Nigeria : comment MSF lutte contre la malnutrition dans l’Etat de Katsina

Une agent de promotion de la santé MSF dans l'un des centres de nutrition thérapeutique de MSF dans l'État de Katsina où, comme dans tout le nord du Nigeria, une grave crise de malnutrition s'aggrave depuis quelques années.
Une agent de promotion de la santé dans l'un des centres de nutrition thérapeutique de MSF dans l'État de Katsina où, comme dans tout le nord du Nigeria, une grave crise de malnutrition s'aggrave depuis quelques années. © Elkanah Yakubu

Abdulkarim Hassan est originaire de l'État de Katsina, dans le nord du Nigeria, où Médecins Sans Frontières (MSF) soutient les autorités locales dans la lutte contre la malnutrition depuis 2021. Il a été témoin de la détérioration de l'état nutritionnel des enfants, d'abord en tant qu'infirmier dans les centres d'alimentation thérapeutique de MSF, aujourd'hui en tant que responsable de la sécurité alimentaire et de la nutrition pour MSF. Il revient sur l'importance de la prévention pour lutter contre la malnutrition et le renforcement du soutien de MSF en 2025. 

Quelles activités MSF a-t-elle mises en place à Katsina en 2025 pour lutter contre la malnutrition ? 

Tout d'abord, nous avons augmenté notre capacité de traitement, en passant de 600 lits l'année dernière à 750 lits cette année, afin de répondre à l'urgence et de traiter autant d'enfants souffrant de malnutrition sévère que possible. Malgré l'augmentation de notre intervention et notre soutien aux autorités locales, nous continuons à recevoir de plus en plus d'enfants. Nous avons donc mis en place une stratégie de prévention, de détection précoce et d'orientation des patients. 

Pour la prévention, nous avons principalement mis en œuvre deux mesures. Nous avons d’une part distribué massivement des compléments alimentaires à plus de 70 000 enfants, de juillet à octobre, dans l'une des régions de l'État où nous avions constaté un nombre élevé d'enfants souffrant de malnutrition. C'est la première fois que nous avons mené une campagne d'une telle ampleur dans la région.  

D’autre part, à leur sortie de l’hôpital MSF, nous fournissons à présent directement une aide financière aux aidants qui s’occupent d'enfants souffrant de malnutrition. Cela leur permet d'acheter des aliments nutritifs et de payer le transport vers les établissements de santé pour les suivis médicaux. Cette initiative, menée en collaboration avec le Conseil danois pour les réfugiés, est en place depuis un mois et a déjà bénéficié à 5 663 personnes. Nous espérons la poursuivre jusqu'en décembre. 

Une femme de l'État de Katsina reçoit un sac de nourriture supplémentaire de MSF pour prévenir le risque de malnutrition de ses enfants.
 © Elkanah Yakubu
Une femme de l'État de Katsina reçoit un sac de nourriture supplémentaire de MSF pour prévenir le risque de malnutrition de ses enfants. © Elkanah Yakubu

Au-delà de la prise en charge et du soutien aux familles, y’a-t-il d’autres axes de développement dans cette lutte ?  

Oui, nous avons également mis en place une stratégie de détection précoce et d'orientation au niveau communautaire, avec notamment une formation sur la détection de la malnutrition pour les personnes qui s'occupent d'enfants déjà inscrits dans nos programmes. La détection précoce est un véritable enjeu. Si la forme marasmique de la malnutrition, qui se caractérise par une maigreur extrême et une peau tendue sur les os, est connue, c’est moins le cas de la forme œdémateuse (aussi appelée kwashiorkor), qui se caractérise par un gonflement du corps des enfants et peut donc donner l'impression qu'ils sont en bonne santé avant que des complications graves ne surviennent rapidement. Nous expliquons par ailleurs aux soignants comment la détecter : ils doivent appuyer leurs doigts sur les jambes gonflées de l'enfant pendant environ trois secondes et, si des marques restent, il s'agit d'un œdème et ils doivent consulter un médecin en urgence. Nous formons également les soignants à l'utilisation de rubans pour mesurer le périmètre brachial (MUAC) afin de détecter la malnutrition. Ainsi, lorsqu'ils retournent dans leurs villages, ils peuvent examiner davantage d'enfants et passer le mot aux autres membres de leur communauté. En sensibilisant davantage la population, nous voulons faire en sorte que les gens consultent plus rapidement lorsque leur enfant montre les premiers signes de malnutrition, ce qui améliore les chances de guérison et de survie. 

Comment expliquer l'augmentation constante du nombre d'enfants souffrant de malnutrition dans le nord du Nigeria, en particulier dans l'État de Katsina ? 

Depuis 2021, MSF traite de plus en plus d'enfants souffrant de malnutrition, dans des états de santé de plus en plus graves, malgré notre soutien constant aux autorités locales. Au cours des huit premiers mois de l’année, plus de 112 000 enfants souffrant de malnutrition ont reçu des soins médicaux dispensés par les équipes de MSF dans cet État. 
Plusieurs facteurs aggravent la crise de malnutrition, notamment l'inflation et d'autres raisons socio-économiques comme la pauvreté, l’indisponibilité et l'inaccessibilité des services de santé de base en raison de l’insécurité. En 2025, les prix des denrées alimentaires ont baissé pour la première fois, mais ils restent bien supérieurs aux niveaux d'avant 2021/2023. Dans le même temps, d'autres coûts de la vie, tels que les transports et l'éducation, continuent d'augmenter. Les engrais, par exemple, deviennent de plus en plus chers, ce qui empêche les habitants de cultiver les mêmes quantités de nourriture que par le passé. En conséquence, ils ont moins accès aux fruits de leurs récoltes et sont souvent contraints d'en vendre une partie pour subvenir à leurs autres besoins. Certaines familles se tournent vers des cultures moins coûteuses, comme le millet ou le manioc, qui sont moins nutritives. Je me souviens d'une mère de six enfants dont le bébé de neuf mois a été admis au centre de nutrition thérapeutique de MSF. L'enfant était malade depuis plus d'un mois. Elle avait vendu la seule chèvre de la famille pour pouvoir se rendre dans un autre établissement, mais l'état de l'enfant ne s'était pas amélioré. La mère n'avait plus d'argent et a dû en emprunter pour venir à MSF. Elle était extrêmement inquiète car elle n'avait pu laisser qu'un peu de maïs pour ses trois autres enfants restés à la maison. 

Une femme reçoit un bon pour récupérer une aide alimentaire de MSF afin de prévenir le risque de malnutrition chez ses enfants. Entre juillet et septembre, MSF a organisé quatre distributions pour plus de 70 000 enfants.
 © Elkanah Yakubu
Une femme reçoit un bon pour récupérer une aide alimentaire de MSF afin de prévenir le risque de malnutrition chez ses enfants. Entre juillet et septembre, MSF a organisé quatre distributions pour plus de 70 000 enfants. © Elkanah Yakubu

Une autre femme a marché de 7 heures du matin à 14 heures avec un bébé sur le dos et un enfant de deux ans souffrant d'œdème pour atteindre notre établissement, car elle n'avait pas d'argent pour le transport. C'est tragique, et pourtant cela se produit tous les jours. 

Que reste-t-il à faire pour améliorer la situation ? 

Historiquement, seuls quelques acteurs étaient engagés dans le projet nutritionnel dans le nord du Nigeria. Or, cette année, certains centres de traitement de la malnutrition ont été contraints de fermer, parfois temporairement, en raison de leurs difficultés de financement. Le manque de financement pose également un sérieux risque de pénurie d'aliments thérapeutiques prêts à l'emploi, qui sont les seuls médicaments capables de traiter les enfants souffrant de malnutrition. Dans ce contexte, les efforts de plaidoyer doivent se poursuivre afin de mobiliser des ressources financières et matérielles supplémentaires, non seulement pour faire face à la crise nutritionnelle urgente, mais aussi pour trouver des solutions à long terme et éviter qu'elle ne se reproduise chaque année sous une forme plus grave et mortelle, comme c’est le cas depuis 2021. 

Outre la prise en charge des enfants souffrant de malnutrition, les efforts en matière de diagnostic précoce et de prévention doivent être maintenus, en augmentant notamment le nombre de réseaux communautaires.  

Notes

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