« La France doit se mobiliser pour prendre en charge des blessés de Gaza »
Communiqué de presse
Dans une tribune publiée dans le journal « Le Monde », des soignants, dont certains de Médecins sans Frontières (MSF), appellent la France, qui dispose à la fois de la capacité et de l’expertise nécessaires, à participer de toute urgence à l’évacuation médicale des civils palestiniens, comme elle l’a fait pour l’Ukraine.
Nous, médecins, exerçant dans les milieux hospitaliers, associatifs, universitaires, publics et privés, en France, ne pouvons rester indifférents à la situation désespérée dans laquelle se trouvent des milliers de patients à Gaza. Gravement atteints par les maladies, par des brûlures ou par des blessures de guerre, ces patients ne peuvent être traités sur place. Face à ce tableau, décrit par Médecins sans frontières (MSF) et par d’autres organisations médicales qui œuvrent sur le terrain, l’inaction ne peut être une option.
Alors que la France a rouvert ses portes aux évacuations de quelques dizaines de personnes de Gaza, elle tarde à agir pour les malades et les blessés, bien que des vies soient en jeu. Le système de santé de Gaza est pratiquement réduit à néant, sous les attaques continues de l’armée israélienne, qui n’ont laissé aucun hôpital pleinement fonctionnel.
La capacité d’accueil est tombée à moins de 2 000 lits pour plus de 2,1 millions d’habitants : un ratio cinq fois inférieur à celui que connaît la population européenne, sans être soumise aux bombardements ni aux pénuries. Au moins 1 722 professionnels de santé ont été tués, d’après les Nations unies, dont 15 membres de MSF. Plus de 300 soignants ont été arrêtés, dont une partie d’entre eux restent détenus.
Les restrictions conséquentes sur les fournitures médicales et la nourriture aggravent cette crise. De nombreux équipements médicaux sont toujours bloqués ou refusés au motif qu’ils pourraient être à « double usage » civil ou militaire, à l’instar des concentrateurs d’oxygène, de tables d’opération, de fixateurs externes ainsi que des instruments de base : pinces, désinfectants, réchauffeurs de sang ou thermomètres. Les soins essentiels, tels que la chirurgie, la prise en charge des brûlures, des traumatismes, des cancers ou des maladies chroniques, sont gravement compromis.
Alors qu’un cessez-le-feu a commencé dans l’enclave de Gaza, le 10 octobre, il ne saurait, à lui seul, garantir un accès effectif aux soins pour les dizaines de milliers de patients à Gaza. La réhabilitation du système de santé, aujourd’hui à terre, nécessite des investissements massifs et s’inscrit sur le long terme.
Ainsi, 16 500 patients sont inscrits sur une liste d’évacuation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Parmi eux, 2 900 sont dans un état critique et 3 800 sont des enfants. Ces personnes sont en danger de mort. Ces chiffres offrent une représentation incomplète de la gravité de la situation. Les personnes ayant besoin de soins immédiats, ou celles qui ne sont pas transportables, car trop instables, notamment, ne sont pas incluses. Les patients de cette liste souffrent de traumatismes sévères, sont atteints de malformations congénitales, de maladies chroniques comme l’insuffisance rénale ou le cancer. Ils n’ont pas accès à des soins vitaux à Gaza. Les retards de soins entraînent des complications majeures, des infections, des amputations et des décès évitables. Et 740 patients en attente d’évacuation sont morts faute de soins, dont 137 enfants, entre juillet 2024 et août 2025.
Les délais, les obstructions de mouvement et les obstacles administratifs doivent être levés pour répondre à une situation de grande urgence. Cependant, la première barrière aux évacuations médicales réside dans le manque de volonté politique de la plupart des Etats d’accueillir ces patients.
La France dispose à la fois de la capacité et de l’expertise médicales pour sauver des vies. Sur les quelque 8 000 personnes qui ont pu être évacuées, la France n’a pris que 27 patients à sa charge, alors que, en novembre 2023, Emmanuel Macron s’était engagé à accueillir 50 enfants de Gaza. Nos voisins italiens, espagnols et britanniques se mobilisent et font mieux. L’Italie a pris en charge 211 patients à ce jour, soit plus de sept fois plus que la France, et l’Espagne plus du double avec 65 patients.
Dans l’immédiat, les évacuations médicales constituent la seule alternative pour accéder aux traitements vitaux indisponibles localement. La France doit se montrer à la hauteur de son devoir d’humanité.
Au nom de l’éthique médicale et d’une humanité partagée, nous appelons les autorités à assumer la part de solidarité que la France peut offrir. Lors du conflit en Ukraine, notre pays a ouvert ses hôpitaux à des patients étrangers, démontrant qu’une réponse rapide et solidaire sauve des vies. Aujourd’hui, nous nous inscrivons dans cette tradition hospitalière française et demandons que la même mobilisation soit engagée pour les victimes de Gaza.
Nous appelons à un engagement sans délai et réaffirmons notre disponibilité à y contribuer à nouveau concrètement. La France dispose d’hôpitaux et de cliniques qui réunissent les compétences et les moyens nécessaires pour assurer ces soins et redonner espoir à des individus malades ou blessés, aujourd’hui sans solution. La France peut faire mieux. La France doit faire mieux, de toute urgence.
Parmi les signataires : Hervé Benateau, chirurgien maxillo-facial ; Eric Cheysson, président de la Chaîne de l’espoir ; Jean-François Corty, président de Médecins du monde ; Isabelle Defourny, présidente de Médecins sans frontières ; Isabelle Desguerre, neuropédiatre ; Stéphane Gaudry, praticien en médecine intensive-réanimation ; Yousra Kherabi, infectiologue ; Marie-Rose Moro, pédopsychiatre ; Nathan Peiffer-Smadja, infectiologue ; Rémi Salomon, néphrologue pédiatrique ; Marc Samama, anesthésiste-réanimateur ; Elisabeth Sauvaget, chirurgienne ORL. Liste complète des signataires à retrouver ici.