Geo Barents : « On préférait chavirer plutôt que de retourner en Libye »

Des passagers sur le pont du Geo Barents, dans l'attente de trouver un port de débarquement.
Des passagers sur le pont du Geo Barents, dans l'attente de trouver un port de débarquement. © Vincent Haiges

Le Geo Barents a attendu plusieurs jours un port de débarquement sûr pour les 322 personnes secourues les jours précédents, parmi lesquelles se trouvent 95 mineurs et un bébé âgé de deux semaines. Le 22 août, le bateau a finalement reçu l'autorisation de débarquer à Augusta, en Sicile. Emenike*, nigérian de 28 ans, était à bord du navire de sauvetage. Il nous raconte son histoire.

« J'ai quitté le Nigeria pour échapper à la situation là-bas : la crise politique, les meurtres, les bombardements et Boko Haram. J'ai quitté le Nigeria pour sauver ma vie. 

Je suis arrivé en Libye le 4 janvier 2020. J'ai trouvé un travail dans une station de lavage à Tripoli, pendant un certain temps. Je pensais être en sécurité en Libye, mais finalement c'était bien pire que le Nigeria. Soldats ​​et miliciens sont tous là contre nous ! Personne ne nous aide. 

Les droits de l'homme n'existent pas. Le peu d'argent qu'on gagne en travail, on nous le prend, arme à la main s'il le faut. Un jour, un homme m'a dit « Si je veux, je peux tout te faire. Il a sorti son arme et a continué : Maintenant, sors d'ici ». 

Ramasser les corps

Il y avait un endroit dans la ville appelé « Mohata ». C'est l'endroit où l'on attend pour trouver un travail journalier. En octobre 2020, trois d'entre nous ont été sollicités pour ramasser des cadavres le long du bord de mer. Je me souviens avoir ramassé 16 corps. Nous avons dû les enterrer dans le désert, en creusant des tombes d'un mètre de profondeur. Je les mettais dans des sacs mortuaires pendant que des policiers armés nous surveillaient en disant : « Il faut aider vos frères noirs ». Nous avons été payé dix dinars (moins de deux euros) chacun.

 

© Aurelie Baumel/MSF

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Avec l'argent collecté, j'ai pu payer mon voyage. J'ai payé 5 000 dinars libyens (environ 1 000 euros) à un contrebandier de Zuwara pour traverser la mer dans un bateau en bois. C'est plus cher que les canots pneumatiques (environ 3 000 dinars). Nous étions les seuls à avoir acheté des gilets de sauvetage. Je ne sais pas nager – pas dans cette eau ! Les autres n'avaient rien du tout. 

La mer était très mauvaise quand nous avons traversé. Mais on préférait chavirer plutôt que de retourner en Libye. Ils avaient donné le moteur à l'un d'entre nous et avaient dit « Tu conduis ». Cette personne ne savait pas comment s'y prendre mais elle n'a pas eu le choix. 

Sauvetage de 188 personnes sur une embarcation en bois, le 15 août.
 © Vincent Haiges
Sauvetage de 188 personnes sur une embarcation en bois, le 15 août. © Vincent Haiges

A bord du navire de sauvetage Geo Barents

Les vagues étaient tellement hautes. Impossible de faire marche arrière : la police nous attendait à terre, côté libyen. Le moteur a fonctionné pendant trois jours. Lorsque MSF est arrivée, nous avions jeté toute l'essence par-dessus bord pour alléger le bateau et tenter de rétablir l'équilibre malgré les vagues. L'eau pénétrait dans le bateau depuis une dizaine d'heures environ. 

Chaque matin, je me réveille et je me sens comme un roi ! Parce que je me sens en sécurité, parce que tout est mieux que la Libye. Je souris tous les jours en me réveillant lorsque je réalise que je ne suis pas en Libye. 

Je ne raconterai tout cela à ma famille que lorsque je serai en sécurité. Je veux juste être dans un endroit sûr et avoir l'esprit tranquille. »

*Le nom a été modifié.

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