Situation sur le littoral franco-britannique : lettre ouverte à Gérald Darmanin

Situation in Calais
L'autoroute menant au port de Calais est entourée de barbelés sur plusieurs kilomètres. Financé par le gouvernement anglais, ce fil de fer barbelé doit empêcher les réfugiés de monter dans les camions qui se rendent au Royaume-Uni. © Remi Decoster/MSF

5 associations s’adressent au ministre de l’intérieur Gérald Darmanin suite à sa visite à Calais le 12 juillet 2020 : déni, non respect des droits des personnes exilées, éternel recommencement d’une politique d’expulsions déshumanisantes et parfaitement inutiles.

Monsieur le ministre Gérald Darmanin,

Nous vous écrivons cette lettre ouverte suite à votre passage le 12 juillet 2020 à Calais. Dans cette ville et dans le Calaisis, les conditions de survie des personnes exilées sur le littoral franco-britannique sont intolérables.

Comme tous vos prédécesseurs, il vous fallait donc venir à Calais dès votre nomination. Comme tous vos prédécesseurs, vous êtes venus avec caméras et micros. Comme tous vos prédécesseurs, vous n’aurez vu que ce que l’on a bien voulu vous montrer ou que ce que vous aurez voulu voir.

Vous avez rencontré une partie seulement des acteurs calaisiens : les forces de l’ordre, la Préfecture et les services de l’État, la municipalité, les associations qui gèrent des dispositifs mis en place par l’État, les autorités britanniques qui opèrent sur le territoire français. Vous avez fait le choix de ne pas rencontrer les personnes exilées qui survivent dans des conditions innommables ni les associations calaisiennes qui les accompagnent depuis de nombreuses années. Vous n’avez pas cherché à comprendre avec elles les raisons de leur présence sur ce bout de terre.

Quarante-huit heures avant votre venue, les lieux de vie principaux de ces personnes ont été détruits et les personnes envoyées, quelle que soit leur volonté, loin de Calais. C’est donc plus de 800 personnes qui ont vu leurs maigres abris détruits. 519 qui ont été forcées d’entrer dans des bus. Des hommes, des femmes, des enfants, toutes et tous mélangés, sans aucune évaluation de leur situation et de leur vulnérabilité.

Sur ces 519 personnes qui ont été dispersées sur le territoire, près de la moitié étaient déjà de retour le lendemain, beaucoup d’autres depuis. Ces personnes n’ont aujourd’hui plus d’accès à l’eau potable, aux douches, à l’alimentation. Car, outre la destruction des abris et l’expulsion des personnes, cette évacuation a entraîné l’arrêt de la principale distribution alimentaire et du dispositif de douches. Les quelques robinets permettant l’accès à l’eau sont, eux, toujours présents, mais inaccessibles, en raison de la présence policière.

Le Conseil d’État avait prescrit « aux autorités administratives, à raison d’une carence qui expose des personnes à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, d’installer des dispositifs adaptés permettant de rendre disponibles, à titre provisoire, tant que des migrants séjournent à Calais […], des points d’eau et des latrines ainsi que des douches [1]». Le Président de la République, M. Emmanuel Macron, avait indiqué lors de sa venue à Calais en janvier 2018 que l’État prendrait en charge les distributions alimentaires.

Alors pourquoi ces deux dispositifs, bien insuffisants mais indispensables, ont-ils été supprimés alors qu’il s’agit pour l’Etat de se mettre en conformité avec le droit international en protégeant le droit de vivre dans la dignité et la sécurité de toutes les personnes exilées, quel que soit leur statut au regard de la loi ?

Monsieur le Ministre, vous l’avez dit devant la représentation nationale le 16 juillet dernier, cette situation dure depuis longtemps.

Effectivement, depuis 30 ans, des personnes sont bloquées à la frontière franco-britannique ; et, depuis 30 ans, les pouvoirs publics tentent de rendre invisibles ces personnes au mépris de leurs droits, en les maltraitant, en les chassant du moindre campement constitué, en détruisant leurs affaires, en dispersant ou en les privant de leurs maigres ressources ou documents d’identité, en les empêchant d’accéder à leurs besoins essentiels.

En mettant sciemment leur intégrité physique en danger… Pourtant, elles sont toujours là, dans des conditions toujours plus abjectes, mais toujours là.

Cette situation n’a que trop duré dites-vous ? Nous sommes bien d’accord. Mais ce n’est pas en poursuivant cette politique du déni que vous y mettrez un terme.

La question de la présence des exilés sur le littoral franco-britannique est complexe. L’expérience de ces 30 dernières années montre que la réponse brutale des évacuations policières quotidiennes n’apporte aucune solution digne, aucun règlement, strictement rien, sinon des souffrances supplémentaires.

Il est nécessaire de changer aujourd’hui de paradigme, Monsieur le Ministre !

Un autre chemin doit être pris : celui du respect des droits, celui de l’écoute et du dialogue avec les personnes concernées, celui du respect de la dignité de chaque personne, celui de la concertation avec tous les acteurs concernés pour tenter de trouver des solutions qui soient respectueuses de chaque personne tout en prenant en compte les contraintes des uns et des autres.

Nous sommes prêts avec bien d’autres à y contribuer, Monsieur le Ministre.

Pour cela, à vous, et au gouvernement auquel vous appartenez, d’accepter d’ouvrir une autre voie que celle de la répétition permanente des mêmes réponses brutales, déshumanisantes et parfaitement inutiles car sans aucune issue.

Il y a urgence.

Veuillez recevoir, Monsieur le Ministre, l’expression de notre considération distinguée.

 

Liste des organisations signataires

Francis Perrin, Vice-Président d’Amnesty International France
Dr Philippe de Botton, Président de Médecins du Monde
Dr Mego Terzian, Président de Médecins Sans Frontières France
Henry Masson, Président de La Cimade
Véronique Fayet, Présidente du Secours Catholique – Caritas France

 

[1] Conseil d’État, 31 juillet 2017, Commune de Calais, Ministre d’État, ministre de l’Intérieur, Décision N°412125, 412171

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