Soudan du Sud : trois jours au cœur de l’urgence, témoignage de notre coordinateur sur place

Un jeune homme de 29 ans qui a bénéficié d'un traitement chirurgical à la clinique MSF de Bentiu. Soudan du Sud. 2020. 
Un jeune homme de 29 ans qui a bénéficié d'un traitement chirurgical à la clinique MSF de Bentiu. Soudan du Sud. 2020.  © Caterina Spissu/MSF

En août 2020, une nouvelle vague de violences secoue le nord-est du Soudan du Sud, provoquant un afflux de blessés graves à l'hôpital de Pieri, dans l'État de Jonglei. Les équipes MSF sur place sont rapidement submergées et appellent en renfort celles de Juba, la capitale du pays. Jean-Nicolas Dangelser, coordinateur d’urgence MSF, revient sur ces événements qui illustrent les problématiques de violences intercommunautaires et d’accès aux soins dans la région.

Tard dans la soirée du 3 août 2020, le bureau de coordination de MSF à Juba a reçu un message urgent : « 45 blessés en moins de 24 heures et des centaines d’autres à venir. »

Il concernait l’équipe de Pieri, une petite ville dans laquelle nous gérons un centre de soins de santé primaire.

Anticiper les besoins

C'était le début de mon troisième mois à Juba. J’occupais le poste de coordinateur d’urgence, principalement sur la réponse au coronavirus. Mon travail consistait à soutenir les équipes MSF dans la gestion de la pandémie. Les restrictions liées à la Covid-19 engendraient notamment un manque de fournitures et de personnels. 

Nous suivions déjà la situation et les événements dans la région de Pieri car en mai dernier, une attaque avait déjà fait des centaines de blessés et des morts. Un membre du personnel MSF était décédé pendant cette attaque.

Puis nous avons appris que de nombreuses personnes armées s’étaient mobilisées pour préparer la riposte. 

Le 1er août, nous avons profité de conditions météorologiques plus clémentes pour acheminer des fournitures médicales à Pieri. Nous savions que, sans ce soutien, l'équipe aurait du mal à assurer tous les services de santé.

 Jean-Nicolas Dangelser, coordinateur d’urgence MSF.
 © MSF
 Jean-Nicolas Dangelser, coordinateur d’urgence MSF. © MSF

Soutenir les équipes

Deux jours après le départ du convoi, des dizaines de blessés arrivaient à la clinique MSF. Notre équipe s’est mise à travailler 24 heures sur 24 pour les prendre en charge. En seulement trois jours, elle a vu un total de 73 blessés  — et plus de 100 en une semaine.

À Juba, nous recevions régulièrement des nouvelles de l'équipe, qui était épuisée car des dizaines de patients se trouvaient dans un état critique. La situation sécuritaire mettait tout le monde sous pression.

Nous avons décidé d'envoyer une petite équipe de Juba pour soutenir nos collègues sur le terrain, mais la piste d'atterrissage de Pieri était inondée depuis quelques jours. Nous avons réussi, grâce à d’autres organisations, à bénéficier d’un hélicoptère dès le lendemain matin. 

Après quelques heures de sommeil, j'étais dans cet hélicoptère en direction de Pieri avec un médecin et un logisticien. Je devais m’occuper des négociations, de la surveillance, de la sécurité et de la coordination des actions. Nous savions qu’une autre équipe MSF se rendrait à Pibor, de l’autre côté de la ligne de front.

Jean-Nicolas Dangelser, coordinateur d'urgence MSF, vérifie l'état de la piste d'atterrissage de Pieri au Soudan du Sud.

 
 © MSF/Shirly Pador
Jean-Nicolas Dangelser, coordinateur d'urgence MSF, vérifie l'état de la piste d'atterrissage de Pieri au Soudan du Sud.   © MSF/Shirly Pador

En atterrissant à Pieri, quelques collègues nous attendaient déjà. Autour d'eux se trouvait une centaine de femmes, d'enfants, de personnes âgées. Ils étaient au courant de notre arrivée et savaient que nous pourrions peut-être évacuer certains blessés qui étaient dans un état critique. 

À l’arrivée, notre équipe s’est rendue directement à la clinique MSF afin de procéder à l’évaluation médicale des blessés. Nous savions qu’une dizaine de patients étaient à examiner. Parmi eux, six patients blessés par balle gisaient sur le sol. Leurs bandages étaient trempés de sang.

Soins d’urgence

Avec l’hélicoptère, nous pouvions transférer certains d’entre eux  vers le site de protection des civils de Bentiu, mis en place par les Nations unies, dans lequel MSF dispense des soins chirurgicaux. Mais nous avions besoin de prendre des décisions rapidement et le trajet de Pieri à Bentiu prend plus de trois heures. 

Au cours de l'évaluation médicale, j'ai remarqué que certains des patients toussaient. Cela a immédiatement soulevé des questions quant à la présence possible de la Covid-19. Nous avons donc revêtu des équipements de protection individuelle, mis nos masques, et sommes partis en direction de Bentiu. Certains patients, dans un état critique, devaient attendre le lendemain matin pour être évacués.

Gatwich, 35 ans, est soigné par une infirmière MSF dans la salle d'opération de l'hôpital de Bentiu. 
 © Caterina Spissu/MSF
Gatwich, 35 ans, est soigné par une infirmière MSF dans la salle d'opération de l'hôpital de Bentiu.  © Caterina Spissu/MSF

Dans les trois jours qui ont suivi, notre équipe a procédé à cinq évacuations sur un total de 36 patients.

Conditions désastreuses

Au cours de la semaine, la situation à Pieri a commencé à revenir à la normale. Les gens sont retournés au travail, les coups de feu ont cessé. Notre équipe d'urgence était prête à retourner à Juba, mais à cause des conditions météorologiques instables nous avons prolongé notre séjour de  dix jours.

Nous avons profité de l’occasion pour visiter les communautés des villages autour de Pieri et évaluer les conditions de vie des populations et leur accès aux soins de santé après les attaques de mai.

Quelques jours après avoir fui leur foyer pour échapper aux violences, certaines personnes avaient dû revenir pour cultiver leurs terres. D’autres étaient revenues seulement un jour ou deux avant notre visite.

Tous ceux à qui nous avons parlé partageaient la même préoccupation : la peur des attaques qui pourraient se reproduire dans quelques mois avec la fin de la saison des pluies, sinon plus tôt.

Nous n’avons finalement jamais vu les « centaines de blessés » supplémentaires annoncés dans les premiers messages. Mais des cas de violence comme celui-ci,  qui ont eu lieu dans les régions de Jonglei et du Grand Pibor tout au long de 2020,  ont eu un impact dévastateur sur les habitants.

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