« C’est un traumatisme générationnel » : en Cisjordanie, une psychologue MSF revient sur l’impact psychologique de la hausse des violences israéliennes
Depuis qu'Israël a lancé sa campagne génocidaire à Gaza, les conséquences psychologiques sur les Palestiniens sont considérables : la santé mentale des enfants et des adultes a été gravement affectée sur tout le territoire palestinien. Témoignages.
« Si la violence n'est pas nouvelle en Cisjordanie, en Palestine, tout s'est intensifié après le 7 octobre 2023. Nous avons assisté à une forte escalade : les postes de contrôle, les barrages routiers et les incursions des forces israéliennes et des colons ont coupé les villes et villages palestiniens les uns des autres. Ces restrictions empêchent les Palestiniens d'accéder aux services de base, tels que les soins de santé, les marchés alimentaires et les écoles » explique Salma*, une psychologue travaillant avec MSF en Cisjordanie.
En effet, les postes de contrôle et les barrages routiers sont omniprésents dans le quotidien des Palestiniens à Hébron, comme l'explique Fatima*, 35 ans :
« Nous vivons en Palestine sous occupation. Je fais des cauchemars. La guerre a encore aggravé cette pression. J'ai l'impression que ma santé mentale s'est détériorée. J'avais des projets, des choses que je voulais faire avec ma fille lorsqu'elle aurait atteint un certain âge. Je voulais lancer un projet avec elle. Mais la guerre a tout bouleversé et j'ai dû tout annuler.
Elle voulait s'inscrire à un cours d'anglais, mais je m'inquiète tellement pour elle que je ne la laisse jamais franchir ce poste de contrôle seule. Parfois, il y a une jeep de l'armée garée à proximité, et cela me remplit de peur et d'inquiétude.
Nous sommes coincés. Nos déplacements sont limités. Elle était bouleversée et m'a dit : « Tu m'avais promis que lorsque j'aurais 15 ans, nous commencerions ces activités. » »
Ces incertitudes ont un impact important sur la santé mentale des Palestiniens, comme le rappelle Salma :
« En tant que psychologue MSF travaillant à Hébron, je peux voir et sentir à quel point la peur des gens continue de croître. Elle est omniprésente et, cette fois-ci, elle paralyse les gens. Les Palestiniens ne sont pas seulement inquiets : ils se préparent à la perte. Nos patients nous disent souvent que lorsqu'ils voient des images de personnes à Gaza ramassant les restes de leurs proches, ils ne peuvent s'empêcher de penser : « Si je meurs, je veux mourir avec ma famille ». Ce ne sont pas des pensées abstraites. C'est une façon pour leur esprit de donner un sens à l'horreur. Au lieu de planifier leur avenir ou celui de leurs enfants, beaucoup se concentrent sur la manière la moins douloureuse de mourir. »
Après deux ans passés à regarder en direct le massacre des Palestiniens à Gaza et l'intensification de l'annexion israélienne en Cisjordanie, notamment l'augmentation de la violence des colons et des forces israéliennes, le traumatisme subi par les Palestiniens en Cisjordanie s'est dangereusement aggravé. Reema*, 13 ans, habite à Masafer Yatta et se souvient d’un jour de mai 2024, le jour où sa maison a disparu :
« Le jour où notre maison a été démolie a commencé comme tous les autres. C'était le mardi 7 mai 2024. Après la sixième heure de cours, nous avons quitté l'école et, en sortant, j'ai entendu des gens parler d'une maison en cours de démolition. Quand je suis arrivée sur la colline près de notre maison, j'ai vu les bulldozers s'éloigner. Mon cœur s'est serré. J'ai regardé derrière eux, là où aurait dû se trouver notre maison, et je n'ai vu que des décombres. Notre maison avait disparu.
Je me suis figée. Le choc était si violent que les mots ne sortaient pas. Quand je me suis enfin approché, j'ai vu ma mère. Elle m'a pris dans ses bras et m'a murmuré : « Ne t'inquiète pas, on peut reconstruire la maison. » Mais j'ai alors remarqué mon frère. Il avait été battu. Ils l'avaient poussé par terre et blessé. Le voir dans cet état me semblait irréel. Tout le monde autour de moi criait, pleurait, appelait, mais je ne pouvais rien faire. Je suis restée là, immobile. Je suis allé voir ce qu'il restait de notre maison. Tout était détruit : mes jouets, mes crayons de couleur, tout. Je n'arrêtais pas de me dire : « Ça va aller. » J'ai fait le tour de la maison comme je le faisais toujours. Les plants de menthe et les petits arbres que nous avions plantés étaient écrasés. Notre vigne était également cassée. Et pourtant, je continuais à me dire : « Ça va aller, ce n'est pas grave. » »
L’incertitude et l’augmentation des violences participent à la hausse des troubles psychologiques. Beaucoup de Palestiniens souffrent de traumatismes intenses et de symptômes dépressifs, les enfants comme les adultes présentant des comportements alarmants :
« Dans nos cliniques, reprend Salma, nous constatons une augmentation notable des symptômes de dépression, d'anxiété et de dépression post-traumatique. Les symptômes varient, mais les schémas sont clairs. Les hommes, en particulier ceux qui ont perdu leurs sources de revenus, présentent davantage de symptômes psychosomatiques. Il est plus acceptable socialement de dire « j'ai mal au ventre » que « j'ai peur ». Mais la peur et le désespoir sont à l'origine de leurs expressions : la peur se lit dans leurs yeux.
Les mères nous font part de leurs pensées terrifiantes. Lorsqu'elles imaginent une éventuelle attaque des colons, leur esprit s'emballe. Une mère m'a dit : « Chaque fois que je pense que cela pourrait arriver, je me répète sans cesse : je dois emmener tous mes enfants. Je ne peux oublier personne ».
En Cisjordanie, le sentiment que quelque chose de terrible va arriver est de plus en plus présent, mais personne ne sait exactement quand ni comment. C'est une prise de conscience collective, une anxiété silencieuse et omniprésente. Les gens le disent ouvertement : « Ils ont commencé à Gaza. Puis ils se sont déplacés vers le nord de la Cisjordanie. Maintenant, ce n'est plus qu'une question de temps avant que ce soit notre tour ». Que vous soyez professionnel de la santé mentale ou agriculteur, nous le ressentons tous. Nous attendons tous notre tour. »
La réalité de ce qui se passe à Gaza est omniprésente dans la vie des habitants de Cisjordanie, comme l’explique Reema : « Quand je dessine, je dessine les souffrances de Gaza, les horreurs infligées aux enfants de Gaza. Chaque jour, des enfants meurent, de faim ou à cause des bombes. Gaza est en ruines, et aucun dirigeant arabe ne vient à son secours. Les enfants sont tués avant même d'avoir compris ce qu'est la guerre. »
Cette anxiété et les troubles psychologiques qui vont avec ont des conséquences directes sur l’accès aux soins des habitants de Cisjordanie :
« Les Palestiniens sont tellement accablés que même lorsque les cliniques mobiles de MSF s'approchent d'eux, beaucoup ont trop peur pour venir. La terreur de franchir les points de contrôle l'emporte sur leur besoin d'aide médicale, tant mentale que physique. Leur décision de rester chez eux n'est pas due à l'indifférence, mais à la peur » explique la psychologue.
« Il ne s'agit pas d'une crise temporaire. C'est un traumatisme générationnel long et pénible que les Palestiniens de Cisjordanie sont contraints de vivre, jour après jour. »
* Les prénoms ont été modifiés