Yémen : “La nature des violences à Abyan a changé”

Hôpital chirurgical MSF à Aden en mai 2012. MSF
Hôpital chirurgical MSF à Aden, en mai 2012. © MSF © Saoussen Ben Cheikh/MSF

Dans la nuit du samedi 4 août, un bombardement dans la ville de Jaar, dans la province d’Abyan au Yémen, a frappé les civils, tuant plus de 40 personnes. Une cinquantaine de blessés ont également été admis aux urgences chirurgicales de MSF dans la ville d’Aden. Coordinatrice du projet MSF à Aden, Anne Garella revient sur ces derniers événements pour décrire le contexte dans lequel interviennent les équipes MSF.

Comment avez-vous géré l’afflux de blessés dans la nuit de samedi ?

L’équipe a fait face à un afflux massif de blessés, et la situation a été pour le moins mouvementée. En dépit de ce contexte, nous nous sommes occupés de 39 patients. 10 personnes sont également décédées à leur arrivée ou peu de temps après. Beaucoup de patients n’ont subi que des blessures légères mais plus d’une dizaine étaient dans une situation critique.

Nous étions très inquiets pour la sécurité de l’hôpital et des patients : quand une telle attaque se produit et que nous soignons des patients qui ont été la cible d’une explosion, le niveau de tension parmi les membres des familles atteint des sommets. Mais avec l’aide de l’équipe, et en particulier celle des gardiens, nous avons pu maîtriser la situation.

Comment décririez-vous les relations entre l’hôpital et les communautés locales ?

On a pu constater qu’un grand nombre de blessés étaient amenés directement à notre hôpital, sans être d’abord référés par un hôpital local. Cela montre que notre centre de soins est connu de la population et que la population de Jaar a confiance en nous.

Le fait que la situation, bien que tendue, soit restée sous contrôle, est également un signe de respect de notre centre. Ceci dit, construire la confiance avec la communauté et négocier notre espace humanitaire est un effort continu, et nous travaillons toujours de sorte que nos principes éthiques soient clairement compris.

Comment a évolué la situation à Abyan au cours des trois derniers mois ?

Le niveau de violence n’a pas diminué, c’est plutôt la nature des violences qui a changé. Dans une ville comme Jaar, des clashs armés ont été remplacés par des actes de violence sans distinction tels que des attaques suicides ou des accidents dus aux mines.

Alors que l’activité à Aden est en baisse depuis le mois de mai, le nombre d’admissions reste élevé. Nous avons généralement une quarantaine de lits occupés en permanence et il est rare de compter moins de 35 patients à l’hôpital.

La route entre Jaar et Aden est maintenant entièrement rouverte, ce qui signifie qu’il est plus facile pour nous de transférer des patients vers Aden en ambulance. Par le passé, il y avait des barrages sur la route et nous devions parfois emprunter une route de montagne longue et dangereuse. Beaucoup de patients préféraient donc rester chez eux, plutôt que de prendre le risque de voyager.

Ces derniers mois, les déplacés sont retournés à Jaar et le gouvernement s’est attelé à rétablir les services d’utilité publique. Cependant les habitants de Zinjibar ne sont pas encore rentrés chez eux et on ne sait pas quand ils pourront le faire. La majorité de la ville a été détruite par d’intenses combats et il reste un grand nombre de mines et d’engins non-explosés. Des services clés comme l’électricité et l’eau n’ont pas encore été rétablis.

Quelles sont les conséquences de la présence de mines et autres objets non-explosés ?

Ce sont les enfants qui sont le plus touchés. Ils jouent avec les objets qu’ils trouvent, et soudain leur vie est brisée.
Le lendemain de l’explosion à Jaar, nous avons reçu trois patients qui avaient été blessés par ce type d’engins. Deux d’entre eux étaient des enfants et ont dû être amputés. Ils venaient d’Al-Rawdah, pourtant déclarée « déminée » la veille. Depuis juin, nous avons accueilli 22 cas de ce type ; trois d’entre eux sont morts des suites de leurs blessures.
La souffrance psychologique doit également être prise ne compte afin de permettre à ces enfants et à leurs parents de reprendre le cours de leur vie.
Le gouvernement et la communauté internationale doivent aussi faire davantage d’efforts pour déminer les zones concernées et informer les populations sur les risques.

Quels sont les principaux challenges médicaux dans le sud ?

Les soins de santé primaires et secondaires restent faibles car les infrastructures nécessaires ne sont pas correctement entretenues.
L’accès limité au système de santé pour des raisons de sécurité reste un problème majeur. L’augmentation de la violence signifie que les gens ont peur de se déplacer vers le centre de soins le plus proche, et lorsqu’ils s’y rendent, les médecins ne sont pas toujours là. A cause des difficultés financières, il n’est pas rare que les gens soient également amenés à choisir entre se soigner et se nourrir.

De plus, la diminution des ressources en eau, les différends entre groupes tribaux pour s’approprier la terre et l’augmentation du prix de l’essence sont autant de facteurs influant sur le niveau d’insécurité alimentaire au sein des populations rurales, jusqu’à augmenter les taux de malnutrition chronique.


MSF travaille au Yémen depuis 1986 et en continu depuis 2007. En plus des gouvernorats d’Aden, Ad-Dhali, Abyan et Al-Baydha, l’organisation conduit des activités chirurgicales et médicales dans les gouvernorats d’Amran et d’Hajjah, au nord du pays. Au Yemen, MSF n’accepte aucune forme de financement de la part du gouvernement et choisit de ne dépendre que de donations privées.

À lire aussi