RDC : « Nos appels, lancés dès le début de cette explosion de violences, n’ont pas été entendus »

EUn infirmier MSF en consultation avec des patients vivant dans un camp déplacés, suite à l'explosion de violence qui a touché le territoire de Kwamouth. République démocratique du Congo. 2022.
Un infirmier MSF en consultation avec des patients vivant dans un camp déplacés, suite à l'explosion de violence qui a touché le territoire de Kwamouth. République démocratique du Congo. 2022. © Johnny Vianney Bissakonou/MSF

Au mois d’août 2022, de violents affrontements intercommunautaires ont débuté dans le Mai-Ndombe et le Kwilu, deux provinces situées à quelques heures de route de Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo. Alessandra Giudiceandrea, cheffe de Mission MSF, témoigne du choc ressenti face à la situation sur place et de sa frustration quant à la lenteur du déploiement de l’aide humanitaire.

Personne n'avait vu venir ce qu’il allait se passer dans le Mai-Ndombe et le Kwilu. Nous avons été pris de court par l’ampleur et l’intensité des violences : tueries, maisons incendiées, déplacements de milliers de personnes… Au moins 180 personnes ont été tuées dans ces épisodes de violences selon les autorités. Un bilan probablement très partiel.

Comment en est-on arrivé là ? Un conflit foncier, sur fond de tensions anciennes ancrées dans des problématiques coutumières et administratives, a mis le feu aux poudres dans une zone où vivent de nombreuses communautés. Ce qui a débuté par des incidents localisés s’est progressivement mué en des actes de violence indiscriminée. Après quelques jours de présence dans le territoire de Kwamouth, où les affrontements ont débuté, nous avons pu voir une logique de vengeance s’installer, avec des attaques et des représailles de toutes parts, débordant cette seule zone. Les discours de haine se sont multipliés et le voisin d’hier est devenu « l’ennemi » d’aujourd’hui.

Sur la route nationale 17 menant à Bandundu, nous sommes passés à côté de villages entiers qui venaient d’être brûlés. Nous avons vu des habitants massacrés et des corps mutilés. Nous avons pu constater que ni les femmes, ni les enfants n’avaient été épargnés lors de ces attaques. Malgré une longue expérience avec MSF, je peux dire qu’on ne s’habitue jamais à un tel degré de violence.

Une enfant de 11 ans en discussion avec un psychologue MSF dans un camp de déplacés du territoire de Kwamouth. République démocratique du Congo. 2022.
 © Johnny Vianney Bissakonou/MSF
Une enfant de 11 ans en discussion avec un psychologue MSF dans un camp de déplacés du territoire de Kwamouth. République démocratique du Congo. 2022. © Johnny Vianney Bissakonou/MSF

Un de nos patients nous a raconté son histoire. Lors de l’attaque de son village, il a reconnu son voisin. Il nous a dit qu'il l'avait tué, pour protéger sa femme. Des enfants, aujourd’hui orphelins, nous ont raconté avoir vu leurs parents se faire assassiner. Dans la panique générale qui suit les attaques, les familles se dispersent et restent parfois sans nouvelles de leurs proches des semaines durant, sans savoir s’ils sont morts ou vivants. 

Aux attaques se succèdent souvent les pillages. Ceux qui ont réussi à prendre la fuite ont pour la plupart tout perdu. Aujourd’hui, outre les sites de déplacés répertoriés dans certains centres urbains, comme Bandundu, près de deux tiers des personnes déplacées se trouvent encore éparpillées dans les villages aux frontières des provinces de Kwilu et de Kwango, parfois à plusieurs heures de marche de chez elles. Une partie de ces gens a pu bénéficier de la solidarité de familles d’accueil, qui partagent le peu qu’elles possèdent. D’autres ont trouvé refuge dans la forêt et n’osent pas en sortir. Toutes ces personnes déplacées ont besoin d’aide.

MSF a été la première organisation humanitaire à déployer des équipes sur le terrain à la fin du mois d’août. En quelques semaines, nous avons pu organiser des centaines de consultations médicales. Par bateau ou par véhicule, nous avons transporté vers Kinshasa une vingtaine de patients dans un état grave. Certains d’entre eux souffraient de blessures infectées qui dataient de plusieurs semaines, car ils n’osaient pas aller se faire soigner. Nos équipes devaient souvent faire 4 à 5 heures de bateau pour récupérer une ou deux personnes. Un travail de fourmi, épuisant pour les équipes, mais vital.

Une clinique MSF construite sur un camp de déplacés du territoire de Kwamouth. République démocratique du Congo. 2022.
 © Johnny Vianney Bissakonou/MSF
Une clinique MSF construite sur un camp de déplacés du territoire de Kwamouth. République démocratique du Congo. 2022. © Johnny Vianney Bissakonou/MSF

Au cours de cette intervention d’urgence, nous n’avons cessé de nous questionner : « Est-ce que nous en faisons suffisamment ? Est-ce que nous le faisons de la bonne manière ? » Au-delà de notre réponse médicale, témoigner est une autre façon d'agir pour ces personnes en détresse. C’est ce que nous tentons de faire depuis deux mois, afin de mobiliser d’autres acteurs humanitaires, dans une zone pourtant située à seulement quelques heures de Kinshasa. 

Nos appels, lancés dès le début de cette explosion de violences, n’ont pas été entendus, malheureusement. « Pas assez de besoins », « Pas assez de moyens », « Trop d’insécurité ». Ici aussi, comme dans tant d’autres zones oubliées de la République Démocratique du Congo, le travail de mobilisation est éreintant et frustrant.

Les affrontements sont devenus moins fréquents ces dernières semaines, mais sont plus éparpillés. Ils s’étendent à présent sur un large territoire au nord de Kinshasa, entre le fleuve Congo et la rivière Kwilu, ce qui rend les interventions humanitaires très compliquées.

Dans les villages qui n’ont pas été attaqués, les habitants vivent dans la crainte. La situation reste très imprévisible. L’absence d’attaques ne veut pas dire que tout est sous contrôle et que la vie est revenue à la normale. Les tensions et les discours de haine sont encore bien présents.

Tout le tissu social et communautaire est à reconstruire. Une approche uniquement sécuritaire ne peut pas être la seule solution. Nous ne le voyons que trop bien dans d’autres territoires du pays en proie aux violences, et cela met souvent en péril l’accès des acteurs humanitaires à des endroits où leur présence est pourtant nécessaire. 

Combien de temps le Mai-Ndombe restera-t-il encore un désert humanitaire ? Plus de deux mois après le début des violences, cette situation pose de sérieuses questions sur le fonctionnement du système humanitaire en République démocratique du Congo, un pays touché par de nombreuses crises simultanées. Des questions qui, elles aussi, méritent des réponses urgentes.

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