrez-vous pour entrer en contact avec les personnes victimes d’agression sexuelle?

L'année dernière a été très difficile, avec notamment des pannes d'électricité et des coupures dans l'approvisionnement en eau. Les pressions quotidiennes sont trop importantes pour qu'une agression sexuelle soit reconnue comme une priorité - par rapport à des besoins immédiats et urgents, comme boire et se nourrir tous les jours, dans des conditions de plus en plus difficiles.

Les gens ne savent pas toujours qu'il existe des médicaments accessibles à Caracas, ni même que nous sommes présents pour leur en fournir gratuitement. Nous travaillons avec le personnel soignant et les autorités sanitaires afin que tous comprennent qu'une agression sexuelle est une urgence médicale. Nous avons ainsi constaté une augmentation du nombre d’agressions sexuelles enregistrées. En 2019, nous avons ainsi accompagné 233 victimes de violences sexuelles et réalisé plus de 2 000 consultations psychologiques.

Nos partenariats avec les associations locales et avec la police scientifique sont très importants. Nous les aidons à considérer ces cas comme des urgences médicales, ce qui évite que la victime ait, par exemple, à revivre son agression lors d'entretiens difficiles et traumatisants avec la police. Des personnes nous ont raconté qu’elles ont dû répondre à des questions du type « Que portiez-vous ? » ou des commentaires sur leur comportement...Comprendre et connaître l'importance du soutien psychologique dans les cas de violence sexuelle permet d’éviter que la victime se sente stigmatisée.

District La Pradera, Caracas, où les équipes MSF dispensent des soins médicaux et de santé mentale.
 © Marta Soszynska/MSF
District La Pradera, Caracas, où les équipes MSF dispensent des soins médicaux et de santé mentale. © Marta Soszynska/MSF

Quelle est la situation dans les hôpitaux?

Aujourd’hui, nous traitons davantage de cas complexes liés à ces violences urbaines, nécessitant un traitement psychiatrique. À mesure que la crise empire, les problèmes de santé mentale s’intensifient. Il n'y a qu'un seul hôpital public où les les cas psychiatriques les plus graves peuvent être pris en charge. 

Les conditions dans de nombreux hôpitaux sont complexes et c’est difficile de faire face aux urgences. Certains ne réalisent plus d’opérations chirurgicales, des centres de santé sont fermés. De nombreux professionnels de la santé ont quitté le pays et la nouvelle génération de soignants manque souvent d'expérience ou de compétences spécifiques. C’est pourquoi nous mettons à leur disposition des programmes de formation.

Comment la population vit-elle au quotidien?

Ici, les gens se sentent abandonnés, ils sont fatigués et démoralisés. De plus en plus de personnes quittent le pays en raison des difficultés quotidiennes, d’un sentiment d'impuissance, de désespoir, de culpabilité. Avec autant de personnes en exil, le sentiment de solitude ne cesse de s'accroître chez ceux qui restent, et leur douleur est énorme. Leur état psychologique se caractérise par davantage d'anxiété et de dépression.

Est-il difficile pour MSF de travailler dans un environnement aussi divisé politiquement?

Porter secours dans un contexte aussi polarisé s’avère en effet difficile. L'aide humanitaire a souvent été instrumentalisée par l’ensemble des parties depuis le début de la crise vénézuélienne. 

Donc les Vénézuéliens sont moins confiants quant à la neutralité, l'impartialité et l'indépendance des organisations qui interviennent. Mais petit à petit, et en travaillant avec les organisations locales, nous essayons de nous faire mieux connaître et espérons gagner la confiance du peuple et des institutions vénézuéliennes.

À lire aussi