Soudan : violences sexuelles au Darfour, témoignage d’Anna, sage-femme MSF à l’hôpital de Tawila
Le 13 avril 2025, les Forces de soutien rapide (RSF) ont attaqué le camp de Zamzam - situé juste à l'extérieur d'El Fasher, la capitale du Darfour-Nord, au Soudan - provoquant le déplacement d'environ 380 000 personnes vers la ville voisine de Tawila. À la suite de cela, en seulement cinq semaines, plus de 300 victimes et survivantes de violences sexuelles ont sollicité l'aide des services soutenus par Médecins Sans Frontières (MSF) à Tawila.
Le mois d'avril 2025 est gravé dans la mémoire d'Anna*. Anna, sage-femme depuis 18 ans avec MSF, a été appelée aux urgences de Tawila, où les survivantes de violences sexuelles affluaient en grand nombre après l'attaque du camp de Zamzam. Elles avaient toutes fui Zamzam, situé juste à l'extérieur d'El Fasher, la capitale du Darfour-Nord, que les Forces de soutien rapide (RSF) et leurs alliés assiégeaient et attaquaient depuis plus d'un an.

« Il y avait une odeur que je n'oublierai jamais », raconte Anna. « La pièce était remplie de femmes qui criaient, la plupart d'entre elles cherchaient des soins après avoir été violées. Et au milieu de tout ce chaos, une jeune fille était assise en silence, osant à peine me regarder dans les yeux. »
« J'ai demandé : “Que se passe-t-il ? Quelle est cette odeur ?” Une femme m'a répondu : “C'est parce qu'il y a un cadavre ici” », poursuit Anna. « C'est à ce moment-là que la jeune fille a enfin levé les yeux. Je lui ai demandé : “Est-ce que ça va ?” et elle m'a répondu : “Tu veux bien venir avec moi pour qu'on puisse parler ?” ».
Ciblage ethnique et atrocités commises à l'encontre des civils
Depuis le début de la guerre en avril 2023, les groupes ethniques non arabes - notamment les Masalit, les Zaghawa et les Fur - dont beaucoup ont déjà survécu aux violences au Darfour il y a 20 ans - sont de nouveau ciblés. Le RSF assiège la ville d’El Fasher et contrôle une grande partie de la région du Darfour, y compris la plupart des voies de sortie de la ville. Les communautés qui tentent de fuir par ces routes sont attaquées, elles subissent viols, tortures et meurtres.
La jeune fille a expliqué à Anna que son agresseur lui avait d'abord demandé si elle appartenait à la tribu des Zaghawa. « J'ai nié, mais le commandant a insisté », raconte la jeune fille. « Ma mère a essayé de me défendre. Il a ordonné à son chauffeur de la renverser, il l’a percutée et ça l'a tuée sur le coup. Sous mes yeux. Directement après, il m'a emmenée de force dans un endroit à côté et m'a violée à plusieurs reprises. Ce n'est que lorsqu'il est parti à la recherche d'autres personnes qu’il m’a laissée. Son chauffeur m'a ramenée auprès de ma mère morte et du groupe de personnes qui fuyaient avec nous. Quelques personnes m’ont aidé à placer le corps de ma mère sur un âne et avons poursuivi notre route vers Tawila ».
Qui sont les auteurs ?
De nombreuses victimes et survivantes ont expliqué avoir été brutalement agressées par plusieurs hommes armés lors de leur fuite d'El Fasher ou des camps de déplacés environnants.
Ces exactions de masse sont détaillées dans un rapport de MSF intitulé « Assiégés, attaqués, affamés », publié début juillet 2025 pour réaffirmer l’urgence d’agir pour mettre fin au siège d’El Fasher et aux atrocités de masse.
Renforcer la prise en charge des victimes et des survivantes de violences sexuelles
Entre janvier et mars 2025, neuf survivantes de violences sexuelles ont reçu des soins à l'hôpital de Tawila. Entre avril et juin 2025, ce nombre a augmenté de façon exponentielle pour atteindre 121 patientes. Cette hausse s’explique par un meilleur accès aux soins avec un renforcement des systèmes de référencement depuis les camps de déplacés mais également par l'ampleur du phénomène des violences sexuelles.
Chaque semaine, de nouveaux épisodes de violence ont lieu à El Fasher et dans ses environs. Les bombardements et les attaques dans le camp de déplacés d'Abu Shouk ont provoqué l’arrivée de nouvelles victimes à Tawila. Malgré les obstacles considérables qui entravent l'accès aux soins médicaux, plus de 600 survivantes de violences sexuelles ont sollicité des soins dans des établissements de santé soutenus par MSF, entre avril et août 2025 dans la région du Darfour-Nord.

« Les survivants ont besoin de toute urgence d'un soutien complet, gratuit et rapide, notamment de soins médicaux et d'une aide psychologique et sociale », explique Anna. « Les survivants du Darfour sont confrontés à des atrocités incessantes. Le monde ne peut pas détourner le regard. »
*Le prénom a été changé pour protéger l’identité de la personne.