Covid-19 en France : comment les mineurs non accompagnés ont-ils vécu le confinement ?

Seco Jallow est un migrant sans-abri vivant dans les rues de Paris et dormant sous un pont. Il est venu se faire soigner dans l’une des cliniques mobiles de MSF qui ont été mises en place lors de la deuxième vague de la pandémie de Covid-19 à Paris. 2021. 
Seco Jallow est un migrant sans-abri vivant dans les rues de Paris et dormant sous un pont. Il est venu se faire soigner dans l’une des cliniques mobiles de MSF qui ont été mises en place lors de la deuxième vague de la pandémie de Covid-19 à Paris. 2021.  © Corentin Fohlen

MSF et le Comede (Comité pour la santé des exilé.e.s) publient le rapport « Vivre le confinement : les mineurs non accompagnés en recours face à l’épidémie de Covid-19 ». Basé sur l’accompagnement fourni auprès de 124 jeunes suivis par des psychologues des deux associations, ce rapport revient sur les effets du confinement et sur l'adaptation nécessaire des pratiques cliniques. 

Mélanie Kerloc’h, psychologue et responsable santé mentale pour MSF en Ile-de-France, nous présente les conclusions et les recommandations de ce rapport, dont elle est co-auteure.

Quel est l’impact du premier confinement, observé par le Comede et MSF, sur la santé mentale des jeunes suivis sur la période ?

Pendant les huit semaines de confinement, la majorité des jeunes ont réussi à se saisir des aides apportées par les adultes. Ils ont mobilisé leurs ressources internes – ces jeunes en ont beaucoup –, et se sont occupés en lisant, en faisant du dessin, des exercices scolaires, du sport, le ménage ou la conversation. Cela a concerné 70 % des jeunes, pour lesquels leur état est resté stable.

Mais une autre partie a été très affectée : 30 % d’entre eux ont vu une augmentation de leur symptomatologie, qu’il s’agisse de troubles dépressifs, de psycho-traumatismes ou de troubles réactionnels à des facteurs de stress. Un tiers, ça n’est pas négligeable ! Ces jeunes ont vécu un « ensevelissement du quotidien », une situation dans laquelle il devient difficile de déplacer son corps car ils devaient rester dans leur chambre et éviter au maximum les espaces communs. Cela a pu notamment faire ressortir des souvenirs d’emprisonnement ou de traversée de la Méditerranée, quand les corps sont contraints dans un petit espace. La passivité, c’est à dire le fait d’être, par la force des choses, rendu passif ressort aussi beaucoup, et quand tout pousse à l’inactivité, tu as plus de temps pour penser à tes soucis : “ma situation va-t-elle s’améliorer ? Suis-je dans une impasse ? Est-ce que tout ce que j’ai vécu pour arriver ici, incluant la traversée de la Méditerranée, a encore du sens ?” On appelle cela le remâchage anxieux. Cela a également modifié le rapport au sommeil de 43 % d’entre eux, avec des dérégulations, des angoisses nocturnes ou de l’hypersomnie.

« Maintenant nous croisons les pieds au lieu de nous serrer la main. C’est la nouvelle façon de se saluer. », Imany (photo de droite), un jeune suivi par MSF.
 © Julien Bonnin
« Maintenant nous croisons les pieds au lieu de nous serrer la main. C’est la nouvelle façon de se saluer. », Imany (photo de droite), un jeune suivi par MSF. © Julien Bonnin

Le fait que la Covid-19 soit dangereuse et potentiellement mortelle est parfois venu se connecter à un premier trauma, une première expérience liée à la mort. Alors même qu’ils ne faisaient pas partie des populations dites « à risques », certains ont développé une peur démesurée de mourir de la Covid-19. Les rues vides et cette ambiance de « fin du monde » ont pu renvoyer à leur propre angoisse d’anéantissement. Finalement, dans un contexte marqué par les incertitudes, très changeant, il était important pour les psychologues de MSF et du Comede, mais aussi pour l’ensemble de nos équipes, de montrer à ces jeunes que les liens entre eux et nous continuaient malgré tout de tenir. Souvent, dans leur pays et sur la route, les contextes changeants ont entraîné chez eux un balayement des liens, notamment avec la perte de proches. Il fallait leur démontrer qu’ici ça ne serait pas le cas. 

Enfin, il ne faut pas oublier que ces jeunes sont pris dans un recours administratif et juridique devant le juge des enfants pour faire valoir leur minorité et donc dans une sorte de compte à rebours de l’âge. Ils ont pu avoir la sensation de perdre leur temps sans compensation, car les tribunaux ne pouvaient plus recevoir.

Comment les équipes de psychologues se sont-elles adaptées à ce nouveau contexte ?

Quand on a été informés de l’ampleur de l’épidémie et du confinement, on a tout de suite su, au vu de la vulnérabilité de ces jeunes, qu’ils allaient être déstabilisés et en difficulté. Et en même temps, on était nous-mêmes sidérés. La Covid-19 est devenue la première préoccupation des jeunes suivis par les psychologues. Nos premiers efforts ont été de leur permettre de comprendre ce qu’il se passait.

Nous avons également fait au mieux pour maintenir des liens. Les infirmiers et travailleurs sociaux passaient deux à trois fois par semaine dans les hôtels. Mais comme les rencontres physiques étaient très restreintes, nous avons décidé de créer un objet qui permettrait que quelque chose circule entre nous : une BD.

Création The Ink Link pour MSF et le Comede, illustrations Laure Garancher.
 © Laure Garancher et The Ink Link pour MSF et le Comede
Création The Ink Link pour MSF et le Comede, illustrations Laure Garancher. © Laure Garancher et The Ink Link pour MSF et le Comede

Elle a permis de matérialiser ce que pouvait être le confinement, notamment d’un point de vue psychique, et proposait aux jeunes des pistes d’actions pour ne pas rester passif. Ces BD ont été envoyées à tous les jeunes, puis ils ont été appelés individuellement par téléphone avec un interprète pour échanger en direct. Quand nous avons eu les masques, nous avons pu commencer à organiser des visites sur place. Quand on a fait la première action autour de la BD, on a vu assez rapidement que l’immense majorité estimait avoir compris ce qu’était le confinement et sa fonction. Ces jeunes ont la capacité de se saisir des aides qui leur sont proposées. Si on leur donne des choses accessibles, ils s’en saisissent.

En parallèle, des activités ont été proposées pour leur permettre d’expérimenter, d’être acteurs : ils ont dessiné, écrit, chanté, participé à des ateliers photos.

Dessins réalisés par les jeunes suivis par les équipes MSF. 
 © DR
Dessins réalisés par les jeunes suivis par les équipes MSF.  © DR

Nous avons continué les suivis par téléphone quand c’était possible. Il faut pour cela un endroit où s’exprimer librement et en confidentialité. Nous faisions attention à la manière dont le quotidien du jeune était structuré : comment son temps était organisé, quelles étaient ses relations avec son entourage ? Quand ce n’était pas possible à distance, ou pour ceux dont la symptomatologie était trop forte, nous avons continué en présentiel.

Quels sont les principaux enseignements tirés de l’expérience des mineurs non accompagnés au printemps dernier et les recommandations pour la période actuelle ?

Les pouvoirs publics connaissent la vulnérabilité particulière des mineurs non accompagnés en recours, pourtant rien n’a été fait pour les protéger de la pandémie : on peut estimer qu’ils ont fait partie des grands oubliés de la crise et du confinement. Sans les associations comme MSF qui ont financé des hébergements d’urgence, ils n’auraient même pas été confinés !

L’hébergement et l’accès à la nourriture doivent être garantis, ce sont les deux premiers besoins essentiels. Mais il en existe un troisième tout aussi essentiel : celui du lien social. Les interactions, l’assurance qu’ils ne seront pas lâchés, l’accès à l’instruction et aux jeux pour continuer de se développer sont très importants. Cet hébergement présente des avantages, mais ce n'est ni une maison ni un refuge, d'où l'importance d'avoir du lien social, notamment avec des jeunes qui sont dans la même situation qu'eux. 

C’est une prise en charge et un accompagnement pluridisciplinaire qui est nécessaire pour ces jeunes. On ne peut pas simplement mettre des jeunes dans un gymnase et leur apporter des couvertures. Il faut apporter de l’information sur l’évolution de la situation, les tenir informés dans une langue qu’ils comprennent, leur demander comment ils vivent cette situation. Il est indispensable d’aller vers ces personnes qui n’ont pas forcément une bonne connaissance de la société dans laquelle ils viennent d’arriver et dans laquelle ils ne savent donc pas où demander de l’aide. Et il est évidemment essentiel qu’ils aient accès aux soins.

Avec ce rapport, nous souhaitons aussi partager avec les autres associations qui travaillent avec les mineurs non accompagnés, notre retour d’expérience et les outils développés pour affronter le confinement, afin qu’elles s’en saisissent aussi si elles le souhaitent.

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